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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 22 juin 2011 à 9h00
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes :

L'audit annuel de la Cour des comptes, encore plus complet et approfondi cette année, fait le point sur la situation des finances publiques. Il évalue les risques qui pèsent sur leur évolution à court, moyen et long terme. Il examine enfin la problématique de leur nécessaire redressement.

L'an dernier, j'avais insisté sur la sérieuse dégradation de la situation des finances publiques en 2009 et sur l'urgence à prendre des mesures fortes et immédiates de redressement, au risque, sinon, d'hypothéquer notre indépendance et notre souveraineté.

L'année 2010 et le début de 2011 ont apporté des éléments positifs. Le déficit a amorcé sa décrue en 2010 et le redressement des finances publiques a été entamé. Des réformes, comme celle des retraites, ont été entreprises et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2011 ont commencé à s'attaquer aux niches, fiscales et sociales. La loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité, transmis à Bruxelles en avril, fixent des objectifs plus ambitieux de réduction du déficit.

La situation n'en reste pas moins sérieuse. Les déficits restent beaucoup trop élevés pour prévenir l'emballement de la dette publique et souffrent de la comparaison avec ceux de bien d'autres pays européens. Nous approchons de la zone dangereuse où le ratio de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) attire les regards. L'indépendance de notre politique économique, mais aussi de bien d'autres décisions, dans le champ social notamment, est en jeu. Pour la préserver, les efforts nécessaires doivent aller au-delà des mesures qui ont déjà été prises. L'essentiel du chemin reste à faire. Le déficit structurel est de l'ordre de 5 points de PIB. Pour qu'il disparaisse, ce sont 100 milliards d'euros qu'il faudrait économiser ou, sinon, prélever en plus sur nos concitoyens et nos entreprises. L'effort de redressement prévu par la loi de programmation et le programme de stabilité est presque de même ampleur, mais les mesures nécessaires pour le réaliser sont peu explicitées. La crédibilité de la France impose qu'elles le soient très vite.

Avant d'en venir à ces perspectives, arrêtons-nous un moment sur 2010 et 2011.

Le déficit public a légèrement baissé en 2010, mais il reste trop élevé d'autant qu'il est très largement structurel. En 2009, le déficit public avait atteint 7,5 % du PIB, un niveau sans précédent en temps de paix. Il a diminué, en 2010, de 0,4 point seulement. La crise a creusé les déficits dans tous les pays, mais, en 2010, la moyenne hors France a été de 5,8 % du PIB dans la zone euro, et de 6,3 % dans l'Union européenne. En Allemagne, le déficit public atteint 3,3 % du PIB, soit moins de la moitié de nôtre taux. Avec un déficit de 7,1 %, la France restait dans une situation plus dégradée que la moyenne de ses partenaires.

Pourquoi la réduction du déficit a-t-elle été si limitée ? La diminution du coût du plan de relance l'a fait baisser mécaniquement de 0,7 point de PIB. Mais, en sens inverse, les nouvelles mesures de baisse d'impôts ont aggravé le déficit de 0,4 point de PIB. Les dépenses fiscales ont à nouveau légèrement augmenté, essentiellement sous l'effet du remplacement de la taxe professionnelle par de nouveaux impôts d'un rendement plus faible. En dépit des déficiences des systèmes d'information de l'État, la Cour a estimé le coût de la réforme à 7,9 milliards d'euros en 2010 pour l'ensemble des administrations publiques. La combinaison des deux éléments a donc conduit à une diminution du déficit de 0,3 point de PIB seulement. Les autres facteurs ayant concouru à une contraction de 0,1 point, on arrive ainsi à une baisse de 0,4 point en 2010.

Le déficit structurel a encore légèrement augmenté en 2010. À environ 5 % du PIB, il est supérieur d'environ 1 point à celui de la zone euro, hors France, et de 3 points à celui de l'Allemagne. Le calcul du solde structurel repose sur des hypothèses inévitablement fragiles, notamment le taux de croissance potentielle. On peut aussi s'interroger sur la nature, structurelle ou temporaire, d'une partie du coût de la réforme de la taxe professionnelle ou de la baisse de l'investissement local en 2010. Mais, en tout état de cause, les éléments conjoncturels, la crise et le plan de relance, expliquent au plus 38 % du déficit de 2010.

Un meilleur critère pour apprécier les « fondamentaux » de l'équation des finances publiques est l'effort structurel qui mesure, lui, la contribution aux variations du déficit structurel de deux facteurs plus facilement maîtrisables par un gouvernement : les mesures relatives aux prélèvements obligatoires, d'un côté ; la maîtrise des dépenses publiques, de l'autre. La croissance en volume des dépenses publiques – hors impact de la crise, c'est-à-dire sans indemnisation du chômage ni plan de relance – n'a été que de 0,6 % ; elle a donc très sensiblement décéléré par rapport à sa tendance des dix années précédentes, qui s'établissait à 2,4 % par an. Ce ralentissement tient pour les deux tiers à la baisse des dépenses des collectivités territoriales, notamment à la chute de leurs investissements. Les dépenses des administrations sociales ont aussi, globalement, décéléré en 2010. L'effet du ralentissement de la croissance des dépenses a toutefois été quasiment annulé par celui des baisses d'impôts et, au total, l'effort structurel a été quasiment nul en 2010.

Si l'on approfondit l'analyse, il apparaît que le déficit s'est concentré sur l'État et les régimes sociaux, alors que celui des administrations publiques locales a diminué. Nous avons innové cette année en décomposant le déficit structurel par catégorie d'administrations publiques. Ce travail montre que le déficit structurel total est strictement égal à celui de l'État et des organismes divers d'administration centrale (ODAC). Les administrations locales ont, quant à elles, un léger excédent structurel. Si l'ensemble des administrations sociales n'enregistre qu'un très léger déficit structurel, le régime général dégage un déficit structurel égal à 0,7 point de PIB, une situation préoccupante, et même injustifiable, puisqu'il s'agit de financer des prestations courantes.

L'examen détaillé des charges d'intérêt fait ressortir, d'une part, qu'elles ont été inférieures à la prévision, ce qui a permis de rembourser certaines dettes de l'État, d'abonder les crédits d'autres missions et de financer le dépassement des crédits de rémunération. D'autre part, malgré la baisse des taux, les charges d'intérêts ont été supérieures de 7,7 % à celles de 2009. Il faut y voir la conséquence mécanique de l'alourdissement de la dette.

S'agissant du plan de relance, son coût a nettement diminué en 2010, notamment sa composante fiscale, et il ne devrait plus grever les dépenses en 2011. Cependant, sur l'ensemble des deux années 2009 et 2010, l'enveloppe totale – 42 milliards d'euros – aura été supérieure d'environ 20 % à l'estimation initiale.

Le besoin de financement des administrations sociales, c'est-à-dire de la sécurité sociale, mais aussi de l'UNEDIC, des régimes complémentaires et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), s'est aggravé en 2010 de 7,8 milliards d'euros. Dans cet ensemble, le déficit global des régimes de base et du FSV a atteint 30 milliards, bien que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ait été respecté et que la croissance des prestations sociales ait ralenti, en partie du fait de leur indexation retardée sur l'inflation – quasi nulle en 2009. Le déficit de l'assurance chômage s'est aussi aggravé pour atteindre 2,9 milliards d'euros.

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, leurs dépenses totales ont diminué de 0,5 % en valeur et de 2,0 % en volume, alors que leur croissance en volume avait été de 3,6 % par an sur les années 1999 à 2009, hors impact des transferts de compétences. Cette forte inflexion traduit celle de leurs dépenses de fonctionnement (de 3,9 % en 2009 à 2,2 % en 2010), notamment de personnel, mais elle résulte surtout d'une chute de 8,3 % des investissements. Le besoin de financement des collectivités territoriales a en conséquence diminué de 4,5 milliards d'euros en 2010 pour se rapprocher de l'équilibre.

Enfin, notre audit a été étendu cette année aux entreprises publiques du secteur marchand, dont la situation financière s'est sensiblement dégradée de 2007 à 2010. Si les fonds propres semblent suffisants au regard de l'endettement financier (124 milliards d'euros fin 2010) pour limiter les risques de recapitalisation, l'État ne peut guère escompter de dividendes plus élevés.

En 2011, le déficit public devrait nettement diminuer, en partie mécaniquement du fait de la disparition des dernières mesures de relance, mais il restera très élevé, notamment dans sa composante structurelle.

Les recettes publiques seront sans doute conformes aux prévisions initiales du Gouvernement, voire supérieures. La conjoncture a, en effet, été jusqu'ici plus favorable que prévu. En revanche, la réalisation des objectifs de croissance des dépenses, si elle n'est pas impossible, n'est pas acquise. L'État a engagé de nouvelles dépenses depuis la loi de finances initiale et les crédits de certaines missions budgétaires sont insuffisants. Des ajustements seront donc nécessaires et devront être inscrits en loi de finances rectificative.

Les dépenses d'assurance maladie ayant été inférieures à l'objectif de 2010, et partant donc d'un niveau plus faible, elles devraient respecter l'objectif fixé pour 2011 plus facilement. La réforme des retraites produit ses premiers effets. La meilleure tenue de la masse salariale et, surtout, des apports substantiels de recettes nouvelles devraient permettre d'enregistrer un début de réduction des déficits sociaux en 2011.

Les prévisions relatives aux comptes des administrations publiques locales sont très fragiles, notamment du fait de la volatilité des droits de mutation et des incertitudes sur l'évolution des investissements locaux. Pourtant, en dépit de la situation difficile de certains départements, le résultat d'ensemble des administrations locales ne devrait pas être préoccupant au regard du déficit public total.

Sous réserve d'une stricte maîtrise des dépenses, le déficit global des administrations publiques peut donc être ramené à 5,7 % du PIB en 2011, comme prévu par le Gouvernement. Il resterait malgré tout supérieur à la moyenne des autres pays de la zone euro (3,9 %) et à celui de l'Allemagne (2,0 %). En outre, le déficit structurel serait encore de 3,9 % du PIB selon la Commission européenne, soit plus que dans les autres pays de la zone euro (2,8 %) et bien plus qu'en Allemagne (1,4 %).

Enfin, l'effort structurel de réduction du déficit serait, au regard de l'estimation faite par la Cour de la croissance potentielle, de 0,6 point de PIB seulement, alors qu'il faudrait 1 point de PIB. Dans ces conditions, l'objectif devrait être plus exigeant et le déficit ramené en 2011 en dessous de 5,7 % du PIB, si la conjoncture le permet. Les incertitudes et les risques de la période à venir doivent, en effet, inciter notre pays à aller plus vite.

À moyen terme, le programme de stabilité repose sur un cumul d'hypothèses favorables relatives aux recettes et sur un ralentissement de la croissance des dépenses dont les modalités ne sont pas explicitées.

La Cour retient l'hypothèse d'une croissance potentielle de 1,6 % par an sur les années 2012-2014, une estimation supérieure à celles des organisations internationales. Or, le programme de stabilité adressé à Bruxelles repose sur un cumul d'hypothèses favorables. La croissance atteindrait 2,25 % en 2012 et 2,5 % en 2013 et 2014. Si une croissance plus forte que son potentiel est envisageable dans une phase ascendante du cycle économique, la prévision semble néanmoins optimiste. En outre, le programme de stabilité retient une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB significativement supérieure à 1 en 2012 et 2013. Là encore, ce résultat n'est pas impossible, mais ce n'est pas l'hypothèse la plus prudente. Une élasticité égale à 1 conduirait à un déficit public de 3,5 % du PIB en 2013, et non de 3,0 %. Le programme de stabilité prévoit enfin des mesures nouvelles de hausse des prélèvements à hauteur de 3 milliards d'euros pour chacune des années 2012 à 2014. Cependant, les mesures permettant d'atteindre ce montant en 2013 et 2014 ne sont pas précisées.

Du côté des dépenses, le programme de stabilité envisage une croissance moyenne annuelle de 0,6 % en volume sur les années 2012 à 2014. La progression spontanée est difficile à apprécier, mais la tendance sur les années 2000 à 2010 était une hausse de 2,3 % en volume par an. Cela illustre l'importance de l'inflexion qui est nécessaire. Les mesures déjà annoncées et pour lesquelles des économies sont à peu près identifiables, comme la réforme des retraites ou la révision générale des politiques publiques, ne suffiront pas à elles seules.

La stabilité de l'investissement public, en pourcentage du PIB, qui est inscrite dans le programme de stabilité est incompatible avec les investissements d'avenir et le Grenelle de l'environnement, ou alors il faudrait une nouvelle et forte baisse de l'investissement local. Les engagements de l'Agence française de financement des infrastructures de transport, qui n'apparaissent nulle part, représentaient déjà, à eux seuls, quelque 24 milliards d'euros à fin 2010.

Les déficits annuels s'accumulent et se transforment en dette. Sur ce point, le message de la Cour est net : il faut freiner le plus vite et le plus fortement possible sa progression, afin de prévenir tout phénomène d'emballement.

En 2010, la dette publique a continué à croître pour frôler les 1 600 milliards d'euros en fin d'année (soit 82,3 % du PIB ou 62 000 euros par personne ayant un emploi). La charge d'intérêt a dépassé 50 milliards, soit autant que les crédits cumulés des missions « Défense » et « Travail et emploi ». La dette publique des autres pays de la zone euro a certes plus augmenté que celle de la France en 2010, malgré des déficits plus faibles. L'État a, chez nous, freiné la progression de la dette par des mesures de trésorerie, alors que d'autres pays empruntaient des montants très élevés pour soutenir les banques : 13,4 points de PIB en Allemagne fin 2010 contre 0,1 point en France. Mais, la bonne résistance des banques française à la crise ne doit pas masquer la situation réelle de nos finances publiques. Comme le déficit restera très élevé en 2011, la dette de la France pourrait dépasser celle de l'Allemagne de plus de 2 points de PIB fin 2011, selon la Commission européenne, puis risque de s'en écarter rapidement.

L'évolution de la dette dépend surtout du déficit primaire, c'est-à-dire hors charges d'intérêts. Si le solde primaire structurel restait à son niveau de 2010, la dette publique atteindrait 90 % du PIB dès 2012, puis 100 % en 2016 et 110 % en 2020. Cette année-là, selon le « scénario de l'inacceptable », la charge d'intérêts représenterait 4 % du PIB et presque 10 % des prélèvements obligatoires, soit plus que les crédits des missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur » réunies. Voilà ce que nous réserverait l'avenir, si aucune mesure de redressement n'était prise. Cet exercice ne vaut que pour mettre en évidence le risque que présenterait l'inaction, et plus encore celui qui s'attacherait à de nouvelles baisses d'impôts ou augmentations de dépenses.

La dette sociale résulte de l'accumulation de déficits courants qui constituent en eux-mêmes, j'insiste, une anomalie et une injustice. Elle a poursuivi sa progression en 2010 pour atteindre 176 milliards d'euros en fin d'année, dont la moitié environ était portée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu de transférer à cet organisme les déficits du régime général, notamment ceux de la branche vieillesse et du FSV jusqu'à fin 2018, dans la limite de 130 milliards d'euros au total. Or, avec une croissance de la masse salariale de 3,5 % par an, égale à la moyenne des douze dernières années, et une croissance de l'ONDAM de 2,8 % par an, la branche maladie afficherait encore un déficit de 5 milliards en 2020 et son déficit cumulé depuis 2012 atteindrait alors 60 milliards d'euros. De plus, l'équilibre des régimes de retraite à l'horizon de 2020 n'est pas assuré, du fait notamment de la fragilité du scénario économique qui sous-tend les projections et du caractère incertain de l'hypothèse d'un transfert de cotisations d'assurance chômage vers des cotisations d'assurance vieillesse. Le cumul des risques pesant sur leurs comptes pourrait conduire à un déficit annuel de 12 milliards d'euros en 2020.

À défaut de mesures de redressement et dans un scénario économique prudent, les risques pesant sur les branches maladie, vieillesse et famille pourraient au total nécessiter, à l'horizon de 2020, un nouveau transfert de 100 à 120 milliards d'euros à la CADES en sus des 130 milliards déjà prévus, ce qui serait incompatible avec le terme actuel (2025) fixé pour le remboursement de la dette. Une partie de ce transfert devrait d'ailleurs être effectuée dès 2013. Une fois de plus, il s'agit non pas d'une prévision, mais de la mesure d'un risque qui appelle à l'évidence des mesures correctrices.

À plus long terme, les perspectives démographiques de la France sont plus favorables que celles des pays voisins, notamment de l'Allemagne. C'est un point positif, mais notre déficit structurel est plus éloigné que dans les autres pays européens de celui qui permettrait de stabiliser la dette en pourcentage du PIB. La soutenabilité à long terme des finances publiques françaises est bien davantage affectée par le déficit structurel actuel que par les conséquences futures du vieillissement de la population. Sans réduction rapide du déficit, la dette risque donc de s'emballer.

Or il s'agit là d'une menace majeure. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence lorsque l'on évoque la notion de seuils en la matière. Cependant, au-delà d'un certain niveau, estimé par certaines études à 90 % du PIB, l'endettement pourrait déclencher des réflexes de précaution défavorables à la croissance chez les ménages et les entreprises. Et, au-delà de 10 % du produit des prélèvements obligatoires, la charge d'intérêt peut conduire à une dégradation de la notation des emprunts d'État, ce qui aggraverait l'effet boule-de-neige de l'endettement. Une hausse de 1 point de l'ensemble des taux d'intérêt entraîne, pour l'État, une charge budgétaire supplémentaire qui passe progressivement de 2 milliards d'euros la première année à 6 milliards la troisième, 9 milliards d'euros la cinquième et 14 milliards d'euros la dixième. Sur les six premières années, cela représenterait un montant cumulé supérieur aux 35 milliards d'euros des investissements d'avenir. Une équation à méditer.

L'endettement public présente aussi un risque considérable pour la cohésion de la zone euro. Aussi la France doit-elle éviter une divergence trop importante entre l'évolution de sa dette et celle de ses partenaires, notamment l'Allemagne. Certes, les crises et la dégradation des comptes publics peuvent résulter de déséquilibres macroéconomiques. L'audit des finances publiques doit prendre en compte ces risques. La Cour a donc comparé la situation de la France à celle de la moyenne des autres pays européens, au regard de plusieurs indicateurs macroéconomiques relatifs notamment aux échanges extérieurs, au financement de l'économie, à l'investissement ou aux inégalités sociales. Il en ressort que la dégradation des finances publiques constitue, avec la perte de compétitivité et l'aggravation du déficit des échanges extérieurs, la principale faiblesse relative de la France, et une menace pour son potentiel de croissance.

Il est donc impératif de prévenir l'emballement de la dette en réduisant rapidement le déficit. La Cour a recommandé, dès l'an dernier, un effort structurel d'un point de PIB par an – soit 20 milliards d'euros – jusqu'à ce que le déficit structurel soit résorbé. Un tel effort permettrait d'enrayer la croissance de la dette aux alentours de 86 % du PIB, puis de la ramener à 72 % en 2020. Ce scénario de redressement est proche de celui du programme de stabilité. Cependant, l'effort structurel requis serait un peu plus important – 1 point de PIB au lieu de 0,8 – et devrait être poursuivi jusqu'en 2015, au lieu de 2014. Les mesures structurelles destinées à respecter le programme de stabilité doivent surtout être mieux étayées. C'est la condition de la crédibilité de notre pays dans le concert européen et international. C'est une exigence si l'on entend préserver l'indépendance de nos choix économiques et sociaux.

L'effort de redressement de nos finances publiques appelle des outils et une stratégie.

Les lois de programmation pluriannuelle constituent une pièce essentielle du dispositif. Le bilan de la première loi de programmation, prévu pour chaque année mais que le Gouvernement n'a pas présenté en 2009 et 2010, doit être mis à profit.

La Cour a déjà souligné que les règles édictées n'ont pas toujours été respectées : gage des dépenses fiscales ; préservation des recettes fiscales de l'État ; norme de croissance « zéro volume » des dépenses budgétaires. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie, s'il a été tenu en 2010, ne l'a pas été en 2009. Les dépenses publiques étaient, en 2010, supérieures de 14 milliards d'euros au montant qui aurait résulté d'une croissance conforme à la première loi de programmation.

Le budget triennal de l'État est au coeur de la programmation des finances publiques. En fixant des plafonds par mission budgétaire étalés sur trois ans, il permet de préciser les efforts et donne de la visibilité aux responsables de programme. La comparaison du budget triennal 2009-2011 avec les crédits votés et les dépenses exécutées est rendue très difficile par d'incessants changements de périmètre. Elle montre cependant que les crédits ou les dépenses exécutées ont été supérieurs de plus de 5 % au montant prévu dans le budget triennal pour un tiers des missions. Les dépassements sont systématiques pour les missions « Agriculture », « Immigration », « Médias » et « Travail et emploi ».

Les redéploiements de crédits sont inévitables en cas d'événements exceptionnels. Néanmoins, leur fréquence, leur ampleur et leur récurrence, pour certaines missions, constituent le signe d'une budgétisation insuffisamment rigoureuse. Il fallait certes faire son apprentissage, mais les redéploiements devraient êtres plus limités à l'avenir.

La deuxième loi de programmation, 2011-2014, comporte des novations bienvenues. Toutefois, les dispositions d'une loi de programmation peuvent toujours être remises en cause, comme ce fut le cas en 2009 pour la baisse de la TVA sur la restauration. Le projet de loi constitutionnelle en cours de discussion vise à donner aux lois de programmation une plus grande portée juridique, mais, qu'il soit ou non adopté, elles présentent des insuffisances auxquelles il faudrait remédier.

Ces lois concernent l'ensemble des administrations publiques, mais les collectivités territoriales et certains régimes sociaux bénéficient d'une autonomie juridique qui leur permet de ne pas se plier aux engagements nationaux. Dès lors, il conviendrait d'impliquer l'ensemble des acteurs dans l'élaboration puis le suivi des objectifs contenus dans les lois de programmation et le programme de stabilité. Des dispositions devraient être ajoutées, dans la Constitution ou une loi organique, pour assurer l'indispensable équilibre des comptes sociaux, au moins en termes structurels.

Les systèmes comptables, les dispositifs de suivi et d'alerte, les rapports d'exécution, les conditions dans lesquelles le Parlement peut débattre des résultats de l'année antérieure pour l'État, la sécurité sociale et l'ensemble des administrations publiques, sont autant d'outils de pilotage qui doivent être sensiblement améliorés. La Cour formule à cet égard diverses propositions.

Si la programmation et les règles sont utiles, elles ne suffisent cependant pas. Le redressement des comptes publics ne peut venir que de réformes ambitieuses et inscrites dans la durée.

L'effort de redressement nécessaire, de l'ordre de 20 milliards d'euros par an pendant plusieurs années, est considérable et les mesures qui seront prises devront satisfaire un double impératif : la solidarité nationale et la compétitivité de nos entreprises. L'équation est complexe. La Cour n'a ni la prétention ni la légitimité pour proposer une solution. Elle entend seulement éclairer les choix qui devront intervenir.

Compte tenu du niveau déjà atteint par les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires en France, la consolidation budgétaire devrait passer, pour plus de la moitié, par une action sur les dépenses. Il s'agit non pas de réduire les dépenses, toutes les dépenses, mais de limiter leur croissance globale. Un effort de redressement portant à 60 % sur les dépenses supposerait que leur croissance annuelle soit ramenée à 0,4 % en volume, soit environ 2,0 % en valeur. C'est exigeant, mais pas impossible, et reste dans l'ordre de grandeur de ce qui est concevable sans remettre en cause les politiques et les services publics auxquels nos concitoyens sont attachés. Un effort important de maîtrise des dépenses de personnel et des autres dépenses de fonctionnement a été engagé avec la révision générale des politiques publiques. Il a toutefois montré ses limites ; il doit être approfondi et étendu au-delà de l'État et de ses opérateurs.

Surtout, l'impact sur les comptes publics de réformes aussi délicates et inscrites dans la durée ne doit plus être annulé par de coûteuses baisses d'impôts : même s'il s'agit de mesures de nature différente, le coût de la baisse de la TVA sur la restauration équivaut budgétairement aux économies permises par le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d'État pendant huit ans, économies nettes d'une rétrocession de la moitié des gains de productivité aux agents.

Si les interventions en faveur des entreprises doivent être réexaminées, les prestations sociales représentent 45 % des dépenses publiques, et la consolidation budgétaire serait difficile sans ralentir leur croissance. C'est tout à fait possible sans remettre en cause la solidarité nationale, dès lors que l'on s'efforcerait de les cibler sur les personnes qui en ont le plus besoin. Même dans un domaine comme l'emploi, des économies sont envisageables en suivant ces principes.

Dans le champ de l'assurance maladie, elles sont indispensables car le déficit est injustifiable. Le retour à l'équilibre doit en ce domaine être programmé pour 2014 au plus tard. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie doit être respecté année après année, ce qui suppose de poursuivre sans relâche l'effort d'optimisation. La maîtrise des dépenses, aussi nécessaire soit-elle, ne suffira cependant pas. La question du financement des dépenses de santé, très présente avant la crise mais quelque peu oubliée depuis, devra être rapidement reposée. Il faudrait envisager une hausse de la participation des assurés qui ne remette pas en cause l'accès aux soins des plus démunis.

Le ralentissement indispensable de la croissance des dépenses ne suffira pas à rééquilibrer rapidement les comptes des administrations publiques. Une augmentation des recettes est inévitable, au moins temporairement. Elle doit passer prioritairement par une réduction du coût des dépenses fiscales et des niches sociales. Certaines d'entre elles ont certainement une utilité, mais leur prolifération depuis quelques années présente de multiples inconvénients en termes d'efficacité et d'équité. Les mesures votées l'automne dernier en réduiront le coût de 10,8 milliards d'euros en 2012. L'effort devrait être deux fois plus important et réparti, pour des montants équivalents, entre niches fiscales et sociales. La Cour présente dans son rapport une liste de mesures pouvant être partiellement ou totalement remises en cause, et dont le coût total s'élève à 27 milliards d'euros. Le Conseil des prélèvements obligatoires a également indiqué quelques pistes.

Au-delà de l'élargissement de l'assiette, une révision de la structure des prélèvements obligatoires est nécessaire pour augmenter les recettes publiques, tout en améliorant la compétitivité des entreprises afin de soutenir la croissance potentielle et en partageant équitablement les efforts. Nous prolongeons sur ce point notre rapport de mars dernier sur la comparaison des prélèvements obligatoires en France et en Allemagne.

Les comparaisons internationales font apparaître des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur le coût du travail déjà élevés en France, au détriment de la compétitivité des entreprises et de l'emploi. Non seulement, il est difficile de les alourdir, mais certaines taxes payées par les entreprises sur leur masse salariale pour financer des politiques publiques spécifiques pourraient être remplacées par des prélèvements sur des assiettes plus larges.

Des marges existent en matière de fiscalité indirecte et environnementale. Ainsi, notre rapport France-Allemagne a souligné qu'un alignement du taux réduit de TVA et de son champ d'application sur le régime qui prévaut en Allemagne se traduirait par une recette supplémentaire de 15 milliards d'euros. Ses éventuels effets dégressifs sur la distribution des revenus pourraient être compensés par des aides sociales ciblées sur les ménages aux revenus modestes. Quant aux recettes tirées de la fiscalité environnementale, elles se trouveraient accrues d'environ 10 milliards d'euros si leur poids était aligné sur celui constaté dans le reste de l'Europe.

Le nécessaire rééquilibrage des comptes sociaux passe d'abord par une action sur les dépenses. Si elle s'avérait insuffisante, une hausse de la CSG serait inévitable, et même de la CRDS si notre pays continue à accumuler de la dette sociale après 2012.

En conclusion, la France part d'un déficit supérieur à la moyenne européenne et elle a programmé un redressement progressif de ses finances publiques, fondé pour l'essentiel sur une modération de la dépense. Les mesures à prendre restent pour une grande part à préciser. Le message de la Cour est clair : il faut à la fois expliciter, intensifier et poursuivre les efforts, en ne cédant ni à la tentation du relâchement, ni aux illusions qu'entretiendrait une meilleure conjoncture.

Le programme de stabilité prévoit, en 2012, une réduction de 1,1 point de PIB du déficit et de 1 point du déficit structurel. Le débat d'orientation des finances publiques permettra d'éclairer les choix opérés dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012, afin d'atteindre l'objectif. Il est indispensable d'agir dans le cadre d'une stratégie financière et fiscale de moyen terme globale, équilibrée, continue et cohérente. Il y va de la croissance à long terme de notre économie, et, plus largement, de la capacité de notre pays à rester pleinement maître de ses choix économiques et sociaux. Le défi est bien réel. Beaucoup de chemin reste à faire. Mais, la Cour a la conviction que ce défi peut être relevé. Elle espère que cet audit annuel de nos finances publiques contribuera à une meilleure prise de conscience des enjeux en même temps qu'il fournira des pistes utiles pour l'action.

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