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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 10 mai 2011 à 21h30
Interdiction de la fracturation hydraulique — Rappel au règlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame la ministre, mes chers collègues, le contexte et les conséquences du recours à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels viennent d'être largement évoqués.

Alors que différents textes ont été déposés, par des parlementaires de toutes sensibilités, pour abroger les permis exclusifs d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels, l'arrivée rapide de ce texte en séance publique cherchait avant tout à apaiser la colère de tous ceux qui se sont mobilisés depuis plusieurs mois contre une énième contradiction environnementale du Gouvernement.

Si l'on peut se réjouir du fait que la majorité des parlementaires ont aujourd'hui pris conscience de la nécessité de mettre un terme à la technique de la fracturation hydraulique pour l'exploitation minière, nous ne pouvons oublier l'histoire de ces permis exclusifs octroyés généreusement, et dans la plus grande discrétion, en 2008 et 2009 pour les huiles de roche-mère en Île-de-France, et aux mois de mars et avril 2010 pour les gaz de schiste dans le sud de la France.

Vous avez dit tout à l'heure, madame la ministre, que ces permis n'ont pas été accordés dans de bonnes conditions, avec des procédures suffisantes.

Il est cependant curieux de constater que le ministre de l'écologie méconnaissait à l'époque les principes élémentaires de transparence et de participation des citoyens, qu'il défendait pourtant, au même moment, et avec conviction, devant les parlementaires, lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit « Grenelle 2 ».

Sans doute, dans le cas des gaz et huiles de schiste, l'esprit de Grenelle ne planait-il pas encore sur tous les actes du ministère de l'écologie – à moins que cet esprit ne se soit curieusement évaporé pour ce qui concernait notre sous-sol, à la demande de groupes spécialisés.

À la décharge de M. Borloo, il semble que du point de vue juridique le sous-sol de notre pays ne fasse toujours pas partie de notre environnement, bien qu'il soit reconnu comme patrimoine commun de la nation ; il est nécessaire, je le crois, de revoir de fond en comble notre code minier pour l'adapter aux exigences sociales, environnementales et démocratiques de notre temps.

Encore faudrait-il que cette réforme fût globale et qu'elle proposât des modifications profondes du droit à l'information et à la participation du public déclinant la Convention d'Aarhus ratifiée par notre pays et les deux textes du Grenelle de l'environnement.

Encore faudrait-il donner une véritable portée juridique à la définition des ressources du sous-sol comme patrimoine commun, en excluant par exemple leur exploitation dans le cas où elles portent manifestement atteinte aux hommes, à leur santé ou à leur environnement.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous faisons tous le constat de l'insuffisance des connaissances à notre disposition sur les ressources d'hydrocarbures non conventionnels et, plus encore, sur les conditions de leur exploration ou de leur possible exploitation,

Plusieurs missions d'information travaillent, plusieurs rapports sont en cours d'élaboration, avec des objets et des portées différents. J'espère qu'ils nous permettront d'avancer sur la voie de la connaissance et ne serviront pas d'alibi ou de simple code de bonne conduite aux grands groupes industriels de l'extraction et du pétrole.

Le premier pré-rapport conjoint sur les hydrocarbures de roche-mère en France du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et du Conseil général de l'environnement et du développement durable est effectivement tout à fait lacunaire et partiel, je dirai même partial, en ce qui concerne l'évaluation des impacts environnementaux et sociaux, pourtant connus, notamment aux États-Unis. II reste encore plus évasif quand il s'agit d'évoquer le bilan carbone de l'ensemble de la filière de production des gaz et huiles de schiste et il ne dit pas un mot des perspectives, en termes d'émission de gaz à effet de serre, de l'exploitation massive de ces ressources fossiles.

Certes, ce rapport d'évaluation reste sans doute à finaliser mais quelle curieuse omission ! Votre lettre de mission précisait pourtant, madame la ministre, que « l'impact sur les émissions de gaz à effet de serre semble devoir faire l'objet d'une attention particulière ».

Les principales conclusions de ce rapport appellent d'ailleurs à une nécessaire recherche de « compatibilité » afin de « contribuer à l'émergence et à la formation d'opérateurs et de sous-traitants nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial ». Le décor capitalistique est planté, et il me rappelle curieusement les débats que nous avions sur la question des organismes génétiquement modifiés ou encore en matière énergétique, avec la loi NOME. Ce parti pris en faveur de l'exploration et de l'exploitation par les sociétés titulaires des permis exclusifs n'est tout simplement pas tolérable !

Je ne saurais que recommander aux futurs auteurs de rapports de faire preuve de plus d'objectivité et de rigueur dans l'analyse des faits, des impacts et des perspectives de cette filière, pour fournir à la représentation nationale, et à chaque citoyen des éléments de connaissance plus approfondis.

Dans le cadre de l'examen, devenu manifestement urgent, de cette proposition de loi, vous avez souhaité, monsieur le rapporteur Havard, modifier le texte présenté en commission afin, prétendez-vous, de le rendre juridiquement plus stable, en habillant de quelques oripeaux la référence à l'abrogation des permis exclusifs octroyés.

De fait, la rédaction de l'article 2 du texte que nous examinons aujourd'hui laissera aux titulaires des permis la liberté de poursuivre leurs expérimentations en recourant à des artifices techniques avec tous les risques potentiels que cela représente et malgré l'incertitude qui pèse sur leurs motivations réelles et leurs agissements. Une réflexion de fond sur une nouvelle rédaction plus précise et contraignante pour les entreprises concernées m'apparaît indispensable. La proposition de loi doit en sortir clarifiée, et les permis accordés doivent être très rapidement abrogés ; c'est ce que je vous propose avec cette motion de renvoi en commission.

Ce n'est pas, en revanche, et quels que soient les arguments juridiques avancés, ce à quoi tend la rédaction actuelle. En adoptant ce texte en l'état, vous seriez donc immédiatement suspectés de vouloir ménager la chèvre et le chou, ce qui, naturellement, n'est pas votre cas !

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