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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 25 juin 2008 à 21h30
Contrats de partenariat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Le principal grief que nous pouvons faire à votre texte est qu'il entend clairement systématiser le recours aux contrats de partenariat comme contrats de droit commun de la commande publique.

Jusqu'en 2012, plus aucun critère ne sera exigé pour recourir à ce type de contrat dans de très nombreux secteurs clés, tels que les transports, la défense ou les équipements de santé. Dans les autres secteurs, il suffira simplement de démontrer un bilan positif sur les autres formes de la commande publique, ce qui ne sera pas difficile, compte tenu du régime fiscal pour le moins avantageux dont vous allez doter ce nouveau contrat. Je pense en particulier aux exonérations fiscales introduites par voie d'amendement, proposées par le sénateur Charles Guené, avec l'avis favorable d'un gouvernement qui prétend se montrer par ailleurs si scrupuleux dans la gestion des deniers publics. Si l'exonération de la contribution annuelle sur les revenus locatifs pour les revenus provenant d'immeubles édifiés dans le cadre d'un contrat de partenariat se justifie prétendument par la nécessité de rétablir la neutralité fiscale entre ces contrats et les marchés publics, rien ne justifie d'y ajouter une exonération de la taxe de publicité foncière et l'exonération de la redevance d'archéologie préventive. Où va-t-on ?

Cette généralisation soulève donc de nombreuses questions.

D'une part, vous mettez un terme à la reconnaissance de la dualité entre maîtrise d'ouvrage public et construction et, par là, à la reconnaissance de la spécificité de l'architecture et des enjeux liés à l'urbanisme.

D'autre part, et très concrètement, votre projet va gravement pénaliser les PME, plus que jamais vouées à devenir les simples sous-traitantes des groupes monopolistiques privés. C'est M. Jacques Petey, le président de la fédération nationale des sociétés coopératives de production du bâtiment et des travaux publics, qui s'insurge : « Les petites et moyennes entreprises sont de fait évincées, au mépris de la concurrence, car nous n'avons pas les moyens d'être en plus les banquiers de collectivités locales. » Sachons écouter aussi les remarques fortes de la CAPEB et des autres professionnels.

Les contrats de partenariat ont vocation en effet à être des contrats globaux, portant sur l'architecture, tous les corps de métiers, toutes les formes de construction, toutes les entreprises de bâtiment, sur le choix du banquier et du gestionnaire, ainsi que sur l'entreprise qui assurera la maintenance et l'entretien. Comment croire que d'autres acteurs que les géants du BTP pourront répondre à ces appels d'offres ?

Comme le soulignait le groupe communiste lors du débat sénatorial, nous nous retrouvons finalement dans un schéma où le rapport de force est inversé. C'est l'offre qui fait la demande, comme le reconnaît d'ailleurs expressément l'article 10 de l'ordonnance en prévoyant que les cocontractants peuvent eux-mêmes solliciter auprès des collectivités la conclusion de contrats de partenariat clefs en main.

Ils seront eux-mêmes d'autant plus motivés que vous élargissez le champ de la cession de créance de façon à garantir au titulaire de contrat des conditions de financement sensiblement plus favorables.

L'objectif poursuivi par votre texte est au fond très clair : libéraliser le financement des services publics et des politiques d'aménagement en les soumettant aux seules lois du marché. Vous refusez de façon explicite, une fois encore, d'en reconnaître l'éminente spécificité.

Qu'en sera-t-il par exemple demain des projets d'intérêt général qui n'intéresseront pas les investisseurs privés, des infrastructures insuffisamment rentables aux yeux des actionnaires ? Je prenais tout à l'heure l'exemple du métro londonien, il y en a bien d'autres.

Vous ne pouvez nier que l'appel aux capitaux privés aura pour contrepartie la rémunération des fonds investis, une rémunération qui passe notamment, comme le prévoit votre texte, par l'utilisation du domaine public à des fins commerciales par la réalisation de baux commerciaux, d'une durée qui pourra atteindre quatre-vingt-dix-neuf ans, avec des autorisations de construction, sans que nul ne puisse évaluer alors la pertinence de l'occupation du domaine public.

Au bout du compte, et selon la sacro-sainte règle de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes, qui vous sert aujourd'hui de principal repère idéologique, les infrastructures les moins rentables seront confiées au secteur public, celles jugées rentables seront réalisées par le secteur privé.

Comme toujours, vous attendez de ce type de réforme une amélioration de la qualité de gestion, du service et des coûts. C'est une pure fiction. Comme je l'évoquais au début de mon intervention, l'État et les collectivités devront acquitter des loyers pendant vingt, trente ou quarante ans, loyers à l'origine d'un surcoût probablement considérable. Vous prétendez le contraire, mais vous ne pouvez administrer la preuve sur le long terme de la plus grande efficience économique des contrats de partenariat par rapport à la délégation de service public ou à l'appel d'offres classique.

La meilleure productivité du secteur privé est une affirmation sans autre fondement qu'idéologique. Vous êtes du reste trop informé, monsieur le secrétaire d'État, pour ignorer les failles de ce modèle économique. Vos objectifs sont en réalité très politiques.

Vous savez fort bien que la croissance économique de notre pays s'appuie principalement sur la demande, que la politique de l'offre que vous avez conduite depuis des années n'a pas tenu ses promesses.

Plutôt que de le reconnaître, vous usez de subterfuges. En l'occurrence, celui-ci consiste à stimuler l'investissement public, notamment dans les grands équipements, mais de telle sorte que l'on respecte tout de même les fameux critères de Maastricht, ce qui ne peut se concevoir sans le recours à l'investissement privé.

De même que vous avez incité les Français à puiser dans leur bas de laine pour soutenir la croissance, mais sans toucher aux salaires, vous entendez aujourd'hui stimuler l'investissement public, mais sans remettre en cause le processus de désengagement massif de l'État de la plupart de ses missions régaliennes.

Avec ce texte, vous incitez désormais les collectivités locales à faire face à leurs missions en se tournant vers le secteur privé, tandis que, parallèlement, l'État privatise chaque jour un peu plus les services et équipements publics pour financer le remboursement de sa dette, se privant dans le même temps des ressources utiles au financement des investissements indispensables. Tout le monde se souvient de la triste cession des autoroutes, l'État se privant au bout du compte de quelques milliards de recettes.

Les opposants à votre texte sont nombreux : les PME, je l'ai dit, mais aussi l'ordre des architectes, qui réclame que les PPP restent une procédure d'exception et qui dénonce le fait que les collectivités locales se dessaisiront de leur rôle de maître d'ouvrage.

Vous pouvez déguiser toute cette politique en la qualifiant de moderne, nous y voyons pour notre part la spirale d'un déclin, une fuite en avant, car vous qui vous témoignez si souvent de votre souci des générations futures, dès lors qu'il s'agit de priver nos concitoyens de droits élémentaires, comme le droit à la retraite ou le droit à la santé, vous êtes curieusement muets sur les conséquences économiques et fiscales de textes tels que celui que vous nous proposez aujourd'hui, qui renvoie aux générations futures une dette qu'ils ne connaîtront qu'in fine.

Il va de soi, et vous l'aurez compris, que dans ce contexte, nous désapprouverons votre démarche.

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