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Intervention de Guy Lefrand

Réunion du 21 juin 2011 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Lefrand, rapporteur :

Deux articles du projet de loi sont encore effectivement en navette : un nouvel article introduit en deuxième lecture au Sénat, l'article 3 bis, issu d'un amendement du Gouvernement visant à mettre le texte en conformité avec la décision QPC du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011 et l'article 6, qui a été modifié par un amendement du groupe socialiste afin de préciser l'organisation territoriale des soins psychiatriques.

S'agissant de l'article 6, la modification introduite vise à compléter les dispositions de l'article L. 3222-1 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant des travaux de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Cette rédaction avait pour objet de préciser les conditions dans lesquelles était accordée la mission de service public d'accueil des personnes en soins psychiatriques sans consentement sur chaque territoire de santé et à renvoyer à un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens le soin de définir la zone géographique dans laquelle chaque établissement exerce ladite mission de service public. L'amendement adopté par le Sénat indique que les modalités de « coordination avec la sectorisation psychiatrique » sont par ailleurs précisées dans le projet d'établissement. Même si cette précision ne me paraît pas indispensable, elle semble de nature à rassurer les établissements de santé sur la mise en oeuvre concrète de la mission de service public. Je n'y vois donc pas d'objection.

En ce qui concerne l'article 3 bis inséré dans le texte suite à la décision QPC du Conseil constitutionnel du 19 juin dernier, l'exposé sommaire de l'amendement du Gouvernement à l'origine de ces dispositions souligne qu'il vise à tirer « les conséquences de cette jurisprudence en prévoyant une disposition à caractère général imposant que, dans tous les cas où intervient un désaccord entre le psychiatre et le représentant de l'État et quel qu'en soit le moment, la mesure d'hospitalisation complète ne puisse être maintenue qu'au bénéfice d'un réexamen psychiatrique devant lui-même conclure au bien-fondé de la mesure. À défaut, le représentant de l'État devra en tirer les conséquences, soit en prononçant la mainlevée de la mesure, soit en ordonnant une mesure de soins ambulatoires ».

La simple lecture de cet argumentaire permet de comprendre que la décision du Conseil constitutionnel pose plusieurs difficultés qu'il eût été loisible au législateur d'étudier plus longuement avant de devoir en transposer les principes dans la loi. Le Conseil constitutionnel n'ayant cependant pas jugé bon de prolonger le délai qu'il avait lui-même laissé au Parlement dans sa décision QPC de novembre 2010 pour mettre les dispositions actuelles du code de la santé publique en conformité avec sa jurisprudence, délai qui expire le 1er août 2011, nous nous retrouvons aujourd'hui contraints de légiférer sous la pression du juge constitutionnel sans disposer d'aucun délai de réflexion. Je regrette que nous soyons placés dans cette situation, qui pose profondément question eu égard au fonctionnement de nos institutions. C'est un risque pour la démocratie de voir quelques personnes nommées imposer l'écriture de la loi à des législateurs élus. Entre la décision du Conseil constitutionnel et les commentaires qui lui sont attachés, il ne reste plus aucune marge de manoeuvre aux élus du peuple. Cela pose, je crois, un véritable problème.

Sur le fond, la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin soulève plusieurs interrogations vis-à-vis des principes de l'hospitalisation d'office, en général, et vis-à-vis des dispositions spécifiques introduites par l'article 3 du projet de loi qui fixe désormais les modalités d'admission en soins psychiatriques sans consentement sur décision du représentant de l'État.

La décision du 9 juin indique que, lorsqu'un psychiatre juge que l'hospitalisation sous contrainte n'est plus nécessaire, seul un autre avis de psychiatre rendu à bref délai infirmant le premier avis peut permettre de maintenir le patient en hospitalisation. En revanche, si le second avis confirme le premier, le préfet doit mettre fin à l'hospitalisation.

Cette décision remet en question les fondements de l'hospitalisation d'office, le préfet ayant jusqu'à présent le dernier mot, quelles que soient les propositions du psychiatre, qu'il s'agisse de la levée de la mesure de soins ou de sa transformation d'une hospitalisation complète en mesure de soins ambulatoires. Cette prééminence du préfet n'avait d'ailleurs pas été remise en cause par la loi de 1990.

Ce point aurait pu, à lui seul, justifier une réflexion d'ensemble sur la philosophie de l'hospitalisation d'office, sur l'importance respective des considérations d'ordre sanitaire et des considérations d'ordre public ainsi que sur le rôle du préfet.

Etant donné les délais dans lesquels la discussion sur le projet de loi est enfermée, il est compréhensible que le Gouvernement n'ait pas souhaité ouvrir un tel débat. Plusieurs questions se posent néanmoins.

Tout d'abord, l'article 3 tel qu'adopté par les deux assemblées ne prévoit pas de second avis pour confirmer la proposition d'un psychiatre ; il prévoit, en revanche, que si un psychiatre recommande la levée d'une mesure de soins sous forme d'hospitalisation complète (c'est-à-dire la fin d'une mesure de soins qui avait lieu à l'hôpital) et que le préfet refuse, le juge est automatiquement saisi. C'est une disposition que nous avions introduite à l'Assemblée nationale en première lecture à l'article L. 3213-5.

Ensuite, l'article 3 prévoit des dispositions renforcées pour les personnes séjournant ou ayant séjourné en unités pour malades difficiles (UMD) et les irresponsables pénaux. D'une part, aux termes du II bis de l'article L. 3213-1, le préfet ne peut dans leur cas modifier la forme de prise en charge sans avis du collège prévu à l'article L. 3211-9. D'autre part, en vertu de l'article L. 3213-8, il ne peut ordonner la levée de la mesure de soins qu'après avis de ce même collège et deux avis concordants d'experts.

L'article 3 bis adopté pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel soulève lui-même plusieurs interrogations.

Sur la forme tout d'abord, on remarquera en premier lieu que les dispositions du chapitre III figurant à l'article 3 du projet de loi ne sont pas directement modifiées mais qu'elles sont complétées par un nouvel article L. 3213-9-1, qui en modifie néanmoins la portée. Cet article L. 3213-9-1 ne se réfère, en outre, que peu ou pas aux autres dispositions du chapitre III et ne règle pas de manière très claire la question de sa coordination avec certaines d'entre elles. On notera toutefois que l'article L. 3213-11 renvoie à un décret en Conseil d'État pour déterminer autant que de besoin les modalités d'application du chapitre III : on peut donc espérer qu'un certain nombre de précisions soient apportées par ce biais.

Sur le fond, l'article 3 bis propose une lecture de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans la droite ligne de l'interprétation faite par le Gouvernement de la décision QPC de novembre 2010. Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel vise les cas où le psychiatre considère que l'hospitalisation n'est plus nécessaire, l'article 3 bis vise bien à la fois les cas où le psychiatre considère que l'hospitalisation, c'est-à-dire la mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, n'est plus nécessaire, et les cas dans lesquels le psychiatre propose une modification de la forme de prise en charge pour passer d'une hospitalisation complète à une prise en charge ambulatoire. L'exposé sommaire de l'amendement, dont sont issues ces dispositions, précise à cet égard qu'elles s'appliquent dans « tous les cas où intervient un désaccord entre le psychiatre et le représentant de l'État ».

De même, s'agissant de la levée de l'hospitalisation, celle-ci est interprétée comme pouvant s'apparenter soit à la levée pure et simple de la mesure de soins, soit à la modification de la forme de prise en charge du patient, le choix étant laissé à l'appréciation du préfet qui conserve ainsi une certaine marge de manoeuvre. Toutefois, en cas de modification de la forme de prise en charge, il convient de rappeler que le programme de soins est établi par un psychiatre de l'établissement d'accueil.

Enfin, l'avis du second psychiatre doit être rendu dans un délai maximal de 72 heures, afin de respecter la notion de « bref délai ».

Il semble donc que les dispositions prévues au premier alinéa de l'article L. 3213-9-1 soient à même de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel. Demeurent néanmoins la question de leur compatibilité avec les autres dispositions du chapitre III et en particulier celles de l'article L. 3213-5.

Ainsi, en l'absence de coordination entre les deux articles, lorsqu'un psychiatre proposera à l'avenir la levée d'une mesure de soins sous la forme d'une hospitalisation complète qu'un préfet refusera, le directeur de l'établissement de santé sera tenu de mettre en oeuvre deux procédures parallèles : saisir un second psychiatre pour avoir un nouvel avis et, dans le même temps, saisir le juge des libertés et de la détention.

A supposer que le second psychiatre – qui dispose d'un délai de 72 heures pour se prononcer – confirme l'avis du premier, et que le préfet prononce la levée de la mesure de soins ou sa transformation en soins ambulatoires, qu'advient-il de la saisine du juge ? Celle-ci devient-elle caduque ? En revanche, si le second psychiatre ne confirme pas l'avis du premier et que l'hospitalisation complète est maintenue, le juge devrait vraisemblablement rester saisi. Toutefois, le contentieux se déplace alors d'un désaccord entre le psychiatre et le préfet, c'est-à-dire entre la logique sanitaire et la logique sécuritaire, entre lesquelles le juge doit trancher en tant que gardien des libertés individuelles, à un désaccord entre deux psychiatres. Est-ce bien le rôle du juge que d'intervenir dans ce cas ? Le Gouvernement devra nous éclairer en séance sur ce point.

Enfin, s'agissant du dernier alinéa de l'article L. 3213-9-1, il concerne les personnes déclarées pénalement irresponsables ainsi que celles séjournant ou ayant séjourné en UMD. Dans leur cas, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne s'applique que dans une mesure limitée, les dispositions introduites se bornant à préciser que le préfet lève la mesure de soins ou la transforme en soins ambulatoires « si chacun des avis et expertises prévus à l'article L. 3213-8 constate que la mesure n'est plus nécessaire ». De ce point de vue, ce ne sont donc pas un mais trois avis de confirmation qui sont nécessaires. Comme l'indique toutefois l'exposé sommaire de l'amendement gouvernemental, ces personnes « sont dans une situation différente et font l'objet de dispositions spécifiques » : c'est le raisonnement sur lequel repose le projet de loi, considérant qu'il existe un intérêt général suffisant justifiant un traitement particulier de ces deux catégories de patients. On peut toutefois s'interroger sur la compatibilité entre ces différents avis et l'impératif de réexamen de la situation des intéressés « à bref délai » qui devrait néanmoins leur être également applicable : là aussi, le Gouvernement devra s'en expliquer en séance.

En conclusion, si le choix opéré par le Gouvernement, dans l'urgence, de ne pas rouvrir le débat sur l'article 3, tout en introduisant par le biais d'un article additionnel une nouvelle disposition modifiant sa portée, ne peut que susciter des réserves. Je constate que le Conseil constitutionnel a placé le Parlement dans une situation impossible où il ne peut qu'apporter son soutien à cette disposition qui a pour objet de conformer le projet de loi aux exigences constitutionnelles. Je constate qu'aucun amendement n'a d'ailleurs été déposé sur ce texte : j'ai ainsi d'autant moins de mal à demander à la commission, en dépit de ces réserves, de bien vouloir adopter sans modification le texte adopté par le Sénat.

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