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Intervention de Étienne Blanc

Réunion du 1er juin 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, rapporteur :

Faisant suite au rapport d'information Sondages et démocratie rédigé par un groupe de travail ad hoc au nom de la Commission des lois du Sénat, la présente proposition de loi, déposée au mois d'octobre 2010, résulte d'une réflexion sur l'opportunité d'une adaptation de la loi du 19 juillet 1977, qui définit, aujourd'hui encore, le cadre juridique pour la réalisation des sondages d'opinion – même si des modifications ont été apportées, essentiellement par la loi du 19 février 2002.

Cette loi s'applique à tout sondage publié ou diffusé « ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l'une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu'avec l'élection des représentants au Parlement européen ». Dans sa jurisprudence, la commission des sondages a retenu une conception extensive de ce champ d'application pour les périodes précédant les élections, plus restrictive au lendemain de celles-ci.

La loi de 1977 impose plusieurs obligations à l'organisme ayant réalisé un sondage. Avant la publication ou la diffusion de celui-ci, il doit déposer auprès de la commission des sondages un document, appelé communément « notice méthodologique », donnant un certain nombre d'informations sur la manière dont a été réalisé le sondage. Il doit en outre tenir à la disposition de la commission les documents sur la base desquels le sondage a été publié ou diffusé. L'organisme qui publie ou diffuse le sondage doit, quant à lui, faire état de plusieurs mentions légales, établies sous la responsabilité de l'organisme ayant réalisé le sondage.

La loi de 1977 a également institué la commission des sondages, organisme chargé d'étudier et de proposer des règles tendant à assurer l'objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés. Elle est composée de neuf hauts magistrats et, depuis la loi du 19 février 2002, de deux personnalités qualifiées. La commission peut imposer la publication de mises au point aux organes d'information qui auraient publié ou diffusé des sondages en violation des dispositions légales.

Enfin, la loi de 1977 prévoit des dispositions spéciales applicables en période électorale ; elle interdit, notamment, la publication et la diffusion de tout sondage la veille et le jour du scrutin.

Plus de trente ans après la première loi sur les sondages, certaines évolutions conduisent à s'interroger sur l'opportunité de procéder à une modification du cadre juridique en vigueur.

Depuis la réalisation des premiers sondages d'opinion, dans les années 1930, cette pratique n'a cessé de se développer ; en France, le nombre des sondages publiés a doublé entre 1980 et 2000. Surtout, sous l'effet de l'internationalisation de l'information et de l'essor des nouvelles technologies, les sondages ont changé de nature. On note ainsi une multiplication des enquêtes « en ligne », dont les méthodes d'élaboration divergent parfois de celles utilisées d'ordinaire ; certains sondages, réalisés dans d'autres pays, sont relayés par les médias français ; plus généralement, Internet joue un rôle croissant dans l'information des citoyens.

On observe par ailleurs une exigence de transparence accrue, ce qui témoigne d'une attention nouvelle portée aux conditions de réalisation des sondages.

Enfin, se pose la question d'une éventuelle modernisation des instances de régulation des politiques publiques, notamment de la commission des sondages.

Pour faire face à ces enjeux, il existait d'autres solutions que l'intervention législative. Plusieurs pays ont ainsi choisi d'encadrer la pratique des sondages par des mécanismes d'autorégulation.

En Grande-Bretagne, les principaux instituts de sondage ont créé, en 2004, le British Polling Council (BPC). Cet organisme, dont les instances regroupent des représentants des instituts de sondage, des journalistes et des universitaires, est chargé de définir les règles de bonne pratique et d'instruire d'éventuelles plaintes.

En Allemagne, le syndicat professionnel des études de marché a élaboré une directive sur la publication des sondages d'opinion ; les éventuels litiges relèvent du processus disciplinaire conçu pour traiter les plaintes concernant l'ensemble des études de marché.

Aux États-Unis, un organisme spécifique, le National Council on Public Polls (NCPP), créé en 1969 par 17 instituts de sondage, définit les règles de bonne pratique en matière de publication des sondages d'opinion et exerce un pouvoir disciplinaire.

Aux Pays-Bas, des règles de bonne conduite ont été élaborées par le syndicat professionnel des études de marché et d'opinion.

Au Canada, la loi électorale se contente de préciser la liste des informations techniques devant être publiées par les médias.

En Suisse, le Conseil fédéral a renoncé en novembre 2010 à élaborer un cadre légal visant à réglementer la publication des sondages d'opinion, jugeant que cela était contraire aux principes de la liberté d'opinion et de la liberté de la presse.

Si force est de constater que de tels dispositifs d'autorégulation sont étroitement liés à l'existence de traditions juridiques particulières, ces exemples montrent qu'il n'est pas toujours nécessaire de recourir à une loi pour encadrer l'ensemble des pratiques en matière de sondages – d'autant plus que l'on dispose déjà, en France, de la jurisprudence de la commission des sondages.

La présente proposition de loi vise trois objectifs principaux.

Il s'agit en premier lieu de rendre plus sincères et transparents les sondages à caractère politique ou électoral. Alors que la loi du 19 juillet 1977 ne donnait pas de définition du sondage, le nouveau texte le caractérise comme « une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon représentatif de celle-ci, qu'il soit constitué selon la méthode des quotas ou selon la méthode aléatoire ». Il étend par ailleurs le champ d'application de la loi à l'ensemble des sondages politiques, au-delà de ceux ayant un rapport direct ou indirect avec un scrutin, et interdit aux personnes interrogées de recevoir une gratification, de quelque nature que ce soit. Parmi les indications qui devront accompagner la première publication ou la première diffusion d'un sondage figureront désormais « le nom et la qualité du commanditaire du sondage ou de la partie du sondage, ainsi que ceux de l'acheteur s'il est différent », de manière à avoir une meilleure connaissance de tous les maillons de la chaîne du sondage. Les marges d'erreur devront également être indiquées, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que la notice méthodologique accompagnant le sondage sera systématiquement mise en ligne par la commission des sondages, et qu'elle mentionnera les critères précis de redressement des résultats bruts.

Le deuxième objectif est de renforcer la cohérence du dispositif. À cet effet, le texte prévoit que les hypothèses testées dans un sondage relatif au second tour d'une élection, publié ou diffusé avant le premier tour, devront tenir compte des données qui résultent d'un sondage de premier tour, obligatoirement publié ou diffusé en même temps. Il tend par ailleurs à clarifier le dispositif pénal existant et à en étendre la portée.

Afin de renforcer la légitimité et l'efficacité de la commission des sondages, la proposition de loi érige celle-ci en « autorité administrative indépendante » et en modifie la composition : la part des personnalités qualifiées augmente, les mandats ne sont plus renouvelables et le régime des incompatibilités est renforcé. En outre, la commission reçoit la compétence de présenter, dans le mois précédant un scrutin, des observations relatives à la méthodologie d'élaboration d'un sondage, qui devront accompagner la publication ou la diffusion de ce dernier. Enfin, la visibilité des mises au point ordonnées a posteriori par la commission est renforcée.

Au total, le texte adopté par le Sénat introduit de nombreuses modifications. Si certaines de ces mesures méritent d'être saluées, d'autres soulèvent à la fois des difficultés pratiques et des questions de principe.

L'extension du champ d'application de la loi à l'ensemble des sondages politiques suscite ainsi de fortes interrogations. Que recouvre, exactement, la notion de « débat politique » ? Qui plus est, la jurisprudence de la commission des sondages permet déjà une modulation du champ d'application de la loi. Sur ce point, le Gouvernement comme la commission des sondages ont signalé des obstacles d'ordre constitutionnel.

Par ailleurs, pourquoi vouloir interdire toute gratification, sachant que les montants en jeu sont symboliques, mais indispensables si l'on veut constituer des panels, et qu'ils n'ont aucune incidence sur le résultat du sondage ?

Le dispositif prévoyant la présentation a priori d'observations sur les sondages soulève des difficultés considérables au regard des principes de la liberté d'expression et de la liberté de la presse inscrits dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et dans la Convention européenne des droits de l'homme – ce que nous ont confirmé les juristes que nous avons interrogés. Il pose également des problèmes pratiques, en raison notamment de la perte de « fraîcheur » des sondages, pour reprendre l'expression consacrée. Par ailleurs, le délai prévu pour la procédure de contrôle sera-t-il suffisant pour garantir un débat contradictoire et respecter les droits de la défense des personnes mises en cause ?

De même, l'encadrement des sondages de second tour soulève des questions de compatibilité avec le respect des principes de la liberté de la presse et de la liberté d'expression – bien qu'il convienne d'attirer l'attention de nos concitoyens sur le caractère peu réaliste de certaines hypothèses. Je présenterai donc un amendement proposant une autre solution pour satisfaire à cette préoccupation.

L'obligation de diffusion des critères de redressement des résultats bruts fait également problème, même si elle répond à une exigence de transparence que je partage. Sur son site Internet, la commission des sondages souligne le risque d'atteinte au secret industriel en cette matière. Il faut en outre s'interroger sur le préjudice commercial qu'une telle mesure pourrait causer à l'organisme concerné. En outre, quel intérêt y aurait-il à transmettre les données techniques à tout un chacun, alors que la commission des sondages disposera d'une information exhaustive sur les sondages publiés ?

Enfin, l'information sur les marges d'erreur semble difficile à mettre en oeuvre, du moins si l'on veut qu'elle ne soit pas trop complexe. Je présenterai un amendement tendant à répondre à cette préoccupation de lisibilité.

Je ne doute pas que la discussion permettra d'aboutir à des solutions équilibrées, répondant aux exigences de sincérité, de cohérence et d'efficacité affirmées par le Sénat, mais dans le respect des grands principes démocratiques et des impératifs pratiques, qui, seuls, peuvent présider à l'élaboration d'une législation juste et efficace en matière de réglementation des sondages.

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