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Intervention de Jacqueline Fraysse

Réunion du 14 juin 2011 à 21h30
Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Je ne donne pas de leçons ; je constate et note que personne, dans la majorité, ne propose de modifier cette situation.

Force est de constater aussi que le mouvement que je viens d'évoquer a été accentué ces dix dernières années et qu'il n'a nullement été entravé par la crise.

Ainsi le journal bien peu révolutionnaire L'Expansion a calculé que, entre 2003 et 2009, le montant des dividendes par action au sein des entreprises du CAC 40 a augmenté de 462 % quand la masse salariale par salarié dans les mêmes entreprises ne croissait que de 19 %. Chez Bouygues, les dividendes ont progressé de 241 % et la masse salariale de 24 %. Chez L'Oréal, les dividendes perçus par Mme Bettencourt et les autres actionnaires ont augmenté de 105 % quand les salaires ne progressaient que de 2 %. À Sanofi, la masse salariale par salarié a même baissé de 2 % quand les dividendes étaient multipliés par deux. J'ajoute que, ces dernières années, Sanofi a supprimé près de 3 000 emplois et dépense aujourd'hui plus d'argent pour satisfaire ses actionnaires que pour la recherche.

Encore une fois, il s'agit d'un mouvement de fond que n'a pas entravé la crise puisque les dividendes ont maintenu leur niveau en 2009, avant de progresser de 13,7 % en moyenne en 2010. Telle est l'incontestable réalité.

Si la crise a eu des conséquences dramatiques pour les salariés dont les salaires ont stagné quand ils n'ont pas perdu leur emploi, elle a, vous le voyez, très peu concerné les actionnaires. C'est la magie des dividendes, censés récompenser la prise de risque des spéculateurs : en fait, on gagne à tous les coups, même quand les résultats sont mauvais !

Ils sont là, monsieur le ministre, les véritables assistés : ce sont les actionnaires et vous feriez mieux de vous occuper d'eux plutôt que de ceux qui sont contraints, par vos choix politiques, de vivre avec le RSA.

Même Jean Peyrelevade, ancien PDG du Crédit lyonnais, considère que les actions ne devraient pas rapporter plus de 3 à 5 % nets d'inflation. Selon lui, au-delà, c'est de la prédation. Or les investisseurs réclament une rémunération de 15 % minimum. Le moins que l'on puisse dire est que cette euphorie des actionnaires cadre mal avec la revalorisation du travail promise par le Président de la République. Non seulement les rentiers s'enrichissent plus et beaucoup plus même, que ceux qui travaillent, mais ils le font sur le dos de ces mêmes travailleurs.

À un an de l'élection présidentielle, un geste s'imposait donc face à cette situation ; non pas une action de fond pour desserrer l'emprise de la bourse sur l'économie réelle, mais, comme de bien entendu, une action de communication censée suffire à redorer votre blason.

Ainsi le Président a d'abord promis de contraindre les entreprises à augmenter les salaires de leurs employés lorsqu'elles versaient des dividendes à leurs actionnaires. C'était une bonne idée. On a ensuite parlé d'une simple prime de 1 200 puis de 1 000 euros plutôt que d'une augmentation de salaire. Finalement, la montagne a accouché non seulement d'une souris, mais surtout d'une injustice de plus.

D'abord, ce texte est inutile : inutile car les dispositifs en vigueur relatifs à la participation et à l'intéressement permettent de verser de telles primes, d'ailleurs déjà exonérés de cotisations sociales – donc rien de nouveau à l'horizon ; inutile aussi parce qu'il ne résout pas la question fondamentale de l'effritement du pouvoir d'achat ni celle, tout aussi essentielle, de la pression que font peser les actionnaires sur l'économie réelle.

Surtout, ce projet est injuste pour les salariés puisque seuls ceux des entreprises de plus de 50 salariés qui versent des dividendes à leurs actionnaires, ces dividendes étant en augmentation par rapport aux années précédentes, pourront prétendre à une prime, ce qui devrait concerner au mieux 3 millions de personnes sur 24 millions de salariés.

Quant à son montant, il devra faire l'objet d'une discussion avec les représentants des salariés. Toutefois, en cas d'échec de cette négociation, il pourra être fixé unilatéralement par les chefs d'entreprise. Il sera par ailleurs possible de le moduler en fonction du niveau de salaire ou de l'ancienneté. Le rapport d'évaluation préalable annexé au projet de loi croit pouvoir prédire que son montant moyen sera de 700 euros ; décidément, il baisse tous les jours.

Cette prime, enfin, sera exonérée de cotisations sociales ; il s'agira donc, au passage, d'un nouveau petit cadeau – au détriment des comptes sociaux – pour ces grosses entreprises dont les dividendes distribués explosent. Et vous appelez cela justice sociale !

Vu que rien ne distinguera donc ce dispositif de ceux d'intéressement et de participation en vigueur, la seule véritable nouveauté réside dans le fait qu'il concernera beaucoup moins de salariés.

Injuste pour les salariés, cette disposition le sera aussi pour les entreprises elles-mêmes, puisqu'elle ne concernera pas celles qui distribuent des dividendes indécents, mais uniquement celles qui augmentent leurs dividendes. On peut prévoir des conséquences collatérales : les entreprises qui, malgré la crise, ont maintenu de hauts niveaux de dividendes seront donc moins sanctionnées que celles qui ont baissé leurs dividendes pendant la crise et qui les augmentent maintenant.

Soulignons enfin les limites de ce dispositif, que de grands patrons ont d'ores et déjà déclaré vouloir contourner.

Telle est la réalité concrète. Il faut ajouter que la prime ne concernera pas les salariés des entreprises sous-traitantes, rarement cotées en bourse et qui subissent, en cascade, les impératifs de rentabilité imposés par les actionnaires à leurs donneurs d'ordre. En outre, cette prime n'étant pas un salaire, elle n'ouvrira aucun droit pour une retraite future et ne participera pas au financement de la sécurité sociale.

Vous avez sans doute remarqué – on vous l'a en tout cas rappelé – que ce texte est unanimement rejeté par des organisations respectables et que, espérons-nous, vous respectez : les syndicats, le conseil d'administration de l'ACOSS, celui de la branche famille, celui de la branche vieillesse et celui de la branche maladie de la sécurité sociale. Une belle réussite pour le Gouvernement !

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