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Intervention de Tony Dreyfus

Réunion du 15 juin 2011 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaTony Dreyfus, rapporteur :

La criminalité ne connaissant pas de frontières, il est essentiel que les Etats pratiquent l'entraide judiciaire en matière pénale de la manière la plus large possible. La France a ainsi conclu des accords bilatéraux dans ce domaine avec plusieurs dizaines d'Etats ; elle est aussi partie à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1959 élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe et peut se prévaloir des normes communautaires en vigueur.

Ces instruments de droit international doivent être régulièrement révisés afin d'être adaptés aux nouvelles formes de criminalité et à l'évolution des méthodes et technologies permettant de les combattre. Alors que l'Union européenne a établi une nouvelle convention en 2000, la convention du Conseil de l'Europe n'a pas été modifiée depuis un protocole additionnel de 1978. Le deuxième protocole additionnel, dont le présent projet de loi vise à autoriser la ratification par le gouvernement français, a pour objet de compléter et moderniser la convention de 1959, en s'inspirant fortement de la convention de l'Union européenne de 2000, qui n'est, pour l'heure, en vigueur que dans certains Etats membres.

La convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1959 concerne les commissions rogatoires en vue, par exemple, de l'audition de témoins ou d'experts, la remise d'actes de procédure et de décisions judiciaires, les citations à témoins, à experts ou à détenus, ainsi que la communication de renseignements figurant au casier judiciaire. Quarante-huit Etats sont actuellement parties à cette convention : les quarante-sept Etats membres du Conseil de l'Europe, ainsi que l'Etat d'Israël. Elle a été complétée par un protocole additionnel signé le 17 mars 1978, qui a supprimé la possibilité offerte par la convention de refuser l'entraide judiciaire pour des infractions fiscales et a étendu la coopération internationale. Enfin, il a complété l'échange de renseignements relatifs au casier judiciaire. Plus contraignant que la convention, il n'est en vigueur qu'entre quarante Etats membres du Conseil de l'Europe.

Il s'avère particulièrement difficile de faire le bilan de la mise en oeuvre de la convention de 1959, notamment parce que des instruments communautaires sont venus la remplacer et la compléter. Ceux-ci, transposés en droit français notamment par la loi dite « Perben 2 », ont eu pour effet de simplifier le circuit des demandes d'entraide en le décentralisant. Il appartient désormais au juge ou au procureur de la République d'adresser directement sa demande à la juridiction étrangère concernée. Cette procédure est utilisée dans de nombreuses affaires.

Le protocole additionnel à la convention de 1959 reprend une grande partie des avancées contenues dans la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne, signée 29 mai 2000. Cette convention autorise la mise en oeuvre de nouveaux procédés de coopération en matière pénale comme les auditions par visioconférence, l'interception de communications téléphoniques avec des portables utilisés dans un autre Etat, la création d'équipes communes d'enquête, la réalisation d'enquêtes discrètes. Ses stipulations ne s'appliquent actuellement qu'entre les neuf États européens suivants : l'Autriche, Chypre, l'Espagne, la Finlande, la France la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne et le Portugal.

Le protocole additionnel, auquel vingt-deux Etats sont aujourd'hui parties et qui a été signé par quatorze autres, permettra d'améliorer la coopération entre la France et des Etats de deux types :

– les huit Etats membres de l'Union européenne qui n'appliquent pas encore la convention de 2000 mais sont parties au protocole additionnel (soit la Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, la Lettonie, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie), ainsi que la Suisse, partie au protocole additionnel et qui bénéficiera d'accords particuliers quand la convention de 2000 sera entrée en vigueur entre tous les Etats de l'Union ;

– les huit Etats parties au deuxième protocole qui ne sont ni membres de l'Union européenne ni liés à elle par des accords spécifiques en matière d'entraide judiciaire pénale : ce sont les cinq États de l'ex-Yougoslavie, l'Albanie, l'Arménie et Israël.

Venons-en au contenu du protocole additionnel. Le chapitre Ier du protocole modifie la convention de 1959, tandis que les différents articles du chapitre II la complètent sans s'y intégrer afin d'une part de développer des formes traditionnelles d'entraide, d'autre part d'en introduire de nouvelles.

Parmi les modifications apportées à la convention de 1959, on peut citer l'obligation d'accorder l'entraide judiciaire « dans les meilleurs délais », l'extension des cas dans lesquels le transfert d'une personne détenue peut être demandée et l'assouplissement du formalisme des demandes, qui pourront par exemple être envoyée par voie électronique.

Pour favoriser le développement des formes traditionnelles d'entraide, le protocole additionnel comporte des stipulations relatives à la possibilité de reporter l'exécution des demandes d'entraide (plutôt que de la refuser), au respect du formalisme dans la transmission spontanée d'informations, à la restitution du produit des infractions, aux langues des actes de procédures et décisions judiciaires à remettre, à la remise par voie postale des actes de procédure, à la protection des témoins, aux mesures provisoires, à la confidentialité et à la protection des données.

Les nouveaux modes de coopération mis en place par la protocole sont l'audition par vidéoconférence et conférence téléphonique, le transfèrement, dans le cadre de l'entraide, des personnes condamnées, l'observation transfrontalière, les livraisons surveillées, les enquêtes discrètes et les équipes communes d'enquête. Pour tous ces nouveaux instruments, le protocole autorise leur utilisation et pose les principes que celle-ci doit respecter.

La législation française permet d'ores et déjà l'utilisation de ces méthodes. La seule qu'elle exclut est l'utilisation de la vidéoconférence pour l'audition de personnes devant la juridiction qui doit les juger : comme le protocole le lui permet, la France fera une déclaration par laquelle elle écartera cette possibilité. Elle émettra aussi une réserve pour empêcher la mise en oeuvre, sur le territoire national, de l'observation transfrontalière « d'urgence » qui ouvrirait la possibilité, pour des agents étrangers, de pénétrer en France sans autorisation préalable des autorités nationales ; seule l'observation transfrontalière « ordinaire », qui requiert cette autorisation préalable, s'appliquera dans notre pays au profit des Etats parties au protocole.

Le retard dans l'entrée en vigueur, entre tous les Etats membres de l'Union et les Etats qui lui sont associés, de la convention communautaire de 2000 renforce l'utilité de ce deuxième protocole additionnel, dont la valeur ajoutée devait à l'origine être limitée aux Etats parties à la convention de 1959 et non membres de l'Union européenne. En dépit des avancées qu'il contient, il ne faut pas surestimer les changements que ce nouveau cadre juridique international va entraîner dans les pratiques des Etats. Le principal frein à la coopération internationale en matière pénale réside en effet dans les différences de tradition juridique selon les Etats, même européens. Et il n'est pas rare que la justice d'un Etat annonce le lancement de procédures dans un autre Etat, alors même que ce dernier n'est nullement en mesure de les mettre en oeuvre, ce qui sème une confusion certaine, parfois encore accrue par la coexistence de normes internationales concurrentes.

Le Sénat a adopté le présent projet de loi le 10 mars 2011. Je suis favorable à ce que notre Assemblée fasse de même.

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