Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Anne Froment-Meurice

Réunion du 30 mars 2011 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes :

La convention de reclassement personnalisé (CRP) et le contrat de transition professionnelle (CTP) ont été créés au milieu des années 2000. Traduisant la volonté des pouvoirs publics de développer des outils de sécurisation des parcours professionnels selon une logique de « flexisécurité » empruntée à certains pays scandinaves, ils visaient à proposer aux salariés ayant fait l'objet d'un licenciement économique un accès renforcé à la formation et une indemnisation sensiblement majorée par rapport au droit commun.

Les deux dispositifs devaient arriver à échéance au même moment, le 31 mars 2011. Ce devrait toujours être le cas pour le CTP. Pour la CRP, la dernière prolongation en a repoussé l'échéance au 31 mai 2011, l'accord national interprofessionnel du 25 mars 2011 qui prolonge jusqu'au 31 décembre 2013 la convention générale d'assurance chômage qui l'avait créée n'ayant apparemment traité que de cette dernière.

Le référé adressé le 26 novembre 2010 au ministre du Travail et au ministre du Budget et qui fait suite au contrôle de ces deux dispositifs peut se résumer en trois constats : très proches, ils sont devenus redondants ; leurs résultats sont décevants ; leur coût est à la fois élevé et mal réparti.

Premièrement, CRP et CTP présentent de nombreux points communs. Ils concernent la même population : les salariés en contrat à durée indéterminée ayant fait l'objet d'un licenciement économique de la part d'une entreprise de moins de mille salariés ou les salariés des entreprises de toute taille en situation de redressement ou de liquidation judiciaires. Ils ouvrent droit à un régime d'indemnisation nettement plus favorable que celui des autres demandeurs d'emploi : 80 % du salaire brut antérieur, soit plus de 90 % du salaire net. Il faut remonter à 1974 pour retrouver un régime d'indemnisation aussi favorable. Ils offrent tous deux un accompagnement renforcé sous forme d'un suivi personnalisé des démarches de retour à l'emploi effectuées par les bénéficiaires. Enfin, les bénéficiaires des deux dispositifs ne sont pas considérés comme des demandeurs d'emploi mais comme des stagiaires de la formation professionnelle ; en conséquence, ils ne sont pas comptés dans les statistiques du chômage.

Il existe des différences entre les deux dispositifs mais elles sont très limitées : le CTP est piloté par l'État alors que la CRP relève de l'assurance chômage ; le CTP a été conçu comme un dispositif expérimental qui devait se substituer à la CRP dans certains bassins d'emploi justifiant une aide particulière alors que la CRP concerne l'ensemble du territoire ; enfin, le critère d'ancienneté dans l'emploi est de deux ans au minimum pour le CRP et il n'y en a pas pour bénéficier du CTP.

Ces différences se sont estompées au fil du temps, le CTP ayant fait l'objet d'une extension géographique continue qui ne correspond pas à une logique économique rigoureuse. Dès l'origine, certains des sept premiers bassins d'emplois concernés affichent des taux de chômage inférieurs, voire très inférieurs, à la moyenne nationale, comme à Vitré et à Morlaix. Pour ces premiers bassins d'emploi déjà, les critères objectifs de sélection et de délimitation n'ont pas été explicités. L'imprécision demeure, et les critères sont trop généraux pour ne pas laisser subsister des risques importants de disparité de traitement entre des zones aux caractéristiques comparables. Enfin, les conditions d'indemnisation et de durée de la CRP, à l'origine moins favorables que celles du CTP, ont été quasiment alignées sur ce dernier.

CRP et CTP apparaissent aujourd'hui bien plus redondants que complémentaires, et la logique d'ensemble du système a été perdue de vue.

Deuxièmement, les résultats obtenus par ces deux dispositifs sont plutôt décevants. En premier lieu, leur utilisation a été limitée. Certes, CTP et CRP ont été mobilisés pendant la crise, mais ils n'ont au total concerné qu'une fraction réduite des demandeurs d'emploi : seuls 36 % des salariés licenciés économiques en 2009, soit 152 000 personnes – dont 137 000 pour la CRP et 15 000 pour le CTP - ont bénéficié de l'un de ces dispositifs cette année-là. En 2010, le nombre de bénéficiaires serait de l'ordre de 110 000. Le recours au CTP et à la CRP a été inférieur à l'utilisation qui avait été faite des anciennes conventions de conversion.

Les résultats déçoivent également au regard des moyens mis en oeuvre pour offrir aux adhérents de la CRP et du CTP un important effort d'accompagnement. L'intensité des prestations qui leur sont offertes doit être soulignée. En 2009, les salariés adhérents ont eu en moyenne neuf entretiens par personne pour la CRP, contre 4,3 en moyenne pour les demandeurs d'emploi toutes catégories confondues, et ils se sont vu communiquer par Pôle Emploi cinq mises en relation avec des employeurs potentiels, contre 0,7 en moyenne pour l'ensemble des demandeurs d'emploi.

Pourquoi ces résultats décevants ? Il semble à la Cour que le ciblage des bénéficiaires est peu pertinent. Les importants moyens mobilisés ont été destinés à une population dont rien ne garantit que sa situation justifiait pleinement ces efforts particuliers.

Comme je l'ai indiqué, 36 % seulement des personnes ayant fait l'objet d'un licenciement économique se sont vu proposer un CTP ou une CRP. Différentes raisons peuvent expliquer cette situation, mais il apparaît que les personnes auxquelles ces dispositifs n'ont pas été proposés sont précisément celles dont la situation au regard de l'emploi apparaît la plus fragile : ils ont plus souvent un travail à temps partiel, leur qualification est moins élevée, leur salaire plus faible et ils sont salariés d'entreprises plus petites, souvent dans le secteur artisanal. En bref, les salariés a priori les plus éloignés de l'emploi n'ont pas toujours pu bénéficier des deux dispositifs alors même qu'ils entraient dans leur champ d'application – un champ d'application qui est en lui-même motif d'interrogation.

Ces dispositifs ne concernent en effet que les personnes ayant fait l'objet d'un licenciement pour motif économique. Or la part des licenciés économiques parmi les demandeurs d'emploi, passée de 12,5 % en 1980 à 4,4 % en 2009, est aujourd'hui très faible. Par ailleurs, ces salariés ne sont pas nécessairement les plus fragilisés au regard du marché du travail. Ce ciblage n'apparaît donc pas de nature à diriger les moyens vers les salariés qui en auraient le plus besoin.

On note également des résultats décevants en termes d'insertion dans l'emploi. Selon une étude réalisée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques – la DARES – en 2008 pour l'année 2006, les taux de retour à l'emploi dix-huit mois après une CRP ou un CTP étaient respectivement de 66 % et 70 %. Mais cette proportion, satisfaisante en apparence, doit être comparée avec celle qui concerne les salariés ayant bénéficié de dispositifs de droits commun. On constate alors que 57 % des demandeurs d'emploi ayant bénéficié d'une formation délivrée par l'Association pour la formation professionnelle des adultes – l'AFPA – en 2007 avaient retrouvé un emploi dans les six mois suivant leur sortie de formation. Surtout, les taux de retour à l'emploi des CRPCTP se sont nettement dégradés au fil des ans, sans qu'il soit possible de distinguer ce qui relève de l'usure des dispositifs et des effets de la crise économique. En 2009, ce taux n'était plus que de 48 % douze mois après un CTP, et les chiffres les plus récents sont préoccupants : à la fin 2010, en région Île-de-France, 69 % des bénéficiaires de CRP se sont réinscrits à Pôle emploi juste après la fin de la CRP, et même 77 % des seniors. Les résultats en termes d'insertion dans l'emploi obtenus par les CTP et CRP ne se distinguent plus clairement de ceux obtenus avec les dispositifs de droit commun. Leur bilan apparaît donc décevant au regard des moyens déployés.

Troisièmement, ces dispositifs représentent un coût élevé et mal réparti. Le CTP et la CRP font intervenir quatre financeurs : l'État, l'Unedic, la sécurité sociale en raison de l'exonération de cotisations associée à ces dispositifs et le salarié lui-même, qui doit, pour en bénéficier, renoncer à l'indemnité de préavis à laquelle il a droit.

Le coût total du CTP pendant la période 2006-2009 a été de 200 millions d'euros environ. Sur la base des chiffres de la Société de gestion du contrat de transition professionnelle, la SGCTP, le coût unitaire, sur la période, est estimé à 15 500 euros, dont 90 % de dépenses d'allocations, le reste étant constitué de dépenses d'accompagnement et de frais de gestion, qui sont principalement financés par l'État. Les charges d'allocation ont été réparties entre l'assurance chômage pour 39 % et l'État pour 38 %, les 23 % restants étant financés par les droits à préavis des salariés concernés. L'État, qui assume au total 44 % des dépenses, est le principal financeur du CTP.

Le coût global de la CRP a excédé un milliard d'euros en 2009. La CRP étant un dispositif conventionnel, son financement repose en grande partie sur l'assurance chômage qui verse les allocations et finance les actions d'accompagnement. La dépense devrait atteindre 1,85 milliard en 2010, dont 60 millions pour l'accompagnement, mais il faut noter que, compte tenu des produits enregistrés par l'Unedic au titre des droits à préavis, sa participation nette au financement des allocations spécifiques de reclassement n'a été en réalité que de 49 % pour la période 2005-2008 et de 53 % en 2009.

La sécurité sociale, qui ne reçoit pas les contributions au titre de la CSG et de la CRDS, et pas davantage les cotisations patronales et salariales au titre de l'indemnité de préavis des salariés bénéficiaires, est un contributeur net aux deux dispositifs. Sa participation cumulée, de 2005 à 2009, est évaluée à 600 millions d'euros, dont 300 millions d'euros environ pour la seule année 2009.

Un mot enfin sur la gestion, que la Cour des comptes a considérée comme critiquable, du CTP. Alors que l'ANPE puis Pôle emploi ont été désignés comme gestionnaires de la CRP, l'État a suscité la création d'une structure de gestion privée pour gérer le CTP. Celle-ci a pris la forme d'une société commerciale, la SGCTP, dont l'AFPA est l'actionnaire unique. Cette société a subsisté alors même qu'elle ne gère qu'une partie des CTP, ceux des sept bassins sélectionnés à l'origine, Pôle emploi assurant la gestion du CTP pour les 25 autres bassins concernés.

Outre que l'on perçoit mal l'avantage d'une organisation aussi complexe, la SGCTP a des coûts de gestion élevés - charges de structure, dépenses de communication et coûts logistiques dont le recours à un opérateur public aurait permis de faire l'économie. Enfin, cette société a bénéficié de concours budgétaires supérieurs à 95 millions d'euros depuis 2006 sans base législative en ce qui concerne la prise en charge des allocations de transition professionnelle, et sans que la société ne fasse l'objet du contrôle qui s'imposait. La Cour a toutefois contrôlé cette société en 2010 ; la procédure contradictoire est en cours.

En conclusion, compte tenu des traumatismes qu'engendrent les licenciements économiques et les défaillances d'entreprises, les partenaires sociaux et l'État ont légitimement cherché à en prévenir et à en atténuer les effets, en complément de la responsabilité des entreprises dans les plans de sauvegarde de l'emploi. Bien qu'ils aient été à l'origine d'une mobilisation réelle des partenaires concernés, le CTP et la CRP n'ont qu'imparfaitement atteint les objectifs qui leur avaient été assignés.

Ils ont tout d'abord – et c'est la critique la plus forte de la Cour – concentré des moyens importants au profit de bénéficiaires qui n'étaient pas nécessairement ceux qui en avaient le plus besoin. C'est en effet le statut de licencié économique et non la distance à l'emploi qui détermine l'entrée dans les deux dispositifs, et ce critère est aujourd'hui peu pertinent. Surtout, les licenciements économiques ne concernent pas nécessairement les salariés les plus fragiles. Le CTP et la CRP ont conduit à soutenir certains salariés qui n'en avaient pas besoin et à en négliger d'autres, notamment ceux sous contrats précaires, qui n'ont pas été concernés par les deux dispositifs, si ce n'est pendant le temps d'une expérimentation très limitée, à l'été 2010.

Ce constat appelle deux critiques de nature différente mais d'égale importance : tout d'abord, l'efficacité des CRP et CTP a probablement été amoindrie par le ciblage peu pertinent des bénéficiaires des mesures ; par ailleurs, l'équité de ces dispositifs est sujette à caution, CRP et CTP ayant accordé des niveaux d'indemnisation sans précédent depuis 1974 et un accompagnement très supérieur à celui dont disposent en moyenne les demandeurs d'emploi, sans que l'on se soit assuré que la situation des bénéficiaires justifiait ces efforts.

Les deux dispositifs, devenus redondants, ont fait perdre de l'efficacité à la gestion et de la lisibilité aux politiques correspondantes. Par ailleurs, considéré comme expérimental depuis 2006, le CTP aura finalement été prorogé jusqu'au premier trimestre 2011 sans que les enseignements de cette expérimentation aient jamais été tirés ni qu'ils aient été présentés au Parlement, alors que les textes le prévoyaient. Plus largement, le CTP et la CRP n'ont fait l'objet d'aucune évaluation systématique de la part des services de l'État et les quelques données d'évaluation dont nous disposons sont éparses, hétérogènes et peu significatives.

À l'issue de ce contrôle, la Cour a formulé six recommandations. La première est de fusionner le CTP et la CRP ; cela semble en bonne voie. La deuxième est de mieux cibler le dispositif résultant de cette fusion sur les salariés les plus éloignés de l'emploi, ce qui suppose notamment de ne plus prendre pour critère unique de l'accès au dispositif le statut de licencié économique. La troisième est de dissoudre la SGCTP. La quatrième consiste à redéfinir un niveau adapté d'accompagnement et d'indemnisation au vu des enseignements tirés de ces deux expériences. La cinquième tend à rééquilibrer la contribution des financeurs. La dernière est de prévoir un dispositif d'évaluation systématique et régulier des résultats obtenus par ce nouveau dispositif afin d'en mesurer précisément l'avantage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion