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Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 5 avril 2011 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le rapporteur, je veux souligner que le projet de loi que nous examinons revêt un caractère politique crucial, ne serait-ce qu'en raison du nombre d'emplois concernés. L'industrie d'armement compte en effet plus de 160 000 emplois directs en France. Un tiers de son chiffre d'affaires est réalisé à l'exportation. La France ne réalise cependant que 7,3 % des exportations mondiales d'armement, alors que le Royaume-Uni en représente plus de 13,5 % et Israël plus de 5 %. La France apparaît donc plus comme une grande puissance industrielle que comme un marchand d'armes. Cela étant dit, les produits de cette industrie sont d'une nature particulière, qui doivent relever de règles spécifiques dont l'objet est, en l'absence de l'organisation définitive, durable et irréversible d'une défense européenne, de permettre au Gouvernement de poursuivre une politique d'armement au service de sa politique de défense elle-même au service de sa politique internationale.

Tous les pays européens n'ont pas le même sens des responsabilités à l'égard de l'industrie de l'armement : certains n'étant pas de grands consommateurs, et la plupart n'étant pas des producteurs significatifs, ils ont la tentation de « l'achat sur étagère ». Pour autant, nous ne pouvons pas faire l'économie d'une harmonisation communautaire, sauf à accepter que ces pays puissent librement s'approvisionner hors de l'Union alors qu'ils devraient participer à l'effort en faveur de la base industrielle et technologique de défense européenne. Il faut permettre aux producteurs européens de vendre en Europe sans se heurter à des restrictions nationales.

Le projet de loi transpose la directive sur les transferts intracommunautaires de produits liés à la défense et profite de ce biais pour simplifier les procédures de contrôle sans jamais transiger sur le niveau de contrôle qui doit rester rigoureusement élevé.

Il crée trois types de licence – générale, globale, individuelle – correspondant au degré de sensibilité des opérations. L'introduction de la licence générale permettra de transférer librement à l'ensemble de nos partenaires européens, sous certaines conditions, les matériels figurant sur une liste fixée par un arrêté du Premier ministre. Les industriels sauront désormais précisément dans quelle situation ils se trouvent et ainsi ils pourront élaborer leur politique commerciale en toute connaissance de cause et sur le long terme. Je précise que la création de la licence générale devrait conduire à une réduction de moitié des autorisations individuelles.

Nous avons profité de la transposition de la directive pour moderniser notre système global de contrôle des exportations, dont les principes remontent à 1939.

Le projet de loi propose ainsi de fusionner les deux étapes de l'agrément préalable, pour la négociation et la signature du contrat, et de l'autorisation d'exportation, pour le passage de frontière des matériels, en créant une licence unique. Mais, comme l'a rappelé Yves Fromion, simplifier une procédure ne veut pas dire transiger sur son contrôle. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons la mise en place d'un comité ministériel du contrôle qui impliquera plusieurs services du ministère de la défense dans les opérations de contrôle des entreprises sur pièces et sur place. Un haut niveau de sécurité sera donc maintenu, toute autorisation ou certification pouvant être suspendue, modifiée, abrogée ou retirée, notamment dans le cas d'un brusque changement du contexte international.

Les entreprises devront s'organiser différemment, dans un esprit d'efficacité et de responsabilité, pour bénéficier des transferts effectués dans le cadre des licences générales de nos partenaires. L'État, quant à lui, aura à mettre en oeuvre un mécanisme de certification des entreprises extrêmement rigoureux et à organiser un contrôle a posteriori très strict, sur pièces et au sein de l'entreprise.

Outre la simplification des procédures de contrôle, ce projet de loi poursuit un deuxième objectif : contribuer à la construction d'un marché européen de l'armement, tout en évitant, grâce à l'initiative du sénateur Josselin de Rohan, de faire de nos frontières des passoires dans ce secteur extrêmement sensible. Certains marchés de défense ou de sécurité obéissent déjà à une réglementation particulière dans le domaine de la défense. Je pense notamment à l'article 346 TFUE, qui permet d'écarter toute règle de mise en concurrence pour la protection du secret et des intérêts essentiels de sécurité nationaux.

La directive du 13 juillet 2009 a été conçue pour assurer aux pays détenant une importante industrie de l'armement qu'ils ne seront pas confrontés, à l'intérieur de l'espace européen, à la concurrence déloyale de pays qui ne font pas le même effort de recherche et de développement dans le domaine scientifique, industriel et technologique. C'est tout le sens des modifications votées par le Sénat à l'initiative de M. de Rohan. Protéger notre base industrielle et technologique de défense suppose un juste équilibre entre la nécessaire mise en concurrence des industries de défense au sein de l'espace européen et le souci d'éviter d'ouvrir ce marché à des opérateurs qui ne respecteraient pas les règles de l'Union européenne. Nous devons écarter tous les « faux nez » pour éviter qu'ils ne bénéficient des avantages réservés aux ressortissants de l'Union. Il n'est pas question d'appliquer la logique de réciprocité lorsque l'autre État ne respecte pas les mêmes règles. Le danger est bien celui d'un cheval de Troie ou d'un passager clandestin, c'est-à-dire d'un opérateur qui profiterait de l'effort de défense français mais sans accepter de contribuer à sa dynamique.

Très concrètement, ce texte prévoit trois étapes.

Au moment de la rédaction des appels d'offres pour chaque marché, l'autorité adjudicatrice pourra définir si ce marché est restreint à la concurrence communautaire ou s'il est ouvert à une concurrence internationale. La directive nous fournit d'ailleurs certains critères sur lesquels cette analyse pourra s'appuyer : les impératifs de sécurité d'information et d'approvisionnement ; la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État ; l'intérêt de développer la base industrielle et technologique de défense européenne ; les objectifs de développement durable ainsi que les exigences de réciprocité.

Dès la réception des candidatures, avant même la réception des offres, l'autorité adjudicatrice aura le pouvoir d'écarter un candidat implanté hors du territoire de l'Union européenne dont les capacités techniques ne seraient pas d'un niveau suffisant pour l'exécution du marché. Il s'agit d'écarter les « faux nez » de pays avec lesquelles l'Union européenne, pour des raisons évidentes, ne souhaiterait pas travailler. Ce système très strict et sélectif permet d'établir une préférence communautaire.

Enfin, à la réception des offres, l'autorité adjudicatrice pourra avoir intérêt à écarter une offre, au motif notamment que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché, maintenir ou moderniser les produits acquis, ne seraient pas localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.

Ce texte pertinent place la France dans une position solide en termes de concurrence. Il permettra à notre industrie de bénéficier d'un espace européen qui ne soit pas une passoire générale nous plaçant en position d'infériorité face à des concurrents dont les règles seraient trop éloignées des principes auxquels les pays européens ont souscrit. On peut créer un marché européen des équipements militaires sans céder à un libéralisme mal compris qui nous mettrait dans la dépendance de pays qui ne respectent en rien les valeurs auxquelles nous sommes collectivement attachés.

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