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Intervention de Jean-Luc Préel

Réunion du 22 juin 2011 à 11h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Préel :

Je me réjouis du travail mené par la mission d'information, particulièrement riche et intéressant ; je regrette néanmoins que quelques auditions, dont certaines étaient très importantes, se soient tenues à huis clos.

Sur le fond, le médicament n'est pas un produit comme un autre. Il doit, en principe, soigner, guérir, voire prévenir des maladies. De nombreuses maladies ont disparu et l'état de nombreux malades a été amélioré grâce au médicament.

Mais tout médicament efficace a des effets secondaires et nous devons prendre en compte son rapport bénéficesrisques. La mission d'information a permis de constater que tel n'a pas été le cas pendant fort longtemps du Mediator.

Notre premier devoir est de restaurer la confiance de nos concitoyens dans le médicament, confiance mise à mal par les problèmes liés à la vaccination contre la grippe A(H1N1), le scandale du Mediator et la publication, sans explication, d'une liste de soixante-dix-sept médicaments sous surveillance.

Le « circuit » du médicament est en principe très encadré ; on ne devrait théoriquement pas rencontrer de problème et pouvoir assurer la sécurité sanitaire.

Dès lors, comment expliquer qu'un médicament ait pu rester sur le marché pendant trente-trois ans, être consommé par cinq millions de patients, dont trois millions pendant plus de trois mois, et être prescrit hors de son autorisation de mise sur le marché, comme coupe-faim, dans 80 % des cas en 2008, voire dans 90 % des cas pour les jeunes femmes, en n'ayant guère d'actions bénéfiques tout en entraînant, au contraire, des complications graves, et en ayant fait l'objet de dix-sept signalements sans que les agences sanitaires aient réagi ?

Le but de notre mission d'information était de comprendre les raisons de ces dysfonctionnements et de faire des propositions pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise. Je ne suis pas sûr que celles figurant dans le rapport le permettraient.

Je l'approuve néanmoins globalement, mais avec quelques réserves.

Il nous faut tout d'abord revoir la « chaîne » du médicament et la question de la responsabilité politique. Souvenons-nous que c'est après les scandales du sang contaminé et de la « vache folle » qu'il a été décidé d'éloigner le personnel politique de la prise de décision sanitaire et de confier celle-ci à des experts responsables d'agences. Mais en réalité, au bout du compte, c'est bien le politique qui est responsable et auquel on demande des comptes.

Il est donc indispensable d'améliorer la coordination des agences et d'indiquer clairement que le responsable de la santé, dans notre pays, est bien le ministre chargé de la santé. C'est donc au niveau de son ministère que doit être prévue la coordination.

Peut-on simplifier l'organisation actuelle ? Sans doute. Les éléments essentiels, dans le circuit du médicament, sont le rapport bénéficesrisques et l'amélioration du service médical rendu par rapport aux thérapeutiques existantes et, si possible, la meilleure d'entre elles. Je ne vois pas comment l'on peut distinguer l'un de l'autre. C'est pourquoi j'estime qu'une commission unique devrait être chargée de leur évaluation.

Les décisions ne peuvent bien sûr être prises que sur propositions des experts. Ceux-ci doivent être compétents mais ils doivent aussi être indépendants. Il est souhaitable que l'agence dispose de quelques experts internes, mais force est de faire également appel à des experts externes.

Dès lors, il est nécessaire que les liens d'intérêt soient connus et publiés, que les conflits d'intérêts soient interdits et qu'un expert ne puisse participer aux débats portant sur un médicament et, a fortiori, voter, lorsqu'il a été en relation avec le développement du produit. Nous avons pu constater que tel n'a pas toujours été le cas, malgré le dispositif qui avait été instauré par M. Didier Tabuteau dès la mise en place de l'Agence du médicament.

Il faut en outre rappeler que les conflits d'intérêts ne sont pas uniquement financiers : ils peuvent dépendre d'une « école », de formations, de rivalités ou encore d'amitiés, bien difficiles à éviter.

Doit-on maintenir la commission de la transparence au sein de la Haute Autorité de santé ? Certains le souhaitent, notamment le rapporteur. Pourtant, l'évaluation du rapport bénéficesrisques et celle de l'amélioration du service médical rendu sont très proches et font appel à des experts qui peuvent parfois être les mêmes. L'évaluation du bénéfice doit en outre tenir compte du service médical rendu. Par conséquent, une seule commission chargée de ces deux évaluations, placée au sein de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, me paraît envisageable.

Bien évidemment, les études doivent être menées contre comparateur, et si possible le plus efficace sur le marché. Il me semble aussi nécessaire de rendre obligatoires les études post-autorisation de mise sur le marché, cette autorisation devant être révisée régulièrement, par exemple tous les deux ou trois ans. S'il apparaît qu'un médicament n'est plus efficace ou que son rapport bénéficesrisques devient négatif, il ne doit pas être déremboursé, comme le propose le rapport, mais retiré du marché.

Il est par ailleurs absolument indispensable de renforcer la pharmacovigilance. Les auditions ont clairement démontré que les centres régionaux de pharmacovigilance manquaient de moyens humains et financiers : il convient donc de les renforcer. Il est aussi indispensable de simplifier les déclarations d'effets indésirables. On sait bien que les médecins et les pharmaciens hésitent à procéder à celles-ci : ils ne déclarent que 15 % à 20 % des effets indésirables en raison du caractère extrêmement chronophage et complexe des formalités à remplir.

J'estime aussi nécessaire d'aider les prescripteurs en rendant obligatoire le recours à des logiciels de prescription en dénomination commune internationale, validés par la Haute Autorité de santé et indépendants de l'industrie pharmaceutique.

Il ne serait pas illogique que ce soit le financeur, c'est-à-dire l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, après avis de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire, qui décide du prix du médicament.

La formation initiale des médecins doit absolument être améliorée en intégrant une formation réelle à la pharmacologie et à la thérapeutique qui sont aujourd'hui trop négligées, alors qu'il s'agit de disciplines majeures.

La formation continue doit selon moi devenir obligatoire et être évaluée et financée de manière indépendante ; nous en parlons depuis des années, mais rien n'a pour l'instant été fait.

Le rôle des délégués de l'assurance maladie a déjà été évoqué : il doit bien évidemment être renforcé.

Le rapporteur propose de fusionner l'Institut de veille sanitaire et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. J'y suis tout à fait opposé. En effet, nous sommes très médiocres en matière de prévention et d'éducation pour la santé, deux secteurs qui ont besoin, au contraire, d'être renforcés. Pour être efficace, il convient de s'appuyer sur les associations qui interviennent localement ; la fusion envisagée me paraît être une mauvaise idée.

J'aurai enfin un mot sur le fonds d'indemnisation des victimes du Mediator. Les victimes sont sans doute nombreuses. Il est logique et pertinent de confier à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, dont c'est la mission, le soin de demander à un collège d'experts nationaux de se prononcer en la matière. J'estime néanmoins que nous buterons sur le problème de l'imputabilité des préjudices subis à deux niveaux : d'une part, il sera difficile de prouver la prise de Mediator il y a trente-trois ans ; d'autre part, il sera malaisé d'établir l'imputabilité au Mediator d'une hypertension artérielle pulmonaire ou d'une valvulopathie. Aujourd'hui, de nombreux patients diabétiques essoufflés ou ischémiques ont tendance à penser que leur état est lié à la prise de ce médicament ; je pense qu'un grand nombre seront déçus lorsqu'on leur expliquera que leurs complications sont liées au diabète et non pas au Mediator.

Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 qui nous a été récemment soumis établit la seule responsabilité des Laboratoires Servier. Celle-ci ne fait aucun doute pour moi. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales indique bien que les Laboratoires Servier ont « roulé tout le monde dans la farine » pendant une trentaine d'années. Tout le monde a pu constater que le benfluorex est un dérivé des amphétamines, dont les effets sur le métabolisme sont très proches de ceux de l'Isoméride, et qu'il a été prescrit comme coupe-faim notamment en Italie. Le rôle des Laboratoires Servier et de ses visiteurs médicaux dans les prescriptions hors-autorisation de mise sur le marché me paraît aussi important. En effet, je ne vois pas comment le Mediator aurait pu être prescrit dans près de 80 % des cas comme coupe-faim s'il n'avait pas été dit aux médecins que telle était la nature de ce produit. Le Mediator a été retiré du marché en Italie et en Espagne, mais pas en France. Les Laboratoires Servier ont nié les complications, et reporté ou retardé les études complémentaires.

Le rôle des Laboratoires Servier a donc été déterminant. Mais comment leur faire supporter l'indemnisation des victimes alors que la mission d'information a clairement démontré des dysfonctionnements graves des agences ? Je les rappelle : une autorisation de mise sur le marché sans que les experts ne remarquent que la molécule du Mediator était proche de celle de l'Isoméride, dérivé d'amphétamines ; le rôle des experts dans les commissions et leurs relations avec les Laboratoires Servier ; l'absence de retrait du marché après que le professeur Jean-François Girard, directeur général de la santé, l'eut interdit dans les préparations magistrales ; le retrait du produit du marché en Espagne et en Italie sans que l'agence française ne s'en émeuve ; enfin, dix-sept signalements d'effets indésirables restés sans suite.

Dédouaner les agences sanitaires – et donc l'État – de leur responsabilité me paraît quelque peu étonnant. Il me semble au contraire qu'un partage des responsabilités aurait été plus juste.

Pour conclure, il reste à espérer que ce rapport ne finira pas dans un tiroir et que les prochaines réformes permettront d'éviter qu'un nouveau drame ne se reproduise ; on sait malheureusement ce qui advient bien souvent des rapports…

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