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Intervention de Philippe Saint-Raymond

Réunion du 31 mai 2011
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Philippe Saint-Raymond, vice-président du groupe d'experts « Réacteurs » de l'Agence de sûreté nucléaire, ASN :

Je ne vous livrerai que quelques éléments de comparaison car le sujet est très vaste.

Il y a beaucoup plus de ressemblances que de différences entre les approches nationales en matière de sûreté nucléaire. C'est un domaine éminemment international parce que de nombreux organismes permettent aux États de se rencontrer : l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN). La plupart des États membres de l'AIEA ont signé la convention de sûreté nucléaire. Celle-ci énonce des principes très généraux, mais elle exige surtout des États qu'ils se réunissent tous les trois ans à Vienne et rédigent un rapport présentant la façon dont ils l'ont appliquée. C'est un élément important de convergence.

À cela s'ajoutent les rencontres entre les autorités de sûreté – la WENRA, en Europe, et son corollaire international, l'International Nuclear Regulators Association (INRA), qui regroupe les grands pays nucléaires, et plus ponctuellement le Framatome Regulators (FRAREG), qui regroupe les autorités de sûreté des pays possédant des réacteurs Framatome de fabrication française. Il existe également des rencontres entre exploitants au sein du WANO et du Framatome Owners Group (FROG), qui regroupe les exploitants disposant de réacteurs de fabrication française.

Le retour d'expérience international a une importance considérable. Les accidents majeurs de Three Mile Island (TMI), de Tchernobyl et maintenant de Fukushima ont amené un grand nombre de pays à réfléchir. Nous disposons également d'un retour d'expérience lié aux incidents, et ceux qui sont signalés à l'AIEA sont répertoriés sur un site internet. Les pays mettent également en commun les évaluations de réacteurs. L'EPR étant au départ de conception franco-allemande, les principes de sûreté qui lui sont appliqués ont été examinés par les autorités de sûreté de nos deux pays. Quant au réacteur ATMEA, conçu par Areva et le groupe japonais Mitsubishi, il fait l'objet d'une évaluation par le groupe d'experts français et le Multinational Design Evaluation Program (MDEP), dont le secrétariat est assuré par l'AEN.

En matière de sûreté nucléaire, il existe toutefois des spécificités françaises. Tout d'abord, nous ne sommes équipés que de réacteurs à eau sous pression, contrairement à la plupart des grands pays nucléaires, qui ont également des réacteurs à eau bouillante, comme ceux de Fukushima. La France a fait ce choix, non parce que les réacteurs à eau bouillante sont moins sûrs, mais parce qu'il est plus facile de contrôler une seule filière. Autre particularité, la filière française comprend des paliers successifs, ce qui facilite la tâche de contrôle.

L'approche française est par tradition réglementaire, c'est-à-dire non prescriptive. Dans le domaine de la réglementation des appareils à pression, nous adoptons depuis près de deux siècles une approche non prescriptive, en donnant à l'exploitant des objectifs sans spécifier les moyens qu'il doit employer pour les atteindre. Par exemple, nous lui fixons pour objectif d'éviter la rupture fragile de la cuve, et c'est à lui de démontrer que celle-ci ne peut se produire. Les Américains se contentent, quant à eux, de demander aux exploitants d'utiliser le code de construction ASME. La réglementation française, sans doute plus subtile, est plus difficile à appliquer.

La dernière particularité française vient de ce que notre pays est soumis à des risques naturels modérés. C'est la raison pour laquelle nos centrales ne sont pas équipées de systèmes automatiques d'arrêt en cas de séisme tels qu'ils existent au Japon.

La France a acheté ses premiers réacteurs aux États-Unis, adoptant du même coup la réglementation américaine qui s'appliquait aux réacteurs. Ensuite, la filière a été francisée et la fabrication des réacteurs a été confiée pour l'essentiel à Framatome. Nous avons instauré une réglementation embryonnaire car nous ne souhaitions pas réglementer les installations nucléaires, préférant les guides de bonne pratique aux textes réglementaires. Par la suite, lorsque nous avons vendu des réacteurs français à l'étranger, nous avons, nous aussi, vendu la démonstration de sûreté en même temps que les réacteurs.

L'homogénéité de notre parc nucléaire – un fabriquant et un exploitant uniques, des réacteurs comparables – a des conséquences importantes sur la sûreté. Tout d'abord, elle permet un contrôle de fabrication rapproché. Ce n'est pas un hasard si la direction de l'ASN, en charge du contrôle des appareils sous pression, s'est installée à Dijon, à proximité du fabriquant, qui est désormais une division d'Areva. Par ailleurs, cette homogénéité améliore nos capacités d'ingénierie. Par exemple, l'exploitant, s'il y est invité par l'ASN, est capable d'améliorer la prévention dans le domaine de la surpression à froid des réacteurs. L'existence d'un exploitant unique présente, en outre, l'avantage de permettre des discussions directes avec l'ASN s'agissant des problèmes génériques qui affectent tous les réacteurs du parc.

Il faut toutefois mentionner un élément négatif : un défaut générique sur les réacteurs remettrait en cause la sûreté de tous les réacteurs du parc, paralysant 80 % de la production d'électricité en France. L'incident qui a affecté les couvercles de cuves il y a quelques années a failli mettre en péril le fonctionnement de l'ensemble des réacteurs français.

En France, les réacteurs à eau sous pression comprennent plusieurs paliers : 900, 1 300 et 1 450 mégawatts et bientôt le palier EPR, chacun étant subdivisé en sous-paliers. Cette division nous offre une vue générale de l'état des réacteurs. Dans les autres pays, les études probabilistes de sûreté concernent le réacteur tout entier. En France, au grand étonnement de nos amis étrangers, chaque palier fait l'objet d'une étude – ne sont naturellement évoqués que les événements liés au fonctionnement interne du réacteur, les risques liés à une agression externe s'appliquant à l'ensemble du site.

Les réexamens de sûreté, prévus tous les dix ans, peuvent également être réalisés palier par palier. Le palier EPR, qui n'existe pas encore, est déjà un élément de référence.

Si l'approche française est déterministe, elle est également probabiliste. Pour prévenir les séquences susceptibles de provoquer des rejets importants et précoces, les Américains doivent démontrer que leur fréquence est inférieure à 10-6 par an et par réacteur. En ce qui nous concerne, nous examinons les défaillances qui pourraient affecter chacune des séquences et nous prenons les mesures nécessaires pour les éliminer. Ce n'est qu'ensuite que nous procédons à une modélisation probabiliste. Dans le cas où nous n'atteignons pas l'objectif adopté par les Américains, nous considérons que notre prévention n'est pas satisfaisante.

La disparité des pratiques donne lieu à certaines confrontations. L'AIEA a mis en place le comité NUSSC (Nuclear Safety Standards Committee), lequel a pour mission de définir des normes de sûreté qui, selon l'Agence, seraient les plus exigeantes. Ce n'est pas exact, car elles sont obtenues par consensus. Or chacun sait qu'il est plus facile d'obtenir un consensus sur le plus petit dénominateur commun que sur le plus grand commun diviseur. Au sein du comité NUSSC, la France n'a pas affiché d'exigences contraires à la pratique française. Mais nous sommes allés encore plus loin en établissant par le biais de WENRA des exigences européennes minimales. Celles-ci nous semblent plus cohérentes que celles qui ont été définies par le comité NUSSC.

La particularité de l'organisation française de la sûreté par rapport aux organisations des pays comparables est l'indépendance de nôtre autorité de sûreté par rapport au Gouvernement. Selon moi ce modèle, bien que de plus en plus répandu, n'est pas fondamental. En effet, lorsque l'autorité de sûreté dépendait de deux ministres, de l'industrie et de l'environnement, elle était déjà suffisamment indépendante pour assurer un bon contrôle de la sûreté.

En France – c'est un point plus important – une seule autorité gère la sûreté et la radioprotection. Ce n'est le cas ni en Allemagne ni en Angleterre. Dans certains pays, les rejets des installations nucléaires sont de la compétence de l'autorité de radioprotection et non de l'autorité de sûreté, bien que cet élément relève du fonctionnement des réacteurs. Or il survient parfois des conflits entre sûreté et radioprotection. Lors de l'incident des couvercles de cuves, l'autorité de sûreté nucléaire a exprimé des exigences qui ont exposé le personnel chargé des contrôles à des doses importantes de radiation. Il a fallu arbitrer entre la sûreté et la radioprotection. Le fait qu'une seule autorité soit chargée d'assurer la sûreté et la radioprotection favorise les bons arbitrages.

Une autre caractéristique de la France est de disposer avec l'IRSN d'un appui technique dédié, distinct de l'autorité de sûreté, tandis qu'aux États-Unis l'appui technique est assuré par l'autorité de sûreté. Imaginez que l'IRSN soit le procureur, l'exploitant l'accusé, et le juge l'ASN : si le procureur est également le juge, le système ne fonctionne pas de la même façon.

La France a une autre spécificité, qu'elle partage avec les États-Unis, l'Allemagne et le Japon : elle dispose de groupes permanents d'experts.

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