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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 25 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Chacun se souvient que France Télécom a été – et demeure – un dramatique cas d'école démontrant que l'organisation du travail est la source des troubles psychosociaux au travail, jusqu'à leur forme la plus terrible qu'est le suicide. On comptait vingt-quatre suicides de salariés de cette entreprise lorsque le groupe des députés communistes, républicains et du parti de gauche ont déposé, en 2009, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sur la santé des salariés des restructurations permanentes, des nouvelles formes d'organisation du travail et méthodes de gestion du personnel à France Télécom comme dans l'ensemble des secteurs de l'économie nationale. Votre majorité a refusé de l'adopter au prétexte qu'une telle initiative aurait stigmatisé une entreprise confrontée à la dure concurrence internationale.

Nous pensons, pour notre part, que France Télécom illustre malheureusement la trajectoire de nombreux autres entreprises ou organismes privatisés, convertis à la « révolution managériale » et « passés d'une culture de service public à une machine à cash », selon l'expression de M. Ivan du Roy. Pour cette raison, le droit de regard du législateur aurait dû s'exercer pour éclairer différemment la situation de Pôle emploi ou de La Poste, confrontés aujourd'hui aux mêmes processus d'épuisement physique et psychique de salariés déboussolés par des stratégies auxquelles ils n'adhèrent pas, contraints de se trahir eux-mêmes et minés par un discours paradoxal sur le travail prescrit et le travail réel.

Certes, sur le papier, les méthodes de management de France Télécom ont changé, mais, au fond, la stratégie de l'entreprise reste la même : courir après une rentabilité maximale. Comme l'a souligné Mme Brigitte Font le Bret, médecin du travail, « France Télécom doit s'attaquer au coeur du problème : la rentabilité et les profits ».

La situation est tout aussi préoccupante à la SNCF, à Pôle emploi ou à La Poste où les réorganisations en chaîne, les baisses d'effectifs et les changements de métier ont manifestement un impact sur la vie, la santé et le moral des salariés. Pour l'année 2009, Force ouvrière a recensé pas moins de soixante-dix suicides pour un total de deux cent quatre-vingt-dix mille postiers !

Je regrette que la question de l'imputabilité à l'employeur des suicides et des pathologies liées au stress, pourtant au coeur du débat, n'ait pas trouvé sa place dans le rapport de la mission d'information qui évacue ou aborde trop superficiellement de nombreuses autres problématiques essentielles pour prendre la mesure de l'ampleur du phénomène des troubles psychosociaux. Ce rapport privilégie de fausses bonnes solutions et préfère la gestion des risques psychosociaux à leur prévention primaire, et même l'inaction lorsqu'il s'agit de réparer les altérations de la santé mentale et physique liées au travail.

Je le déplore : c'est un rapport frileux qui fait l'impasse sur des questions essentielles, pourtant soulevées ou confirmées à l'occasion des auditions auxquelles a procédé la mission d'information. Il en reste à une description succincte et incomplète des transformations du travail à l'origine de ce que Mme Marie Pezé a appelé « l'appauvrissement des gestes de métier » ; il n'étudie pas correctement la perte de sens et le mal-être ressentis par les salariés qui donnent de leur personne sans que leur travail ne soit, en retour, reconnu, comme l'ont pourtant souligné de nombreux témoignages.

Je regrette que certaines questions n'aient pas fait l'objet de développements alors qu'elles ont été fréquemment mentionnées comme étant les causes des risques psychosociaux par les personnes auditionnées. Je pense ainsi à la montée de la précarité, à la peur du chômage, au poids des suppressions d'emplois, à l'impact des restructurations permanentes ou encore aux changements de statut et de périmètre des entreprises ; je pense enfin au lien entre la financiarisation de notre économie et le développement du « mal-travail ».

Je regrette qu'il n'ait pas été fait mention des éclairages de M. Christophe Dejours sur la centralité du travail dans la construction de l'individu, la mise en concurrence généralisée des salariés et leur solitude dans le monde du travail qui est d'autant plus importante que les stratégies collectives de défense n'existent plus. Le travail est le grand absent de ce rapport, auquel manque aussi une analyse du monde du travail, fait de rapports de force et de conflictualité, comme l'a rappelé devant la mission d'information la sociologue Mme Danièle Linhart.

Au lieu d'analyser le problème à la source, en étudiant les nouvelles modalités d'organisation du travail, le rapporteur a pris le parti de s'intéresser à la gestion de leurs conséquences – les risques psychosociaux –, et non pas à la prévention. C'est le défaut majeur du rapport.

Par ailleurs, les médecins du travail y sont trop ignorés alors qu'ils sont des acteurs majeurs de la prévention des altérations de la santé des salariés. Nous sommes en total désaccord avec l'analyse du rapporteur concernant la réforme en cours. Les auditions l'ont montré : il existe une vraie différence de conception du rôle du médecin du travail entre les organisations patronales d'une part et les organisations syndicales et de médecins d'autre part. Devant la mission d'information, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises a indiqué tenir à « l'adaptation de l'homme au travail » et a vanté les mérites de la seule « visite médicale d'embauche comme étant un a priori important » ! Mais plus nombreux ont été ceux qui ont insisté sur la nécessité de garantir l'indépendance des médecins du travail et de définir leurs missions dans le seul but d'éviter toute altération de la santé des travailleurs.

S'agissant de la place et du champ d'intervention des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le rapporteur peine là encore à convaincre de sa volonté d'asseoir leur rôle central. Alors que trois salariés sur quatre ne bénéficient pas d'une telle instance, nous aurions apprécié que soit proposé d'abaisser le nombre de salariés requis pour pouvoir créer ces comités, ou de favoriser leur implantation dans les plus petites entreprises, par exemple par le biais de délégués de site sur des bassins d'emploi.

Il me semble aussi qu'avant de préconiser la poursuite du plan d'urgence pour la prévention du stress au travail, il faudrait avoir l'honnêteté d'en présenter un bilan objectif, qui est en réalité plus que mitigé. Quatre accords conclus par des entreprises sur cinq portent sur la méthode et non sur le fond. Sans surprise, puisque tel est l'objectif du Gouvernement, le sujet de l'organisation du travail en est le grand absent : on y parle de fragilités individuelles mais pas de qualité du travail.

Tant que les entreprises ne seront pas responsabilisées, sur un plan financier, par l'augmentation de leurs cotisations à la branche Accidents du travail et maladies professionnelles, rien ne se passera. L'Association des accidentés de la vie (FNATH) et les organisations syndicales entendues par la mission d'information ont toutes insisté sur l'importance de la question de l'imputabilité des faits à l'employeur et sur la nécessaire amélioration de la reconnaissance des maladies psychiques en tant que maladies professionnelles. Elles ont ainsi proposé la révision des tableaux de maladies professionnelles et l'assouplissement du critère d'incapacité en faisant passer le taux requis de 25 % à 10 %, voire en supprimant celui-ci pour l'accès à la voie complémentaire de reconnaissance.

Enfin, la récente décision de la cour d'appel de Versailles confirmant la faute inexcusable de Renault pour le suicide d'un de ses salariés et reconnaissant la responsabilité de l'employeur dans la mise en place d'une organisation du travail pathogène devrait amener le législateur à se demander s'il ne convient pas de compléter le code du travail pour y inscrire la notion jurisprudentielle de harcèlement moral collectif ou institutionnel.

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