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Intervention de Soumeylou Boubèye Maiga

Réunion du 11 mai 2011 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Soumeylou Boubèye Maiga, ministre des affaires étrangères du Mali :

Concernant la crise libyenne, il faut rappeler que le Sahel est un espace marqué par une grande continuité territoriale. On peut passer de la Mauritanie à la Libye sans contrainte administrative. Il y a également une grande homogénéité identitaire.

La circulation des armes est donc traditionnelle dans la région, qui a abrité la légion islamique, celle-ci ayant même mené des actions dans la région. Bien sûr, la situation actuelle en Libye a aggravé ces phénomènes, les arsenaux étant aujourd'hui très mal contrôlés. Cependant, nous avons toujours considéré la Libye comme un arsenal à ciel ouvert. La plupart des Libyens sont armés. Mais la crise a accentué le trafic des armes, et modifié les équipements qui circulent. On parle désormais d'armes anti-aériennes, personnelles ou montées sur camions. De nombreux véhicules de transport de troupes ont également été déplacés. Cette amplification de la circulation des armes aggrave l'insécurité et peut profiter autant aux trafiquants qu'aux terroristes.

Nous considérons la Libye comme une question de sécurité nationale. Nous souhaitons donc avoir une position harmonisée sur l'issue de la crise. Nous sommes favorables à la démocratie et l'Etat de droit, et en avons nous-mêmes supporté les coûts pour notre pays, mais il y a des évolutions inquiétantes, notamment le retour de la composante libyenne d'AQMI vers son territoire d'origine. Nous souhaitons également trouver une issue à la crise afin d'éviter la partition, qui fragiliserait tous les pays de la région en créant un chapelet de micro-états du Sud Soudan à la Mauritanie. Nous souhaitons donc être en harmonie avec la France sur l'issue de cette crise.

S'agissant de l'impact du classement en zone rouge ou orange du Mali sur les revenus du tourisme, nous estimons qu'il faudrait imaginer un cadre de discussion où nous pourrions évaluer ensemble la situation sécuritaire et définir la meilleure attitude à adopter. Ce qui nous paraît discutable aujourd'hui est le caractère unilatéral des choix et l'appréciation contestable des informations sur la sécurité dans la zone. Le Mali est ouvert sur le monde et constate que la France n'empêche pas, voire encourage, le tourisme dans des régions où l'insécurité, voire le terrorisme, sont permanents. Il y a un paradoxe à ce que la France soit le quatrième donateur bilatéral pour le Mali et que la mise en oeuvre de notre coopération soit empêchée par des décisions prises à Paris.

Le problème est que, si toute activité internationale est interdite au Nord, toute l'économie sera détruite et sera remplacée par l'économie mafieuse et l'emprise des groupes terroristes sur la population sera forte. En augmentant la dispersion de la population, on réduit le nombre de lieux où le seuil minimal de concentration d'habitants pour lancer des activités de développement efficace est atteint. On laisse alors le champ libre aux organisations criminelles. Le risque serait de transformer le Nord en une simple juxtaposition de territorialités. Il faut assurer une présence permanente dans le Nord, notamment avec la France, et nous estimons que notre action actuelle est pénalisée.

Pour ce qui est de l'Algérie, j'ai eu des relations régulières avec ce pays au titre de mes fonctions précédentes comme directeur du service de renseignement puis ministre de la défense. J'ai eu, ces derniers temps, l'impression que l'on attendait beaucoup plus des Algériens que ce qu'ils ne sont prêts à donner. Je pense qu'ils sont prêts à agir y compris en fournissant un soutien aérien, mais nous-mêmes ne sommes pas favorables à une intervention terrestre de leur part sur notre territoire.

Nous souhaitons une coordination des actions au sein de l'état-major de Tamanrasset, ce qui implique une coopération pour l'appui et la formation. Nous souhaitons ainsi créer un centre de formation des forces armées de la région pour favoriser la cohérence des modes opératoires. L'état-major fonctionne depuis un an, a identifié les conditions et les zones d'intervention et les tâches que les différentes armées doivent remplir. La coopération est une urgence au vu de l'effondrement du Nord.

La drogue est une question majeure. Le Sahel est devenu un des axes principaux du trafic mondial. On estime que 50 tonnes de cocaïne transitent tous les ans, soit un tiers de la consommation annuelle en Europe. Cela a complètement déstructuré la société et les économies de ces zones, et a provoqué la criminalisation des économies. Nous pouvons attendre de l'Europe une aide pour le renforcement de nos capacités. Ainsi, un avion cargo s'est posé dans le désert, car ainsi on peut acheminer des produits stupéfiants vers l'Europe à travers l'Afrique du Nord. Nous avons besoin de meilleurs moyens d'investigation pour renforcer nos groupes judiciaires spécialisés.

S'agissant des prix agricoles, le Mali s'est beaucoup battu, avec le Burkina-Faso notamment, pour défendre les prix des matières premières agricoles et notamment le coton. Nous estimons que les prix doivent être justes.

La réunion des ministres des affaires étrangères le 20 mai prochain doit permettre de faire passer l'état-major de Tamanrasset en phase opérationnelle. Jusque là, cette structure servait à la conception, cette fois-ci nous sommes prêts à aller vers plus d'opérationnel. Mais nous ne souhaitons pas transformer le Sahel en zone de guerre, car le risque de déstabilisation de la région est trop grand.

Concernant les liens entre les Touaregs et la Libye, le Sahel a longtemps été, comme je l'ai dit, un réservoir pour la légion islamique, puis pour le djihadisme. Ces liens ont subsisté. Ce que nous craignons aujourd'hui est le recrutement de Sahéliens par les deux camps, Benghazi et Tripoli, et que leurs retours dans la zone sahélienne ne génèrent une grande déstabilisation.

L'autre crainte concerne la jonction entre les groupes islamiques. AQMI a réussi à fédérer de nombreux mouvements dans la région. Si les islamistes réussissent à peser en Libye, cela risque de déstabiliser encore davantage le Sahel, et créer un réservoir de troupes dont la Libye serait la tête de pont.

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