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Intervention de Guy Lefrand

Réunion du 25 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Lefrand, rapporteur :

Les suicides dramatiques survenus dans des entreprises telles que France Télécom, Renault ou dans des services publics tels que Pôle emploi montrent que de plus en plus de salariés sont en situation de souffrance au travail. Les auditions menées par la mission d'information ont montré un consensus sur quatre constats.

Le premier constat fait par la mission est que de plus en plus de salariés sont confrontés à des risques psychosociaux. Selon un sondage IPSOS d'octobre 2010, 62 % des salariés interrogés affirment ressentir un niveau de stress élevé au travail et 30 % estiment que leur travail actuel est susceptible de leur causer de graves problèmes psychologiques. Les consultations pour risques psychosociaux sont devenues, en 2007, la première cause de consultation pour pathologie professionnelle devant les troubles musculo-squelettiques. Il ne s'agit pas d'une particularité française : au sein de l'Union européenne, 28 % des travailleurs seraient exposés à au moins un facteur susceptible d'affecter de manière défavorable leur bien-être mental. L'exemple de l'entreprise France Télécom illustre en effet l'issue dramatique à laquelle a pu conduire le développement de risques psychosociaux dans une entreprise. En effet, soixante salariés de France Télécom se sont suicidés depuis 2008 et le dernier suicide intervenu le 26 avril dernier montre que la situation dans cette entreprise reste encore très préoccupante. Selon l'Union nationale de prévention du suicide, environ 400 suicides seraient, chaque année, liés au travail.

Le deuxième constat fait par la mission est l'indéniable impact des risques psychosociaux sur la santé. Selon la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, 20 % des causes des arrêts maladie de plus de quarante-cinq jours seraient liées à des troubles psychosociaux.

Le troisième constat est que les problèmes de santé mentale ont un coût économique important en raison de leurs conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise. L'Organisation mondiale de la santé estime que le stress professionnel représenterait 2 % à 3 % du produit intérieur brut des pays industrialisés.

Le dernier constat concerne les facteurs de risques psychosociaux. Deux sont particulièrement importants : l'organisation du travail et le management. Un consensus s'est dégagé au sein de la mission pour constater que certaines formes d'organisation du travail peuvent être un facteur de risques psychosociaux. Dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue entre les entreprises, les salariés sont confrontés à une augmentation de leur charge de travail et doivent faire preuve d'une motivation toujours plus grande. Par ailleurs, certaines formes d'organisation de l'espace de travail et une utilisation trop systématique des nouvelles technologies peuvent aggraver le stress, l'isolement des salariés ou brouiller la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée. Un autre facteur important de risques est un management défaillant. Le constat est unanime sur les lacunes actuelles de la formation des managers en matière de santé et de gestion des ressources humaines.

S'agissant des préconisations, le rapport souligne qu'il est nécessaire, en premier lieu, de développer la prévention des risques psychosociaux. Premièrement, la prévention des risques psychosociaux passe par un renforcement de la médecine du travail. Je reviendrai ultérieurement sur l'importance de la réforme des services de santé au travail, prochainement en discussion dans notre assemblée, après avoir été adoptée en première lecture au Sénat.

Deuxièmement, la prévention des risques psychosociaux implique une meilleure évaluation de ces risques : la mise en place d'indicateurs statistiques nationaux constitue d'ailleurs une des priorités du deuxième plan « Santé au travail » (2010-2014). Cette mission a été confiée à un groupe d'expert piloté par MM. Philippe Nasse et Patrick Légeron, et un rapport proposant des indicateurs a été remis à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, le 11 avril dernier.

Troisièmement, il faut inciter les chefs d'entreprise à se saisir de la question des risques psychosociaux. Il faut trouver un juste équilibre entre l'incitation et la coercition. La législation et la jurisprudence affirment clairement la responsabilité de l'employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Cependant, pour que les risques psychosociaux soient pleinement pris en compte dans la politique de prévention de l'entreprise, il pourrait être opportun de prévoir que les deux rapports remis par l'employeur chaque année au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, traitent spécifiquement des risques psychosociaux et des actions menées dans ce domaine et que le document unique d'évaluation des risques professionnels comprenne une évaluation des risques psychosociaux.

Quatrièmement, il est aussi primordial de développer la formation des managers en matière de gestion des équipes et de santé au travail. Un réseau francophone de formation en santé et sécurité au travail a été mis en place en 2010 afin de faciliter l'insertion de la question de la santé au travail et des risques psychosociaux dans les référentiels de formation initiale des grandes écoles et de la formation continue dans les entreprises. Il y a quelques jours, l'école de management de Grenoble et l'école « Arts et Métiers Paris Tech » ont été retenues par le ministre du travail comme écoles pilotes dans le cadre du plan Santé au travail II, en vue de former les futurs managers aux risques psychosociaux. L'État pourrait être amené à jouer un rôle particulier en organisant la labellisation des écoles qui mettraient en place un module de formation sur la santé au travail et la gestion des équipes.

Cinquièmement, la prévention des risques psychosociaux passe aussi par la diffusion de bonnes pratiques. Le site internet « travailler-mieux.gouv.fr », permet de diffuser un certain nombre d'outils, d'exemples de bonnes pratiques et de témoignages d'entreprises. Il faut aller plus loin : la mise en place d'un label « Santé et qualité de vie au travail » serait de nature à inciter les entreprises à mettre en place des actions concrètes dans le domaine des risques psychosociaux et permettrait de valoriser les entreprises soucieuses du bien-être de leurs salariés. Ce label pourrait être délivré par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. Il pourrait s'accompagner d'une « charte d'intervention » que les acteurs s'engageraient à respecter. Par ailleurs, une attention particulière doit être portée aux petites et moyennes entreprises car les risques psychosociaux ne sont malheureusement pas présents seulement dans les grandes entreprises. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des actions territoriales spécifiques d'information et d'accompagnement à destination de ces entreprises. À ce titre, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) travaille à l'adaptation de ces instruments de prévention afin que les petites entreprises puissent se les approprier.

Sixièmement, il est impératif de renforcer les moyens des acteurs publics en matière de santé au travail. L'augmentation du budget de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, le renforcement des effectifs de l'inspection du travail et le développement de leur formation en matière de risques psychosociaux apparaissent aujourd'hui nécessaires.

Septièmement, la prévention des risques psychosociaux implique de renforcer le dialogue social sur les sujets de santé au travail. Les partenaires sociaux ont été amenés à négocier des accords sur ces risques. Après l'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail, un accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail a été signé par les partenaires sociaux le 26 mars 2010. Le plan d'urgence sur la prévention du stress professionnel, annoncé le 9 octobre 2009, a prévu l'ouverture de négociations obligatoires sur le stress au travail dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, avant le 1er février 2010, afin de transposer l'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 portant sur ce sujet. 600 accords ou plans d'actions ont été d'ores et déjà engagés. Ce bilan est très encourageant car il concerne près d'une entreprise de plus de 1 000 salariés sur deux. Il est aujourd'hui primordial d'accompagner la montée en puissance des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Plusieurs réformes pourraient être envisagées : prévoir une élection de ses membres au suffrage direct pour renforcer leur visibilité et leur légitimité, augmenter leurs moyens d'actions, en accordant aux élus des délégations horaires plus importantes ou en dotant les comités d'un budget propre et développer la formation des élus, plus particulièrement sur les nouveaux risques pour la santé psychologique des salariés. Par ailleurs, une réflexion devrait être lancée sur l'augmentation de la durée du mandat de ses membres.

Il est aussi primordial d'améliorer la prise en charge des victimes de risques psychosociaux. Il n'existe pas à ce jour de tableau des maladies professionnelles permettant de reconnaître les pathologies inhérentes aux risques psychosociaux. L'inscription de telles pathologies paraît délicate. En effet, les maladies psychosomatiques ont des origines multiples : il est souvent difficile de faire la part entre les causes liées à la vie privée et celles liées à la vie professionnelle. De même, assouplir la procédure en vue de reconnaître plus facilement des troubles psychologiques comme une maladie professionnelle doit être envisagé avec précaution et ne peut se faire sans une étude d'impact préalable. À cet égard, je tiens à rappeler que le juge reconnaît de plus en plus facilement la faute inexcusable de l'employeur pour avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat à la suite d'un accident du travail ou d'un suicide. Cette évolution jurisprudentielle permet d'augmenter considérablement l'indemnisation des salariés ou de ses ayants droit. La récente décision de la cour d'appel de Versailles du 18 mai dernier reconnaissant la faute inexcusable de l'entreprise Renault à la suite du suicide d'un salarié, illustre parfaitement cette évolution. Par ailleurs, la problématique du stress au travail devenant de plus en plus présente dans les entreprises, de nombreux acteurs interviennent dans ce domaine. Il est aujourd'hui nécessaire de mettre en place un agrément pour ces intervenants, dont la délivrance pourrait être confiée à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail.

Mais surtout, je suis convaincu qu'une meilleure prise en charge des risques psychosociaux passe prioritairement par une indispensable réforme des services de santé au travail. La proposition de loi de M. Nicolas About relative à la médecine du travail, adoptée par le Sénat et déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 28 janvier dernier, propose une telle réforme. Elle devrait être de nature à permettre une meilleure prévention des risques psychosociaux et une meilleure prise en charge des salariés en situation de détresse, notamment en facilitant l'intervention de personnels spécialisés. Il est impératif que cette proposition de loi soit adoptée rapidement.

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