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Intervention de Jean-Paul Herteman

Réunion du 6 avril 2011 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Paul Herteman, président du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, GIFAS :

Lors d'une récente conférence de presse, j'ai eu le plaisir de présenter l'année 2010 comme porteuse de promesses pour le GIFAS. Avec 36,8 milliards d'euros, le chiffre d'affaires de nos adhérents a légèrement progressé. Pour un total de 42,9 milliards d'euros, ils ont engrangé 27 % de commandes de plus dans leur carnet, désormais supérieur à quatre années de production. Plus significative encore, pour la profession, est la situation de la « supply chain ». Les commandes des équipementiers ont par exemple augmenté de plus de 34 %. La part de leurs exportations directes, c'est-à-dire de leur activité accomplie au profit de donneurs d'ordres internationaux, et non des grands maîtres d'oeuvre français, a aussi très fortement progressé. En 2010, à l'exportation directe, leur chiffre d'affaires était de 4,1 milliards d'euros et les commandes reçues de 5,1 milliards d'euros.

Que nos équipementiers arrivent à progresser plus vite à l'exportation que pour nos besoins nationaux propres est un puissant signe de la vitalité et de la compétitivité de notre filière, et aussi de son fonctionnement solidaire et efficace.

La progression de l'année 2010 a été tirée par la défense et le plan de relance. Même si nous nous attendons à des années plus difficiles, l'activité de défense a pu prendre le relais d'activités civiles qui ont souffert de la crise économique et financière.

Du point de vue de l'emploi, il faut rappeler que l'industrie aéronautique est une industrie de la compétence et de la connaissance, la pérennisation de la compétence n'étant pas un slogan mais un élément dont dépend notre existence. L'industrie aérospatiale représente 157 000 emplois directs en France. Même si nous exportons 75 % de son activité, 75 % de nos emplois sont situés sur le territoire national. Notre industrie a la volonté de maintenir ce « modèle ».

Pendant les trois années de crise, c'est-à-dire entre 2008 et 2010, dans une logique d'adaptation et de renouvellement des effectifs, l'industrie aérospatiale a embauché 27 000 personnes en France, le niveau global de l'emploi en France restant stable. Tout porte à croire qu'une reprise forte se dessine dans l'industrie aéronautique. Sauf événement macroéconomique majeur, une vraie croissance est au rendez-vous pour les trois à cinq années à venir, ce qui devrait générer des perspectives de recrutement assez significatives.

Les emplois offerts par notre industrie sont de haut niveau et de nature variée. Près de la moitié des emplois à venir relèvent de la catégorie des ingénieurs et cadres, 30 % sont des emplois de techniciens supérieurs et 20 % environ des emplois d'opérateurs ou de compagnons hautement qualifiés, aptes à transformer le métal ou les composites. Nous savons tirer le meilleur parti de cette diversité pour valoriser au mieux toutes les compétences de ses personnels.

Nous allons traiter de ces questions au sein du comité stratégique de la filière aéronautique dont la première réunion a lieu vendredi. L'emploi est un sujet d'autant plus important que nous nous heurtons à des difficultés de recrutement. Elles concernent non pas les grandes entreprises, comme Airbus ou Safran, mais les PME de la « supply chain ». Ce matin, M. Louis le Portz, commissaire général du Salon du Bourget et entrepreneur dans la région de Valence, constatait que 30 des 200 postes de son entreprise ne sont pas pourvus. Sur cinq ans, 10 000 emplois pourraient être créés chaque année dans ce secteur.

Ces réflexions ne nous éloignent guère de la défense. Nous devons pouvoir faire face aux enjeux du développement technologique et de l'adaptation aux nouvelles menaces, y compris dans les filières d'approvisionnement. Je suis en outre convaincu que la capacité technologique des acteurs de la base industrielle de défense concourt à la sécurité et à la souveraineté du pays. Cet effort passe par la valorisation des personnels et donc par une politique dynamique de recrutement. Nous avons une opportunité de développer cette base humaine ; il faut la saisir.

Nous sommes fiers que les systèmes d'armes que nous mettons à la disposition de nos forces fassent leurs preuves. La France présente une spécificité quasi unique de faire la différence par la technologie. Nos missiles de croisière, l'armement air-sol modulaire (AASM), le Rafale par sa polyvalence exceptionnelle, ne sont pas tout à fait des systèmes d'armes comme les autres. Sur le terrain, ils montrent l'avantage qu'on tire d'une différenciation technologique. Le chef d'état-major de l'armée de terre m'a aussi expliqué combien les fantassins étaient heureux d'avoir à leur disposition le système FELIN (fantassin à équipements et liaisons intégrés), qui fait lui aussi nettement la différence sur le terrain. Je pense qu'en matière d'aéronautique civile, d'industrie spatiale ou encore de défense, la seule voie du futur pour la France c'est de faire la différence par l'innovation technologique. À cette fin, il est vraiment essentiel pour notre industrie et notre pays de réussir à sanctuariser la recherche et le développement (R&D) en matière de défense. Sur la longue durée, les montants qui lui sont consacrés ont beaucoup diminué. Même s'ils ont remonté depuis 2002, ils ne représentent plus que la moitié de ceux du début des années 1990. Si les ressources se stabilisent, elles restent très éloignées des efforts que réalisent les principaux acteurs mondiaux du domaine. Nous pouvons certes essayer de gagner en efficacité, mais arrivera le moment où nous décrocherons. Dans nos métiers, il faut 20 à 30 ans pour élaborer un matériau de turboréacteur, et autant pour former un ingénieur en chef capable de diriger un grand système d'armes comme celui du Rafale. Et sur 100 ingénieurs qu'on embauche, seuls un ou deux auront les capacités pour remplir à terme de telles fonctions. Nous sommes aujourd'hui à la limite du raisonnable. Si je connais le poids des contraintes budgétaires, je ne peux pas ne pas faire état des conséquences et des difficultés liées à la faiblesse des ressources de R&D.

Si les secteurs civil et militaire s'épaulent, il ne faut pas croire que le civil peut à lui seul tirer les technologies dont notre défense a besoin. Par exemple, le fait que Safran produise de 100 à 120 moteurs civils CFM 56 par mois facilite la production de deux ou trois moteurs de Rafale dans des conditions économiques raisonnables. Mais pour autant, la fabrication de ces moteurs civils ne permettra pas de produire des moteurs de missiles de croisière, des moteurs d'avions de combat ou de drones au meilleur niveau.

La technologie civile tire bénéfice du Grand Investissement pour le Futur qui commence à se concrétiser. Le processus a été long et complexe et il fallait aussi répondre à des critères un peu contradictoires. Les premiers contrats sont cependant signés en matière de technologie spatiale et un accord a été trouvé pour le futur hélicoptère de milieu de gamme, c'est-à-dire le successeur du Dauphin. Plusieurs plateformes technologiques, qui sont des exercices de développement et de démonstration de technologies, sont près d'aboutir : l'une pour les moteurs, la deuxième pour les structures composites et la troisième pour l'avionique modulaire. Voilà un effort significatif de partenariat public-privé pour la préparation du futur et le maintien d'un niveau technologique de qualité. Cependant cet effort ne suffira pas à compenser un éventuel fléchissement de la R&D de défense.

L'aubage de turbine en céramique composite que je fais passer parmi vous est quatre fois plus léger qu'une aube métallique et accepte des températures supérieures à celle de fusion des alliages métalliques. Lorsqu'il est entré en service, le moteur du Rafale était celui dont les températures de fonctionnement étaient les plus élevées du monde. Aujourd'hui, les moteurs les plus récents développés aux États-Unis pour les avions de combat sont beaucoup plus chauds que le moteur du Rafale, tout comme nombre de moteurs d'avions civils. La température de fonctionnement de ceux qui équipent les Boeing 777 d'Air France est par exemple plus élevée de 150 degrés que celle du Rafale.

Cet exemple montre que le fait d'être un temps à la pointe de la technologie ne garantit pas de le rester. Si nous sommes contraints par les moyens du pays, c'est aussi pour nous un devoir, puisque nous avons eu la chance d'en profiter, de transmettre un tel héritage, autant que faire se peut.

Vous m'avez interrogé sur le Japon et sur les conséquences de la catastrophe que subit ce pays pour nos industries. Il est difficile aujourd'hui de le mesurer précisément mais j'indique que la part du trafic aérien du Japon, tant domestique qu'international, représente environ 6 % du trafic aérien mondial, ce qui est assez conséquent.

L'évolution du trafic aérien a une élasticité de l'ordre de deux par rapport à celle des PIB. Autrement dit, très loin d'avoir atteint son seuil de saturation, cette activité s'accroît deux fois plus vite que le PIB mondial. Quarante ans d'expérience prouvent aussi qu'elle décroît deux fois plus vite en cas de récession !

Je ne dispose pas des compétences macroéconomiques pour évaluer l'impact transitoire des événements au Japon sur le PIB de ce pays. Si l'on considère que cet impact peut être de un à deux points de PIB, cela représente quatre points de croissance sur 6 % du trafic aérien mondial, autrement dit 0,2 point sur un total de 4 ou 4,5. Sans être un cataclysme, l'impact est donc réel.

Il faut y ajouter l'impact sur la « supply chain », une partie des approvisionnements essentiels provenant du Japon, plutôt dans sa partie Sud. C'est notamment le cas des fibres de carbone qui ne sont produites dans le monde que par les industries japonaise et américaine. Même si la technologie de la pièce que je fais circuler, qui est en carbure de silicium, est bordelaise, ses fibres proviennent du Japon. En tant qu'ancien ingénieur métallurgiste, je peux affirmer que le poids de l'amont est fondamental : ce qui ne se voit pas est tout aussi stratégique que ce qui se voit.

Le Japon produit aussi des composants électroniques. Cela dit, même si nous surveillons de très près la situation, il est encore trop tôt pour mesurer exactement les conséquences des événements sur l'enchaînement des livraisons.

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