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Intervention de Geneviève Gaillard

Réunion du 6 avril 2011 à 9h45
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Gaillard, rapporteure :

Je suis très heureuse de vous présenter ce rapport et forme tous les voeux pour que la commission se saisisse de son contenu et que ce travail soit suivi d'effets. La commande initiale portait, à la suite du Grenelle de l'environnement et de la recommandation du groupe 2 – « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » - sur une mission parlementaire sur « l'opportunité, la faisabilité, le périmètre, les missions, les moyens, la méthode et le calendrier de création d'une agence de la nature, chargée de la coordination de la gestion des espèces sauvages, des espaces naturels et des crises écologiques ». Si ce point a naturellement fait l'objet d'une analyse détaillée dans le rapport, notre réflexion a été bien plus large. Elle est partie du constat préoccupant d'un échec global – au plan international, malgré les avancées des conférences de Rio, de Johannesburg et de Nagoya, européen et national – de la lutte contre la dégradation de la biodiversité. Quelles sont les causes de cet échec ? L'absence de cohérence des politiques publiques mises en oeuvre en constitue la principale, et cet état de fait nous place dans l'obligation de passer à la vitesse supérieure, de « changer de braquet » pour employer une métaphore sportive. Le mépris dans lequel est tenue la biodiversité dite « ordinaire » doit également être incriminé, car celle-ci revêt une importance particulière dans l'équilibre global des écosystèmes.

Au-delà de ce constat et de son analyse, le rapport traite de la structuration des acteurs publics. Ceux-ci sont véritablement pléthore, mais la lisibilité de leur action laisse à désirer. Ils ont besoin d'opérer un réel effort de mutualisation, de mise en commun de leurs actions, et de rapprochement de leurs structures pour le plus grand bénéfice notamment de la connaissance de la biodiversité, à la fois sur terre et sur mer. Or, force est de constater que le ministère de la recherche ne favorise pas l'amélioration de cette connaissance, l'accent étant mis depuis des années sur les biotechnologies et l'étude des écosystèmes étant considérée comme consubstantiellement secondaire.

La dernière partie du rapport détaille les 25 propositions de la mission ; elles s'articulent autour de quatre thèmes : la gouvernance et la règlementation, l'aménagement du territoire, la restructuration de la recherche scientifique, de la collecte et du partage des connaissances, et enfin les aspects économiques.

S'agissant de la gouvernance et de la réglementation, la mission propose plusieurs mesures afin de placer la préservation de la biodiversité au coeur des politiques publiques : afficher cette préservation comme une priorité nationale, notamment en créant le poste de délégué interministériel pour la biodiversité, placé auprès du Premier ministre, faire de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) et de ses déclinaisons locales le fil conducteur de ces politiques, tout en procédant au nettoyage des mesures, notamment fiscales, qui sont préjudiciables à la biodiversité. Le rapport du Centre d'analyse stratégique de M. Guillaume Sainteny, que la mission a auditionné, apportera très bientôt sur ce dernier point des éclairages utiles.

Cette nouvelle orientation stratégique implique également de mieux reconnaître le rôle déterminant des collectivités locales et de les associer à la définition et à la mise en oeuvre de ces politiques. Elle nous force aussi à être exemplaires en matière de signature et de respect des accords internationaux, dont le protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des ressources génétiques, et les conventions visant à réprimer le commerce illégal d'espèces ou à lutter contre les espèces envahissantes. Cette exemplarité pourrait être prolongée en menant une réflexion sérieuse, grâce aux services de la Chancellerie, sur l'introduction dans notre droit positif de servitudes écologiques, outils prometteurs de préservation de la biodiversité dite « ordinaire ». Cette réorientation implique par ailleurs une action résolue en matière d'espèces exotiques invasives, un observatoire national pouvant jouer le rôle d'expertise et d'alerte qui manque aujourd'hui dans notre dispositif institutionnel. Un dialogue doit être noué sur ce dossier – dont l'importance a été révélée par exemple à l'occasion de l'invasion du frelon asiatique et de ses conséquences dramatiques sur les populations d'insectes pollinisateurs – entre les ministères de l'écologie et de l'agriculture.

En matière d'aménagement du territoire, la mission propose d'abord de fixer, comme l'a fait le Land de Bade-Wurtemberg en Allemagne, un objectif annuel de réduction progressive d'artificialisation des sols, conduisant, à horizon 2050, à un gel total. Elle souhaite également qu'une réflexion soit menée sur les régions biogéographiques, qui pourraient constituer l'espace géographique idoine pour mener des actions efficaces sur le terrain en matière de biodiversité. S'agissant des infrastructures de l'État, la mission propose qu'un inventaire précis des infrastructures routières soit réalisé par le ministère de l'écologie, du développement durable des transports et du logement. Elle propose aussi qu'un contrôle des mesures de compensation prises dans le cadre de la réalisation de grands aménagements soit réellement instauré, ex ante et a posteriori, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) semblant les services déconcentrés les plus à même d'effectuer ces contrôles.

S'agissant de la recherche scientifique et des connaissances en matière de biodiversité, la mission propose qu'une répartition claire des responsabilités des opérateurs publics soit opérée, que les sciences naturalistes bénéficient de fonds plus substantiels et qu'elles soient de nouveau mises à l'honneur dans les programmes scolaires de l'enseignement secondaire. La sensibilisation du grand public passe aussi par le développement d'une connaissance collaborative du vivant, par la création d'un outil mutualisé de recensement – qui peut permettre de découvrir des espèces non encore répertoriées – et de mise en valeur des nombreuses initiatives prises sur le terrain et visant à valoriser concrètement la biodiversité, ainsi que par la création de « modules verts » de six mois destinés aux étudiants non scientifiques en fin d'études. Les touristes doivent également faire l'objet d'actions pédagogiques spécifiques, en particulier lorsqu'ils choisissent des lieux de villégiature dans des « points chauds » de la biodiversité, comme les récifs coralliens.

La réorientation de la recherche doit par ailleurs bénéficier à la recherche agronomique, car l'agriculture a besoin d'un soutien technique qui lui permette d'évoluer vers un modèle moins intensif. Il faut résolument « booster » la recherche sur la biodiversité des sols, qui reste embryonnaire. Cette réorientation doit aussi bénéficier à la connaissance des écosystèmes ultramarins, qui constituent de véritables trésors de notre patrimoine naturel mais dont la fragilité reste ignorée.

Enfin, pour évoquer les aspects économiques, la mission propose que soient poursuivis les recherches visant à mieux évaluer les services écosystémiques dans notre pays, dans le prolongement du rapport de M. Chevassus-au-Louis. Il est néanmoins nécessaire de faire attention aux effets pervers de la financiarisation et de la marchandisation : nous devons certes avoir les moyens d'évaluer le coût de la compensation d'une destruction, mais aussi nous garder de la tentation d'agir de manière irréfléchie. Elle souhaite donc que des mesures visant à encourager la formation d'un marché de la compensation soient étudiées, mais dans l'optique de ne pas encourager des pratiques spéculatives défavorables à la préservation de la biodiversité. Nos différentes auditions ont montré sur ce sujet que le triptyque posé par la loi du 10 juillet 1976 – « éviter, réduire, compenser » – était bien souvent resté lettre morte, sauf pour de très rares grandes infrastructures de l'État, qui de surcroît s'est montré plus que négligent dans le contrôle de l'effectivité et de l'évolution dans le temps des mesures compensatoires. Seules quelques très grandes entreprises compensent parfois.

En matière agricole, la mission propose que les soutiens financiers aux agriculteurs souhaitant s'orienter vers une production à caractère écologique soient renforcés. Elle propose aussi que l'agriculture « écologiquement intensive » soit aidée par un dispositif de recherche, ce qui n'est pas le cas actuellement. Enfin, elle souhaite qu'une réflexion soit menée sur les investissements nuisibles à la biodiversité en outre-mer.

En conclusion, je voudrais revenir à notre point de départ, qui était la création éventuelle de l'agence de la nature. J'ai eu le sentiment qu'avec le Grenelle de l'environnement, une dynamique très mobilisatrice avait été enclenchée, mais qu'elle s'était ensuite enrayée, notamment parce que cette création a été perçue par les professionnels concernés comme un moyen de réduire, au moyen de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), les moyens consacrés par la collectivité à la préservation de la biodiversité. Les opérateurs ont besoin de temps, notamment pour améliorer la mutualisation de leurs efforts et de leur savoir-faire en matière de biodiversité, pour évoluer vers une structure commune qui ne peut être que l'aboutissement d'un processus de moyen terme.

Il faut également envisager la dimension internationale de la biodiversité. Nous aidons des pays en voie de développement, dont la biodiversité est importante et parfois menacée. Il faudrait que la préservation de celle-ci puisse être incluse dans nos programmes de coopération.

La dimension agricole reste fondamentale : nous connaissons tous de nombreux agriculteurs de plus en plus conscients de la nécessité de protéger la biodiversité. Il faut savoir les aider un peu plus, lorsqu'ils souhaitent abandonner les méthodes conventionnelles et passer à une agriculture écologiquement intensive.

L'outre-mer nous est également apparu comme très important, car il recèle l'essentiel de notre biodiversité.

Je soutiens donc l'adoption de mesures simples, de bon sens, de cohérence et de coordination. Si elles sont portées par une volonté politique forte, au niveau par exemple du Premier ministre, et relayées par un délégué interministériel à la biodiversité, alors je crois que nous pourrons faire mieux que nous avons fait jusqu'à présent. Et si nous ne faisons rien, je crains que les générations futures – et peut-être même la nôtre – ne souffrent grandement de cette inertie. (Applaudissements sur tous les bancs)

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