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Intervention de Dominique Méda

Réunion du 9 mars 2011 à 14h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Dominique Méda, sociologue du Centre d'études de l'emploi :

Les réponses traduisent une opinion ! Des enquêtes très intéressantes ont montré que les très jeunes enfants gardés à l'extérieur de la maison dans des modes de garde de qualité ne souffrent pas. De toute façon, l'expression « souffrir » est très gênante ! En anglais, le terme utilisé est « to suffer » qui signifie aussi « pâtir ». Et les questions elles-mêmes reproduisent les stéréotypes : aucune ne demande si l'enfant souffre quand c'est son père qui travaille !

Néanmoins, l'enquête ERFI demande également si l'enfant souffre quand son père est trop occupé par son travail. Les deux tiers des personnes interrogées répondent par l'affirmative. Cette question sur les pères traduit tout de même un énorme progrès.

Une autre question montre l'ancrage profond des stéréotypes : elle demande qui doit avoir l'emploi en cas de crise de l'emploi. Un quart des personnes répondent « l'homme », mais les plus de soixante-quinze ans sont plus de la moitié à le penser, contre 10 % chez les moins de trente ans.

Selon la dernière enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), 15 % des couples en France sont égalitaires pour la répartition des tâches – les hommes y prennent en charge toutes les tâches, notamment celles liées aux enfants. Dans ces couples, les hommes appartiennent plutôt à la catégorie cadre et professions intermédiaires, sont un peu plus âgés que la moyenne et – surtout – leur conjointe gagne autant qu'eux. On le voit : les hommes les plus impliqués sont ceux dont les conjointes sont très prises par leur travail.

D'après mes enquêtes, les conjointes des hommes les plus impliqués dans la vie familiale gagnent au moins autant qu'eux, mais ont également des contraintes temporelles professionnelles plus fortes. La conclusion est claire : les hommes très impliqués le sont, la plupart du temps, parce qu'ils y sont contraints par leur conjointe. Il faut donc lutter sur deux fronts : l'implication des hommes dans les tâches parentales, mais aussi l'accession des femmes à des postes intéressants et bien payés – d'où l'intérêt des quotas.

Certaines de mes enquêtes ont porté sur de petits échantillons. Une de mes étudiantes a interrogé une trentaine de femmes énarques, essentiellement administratrices civiles, ayant un conjoint énarque. Ces couples sont très impliqués dans leur vie professionnelle, ont délégué énormément de tâches, excepté celles liées à l'intimité et à l'éducation de leurs enfants, auxquelles ils attachent une très grande importance. Le résultat de cette enquête est que les hommes les plus impliqués ont tous une femme qui gagne plus qu'eux.

J'ai moi-même mené des entretiens auprès d'une trentaine d'hommes dans quatre grandes entreprises où les DRH m'avaient fourni des listes d'hommes particulièrement investis dans leur vie familiale. Ces hommes, managers, très diplômés et occupant des postes très prenants, étaient investis dans leur vie familiale et avaient – comme les femmes – une capacité à cumuler tous les rôles. En revanche, à la différence des femmes, ils ne mettaient jamais leur carrière en danger. C'est un autre constat : les femmes savent mettre leur carrière en danger ou en veilleuse, les hommes ne vont jamais jusque-là. Quelques-uns cependant avaient pris un congé parental, notamment un dont le désir de créer une famille était très fort en raison du décès de sa mère lorsqu'il était jeune. Il vivait avec une femme très diplômée et très impliquée dans la vie professionnelle, et sa décision de prendre un congé lui a valu d'être traité par ses collègues de « déviant », c'est-à-dire de quelqu'un qui attaque la norme ! Son entourage professionnel lui a même dit qu'il « foutait sa carrière en l'air » ! On le voit : les stéréotypes sur ce que les hommes et les femmes ont le droit de faire ou pas sont puissants ! Une femme, même très diplômée, a le droit de prendre un temps partiel, mais un homme qui le fait détruit son image d'homme et adopte un comportement déviant. Il faut lutter contre cela.

J'ai également constaté que des hommes relativement jeunes, entre trente-cinq et quarante ans, désirant s'investir dans la vie familiale et s'occuper de leurs enfants avaient des difficultés à être compris de leur encadrement supérieur, en général des hommes de cinquante-cinq ans dont les conjointes ne travaillent pas car ils gagnent très bien leur vie. Ces cadres supérieurs sont incapables de comprendre le souhait de ces hommes plus jeunes.

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