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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 30 mars 2011 à 15h00
Débat sur "europe et méditerranée"

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, face aux révoltes populaires dans le monde arabe, l'Union européenne, tout comme les grandes capitales occidentales, ne s'est pas montrée à la hauteur des enjeux historiques. Complètement dépassée, l'Union européenne a fait preuve d'une incompréhension et d'un manque de réactivité ahurissant.

Hésitante à soutenir les mouvements démocratiques, l'Union européenne, engluée dans une vision paternaliste du monde arabe, s'est retrouvée face à ses contradictions. Porte-drapeau des valeurs de liberté et de démocratie dans ses discours, mais soutien inconditionnel aux régimes dictatoriaux en place dans ses actes, l'Union européenne a perdu toute crédibilité.

Aujourd'hui, c'est l'ensemble de la politique extérieure de l'Union européenne vis-à-vis des pays de la rive sud de la Méditerranée qui est mise en cause. Une politique qui, loin de se préoccuper de la volonté des peuples arabes, se résume à ce triptyque : maintenir la stabilité, préserver les intérêts européens et agir pour la sécurité, c'est-à-dire contre l'immigration et le spectre de l'islamisme et pour Israël.

C'est tout d'abord la volonté de maintenir la stabilité dans les pays arabes qui a conduit l'Union européenne à traiter avec des régimes autoritaires.

Sur le plan économique, l'Union européenne a favorisé la privatisation ou la mise en gestion déléguée des entreprises et établissements publics des pays du Maghreb. Elle a contribué, avec les pouvoirs autoritaires, à créer une classe d'entrepreneurs chargée de canaliser les fonds occidentaux tout en donnant une image positive de leur pays et a installé les investisseurs étrangers dans les niches les plus rentables. Aujourd'hui, les rapports des pays du Maghreb avec l'Union européenne sont empreints d'une très forte dépendance économique. Les échanges commerciaux se font principalement au profit des pays de l'Union européenne tandis que l'endettement des pays arabes se creuse. En Tunisie, par exemple, 80 % des échanges sont réalisés avec l'Union européenne. Dans le même temps, la société civile, quant à elle, a été marginalisée. L'Union européenne a négligé les aides à la société civile et n'a accordé aucun appui aux petites et moyennes entreprises créatrices d'emplois.

Sur le plan politique, l'Union européenne s'est décrédibilisée aux yeux des peuples de la Méditerranée en fermant les yeux sur le respect des droits de l'homme. Alors que l'article 2 des accords d'association, qui liaient l'Union européenne à la Tunisie ou encore à l'Égypte, prévoyait une conditionnalité de respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux, l'UE n'a jamais activé les clauses de suspension et a laissé les violations des droits de l'homme se multiplier inlassablement.

Il semble donc que l'Union européenne ait considéré que l'existence d'un système de corruption généralisé et le non-respect de l'État de droit n'étaient pas inconciliables avec un développement durable dans cette partie de la Méditerranée.

Suivant une approche "pragmatique", l'Union européenne a opté pour la mise en place de projets concrets. C'est dans cette perspective que l'Union pour la Méditerranée, bâtie sur le constat de l'échec du processus de Barcelone lancé en 1995, devait incarner une sorte d'objet apolitique à vocation fonctionnelle et technique. Mais le succès de l'UPM était, dès l'origine, plus qu'incertain. Cette initiative franco-française a été lancée sans concertation ni volontarisme des différents partenaires. Elle a souffert de l'absence de garantie sur le financement des projets, du silence sur les questions relatives aux droits de l'homme et de la non-résolution des conflits de la région : le conflit israélo-palestinien, sur lequel je reviendrai plus loin, et celui du Sahara Occidental.

Finalement, l'Union pour la Méditerranée n'a été perçue, dans le monde arabe, que comme un moyen pour l'Union européenne d'imposer Israël. Et pour cause, on se souvient qu'en décembre 2008, alors que l'Union européenne avait décidé le « rehaussement » des relations bilatérales avec Israël, l'armée israélienne – peut-être comme un remerciement – se lançait à l'assaut du territoire de Gaza et commettait, en toute impunité et presque sans réactivité, des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité.

Cette offensive israélienne contre la bande de Gaza, dont je ne peux manquer de rappeler le triste bilan – près de 1 400 Palestiniens tués, parmi lesquels 900 civils dont 300 enfants, et environ 5 300 blessés, et dix morts du côté israélien – a suspendu toute action de l'Union pour la Méditerranée juste après son lancement. Cet épisode a éveillé ou renforcé, selon les cas, la méfiance des pays arabes sur un projet où Israël est partie prenante. Aujourd'hui, ses fondements se trouvent ébranlés par la puissance de l'onde de choc des mouvements populaires qui traversent le monde arabe. La perspective d'une démocratisation des régimes de la rive sud de la Méditerranée modifie la donne géopolitique de la région et bouscule les grilles d'analyse et autres paradigmes sur lesquels était fondée la perception européenne du monde arabe en général et du Maghreb en particulier.

Prenant acte de ce bouleversement, il semble que l'Union européenne ait initié son mea culpa. Stefan Füle, commissaire européen en charge de la politique d'aide aux voisins de l'Union européenne, a admis que l'Union européenne n'avait, jusqu'à présent, pas assez défendu « les droits de l'homme et les forces démocratiques locales » sur la rive sud de la Méditerranée. Les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement ont adopté, sur proposition de la Commission européenne, les grandes lignes d'un nouveau « partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée » entre l'Union européenne et ses voisins du sud de la Méditerranée. Si cette idée semble, a priori, intéressante, il ne faut pas que ce soit simplement un « nouveau slogan ». Il faut qu'elle engendre de nouveaux rapports fondés sur le codéveloppement, le partenariat stratégique, l'équilibre et l'égalité. En effet, au-delà des grandes déclarations, c'est à travers des changements concrets et courageux dans sa politique étrangère que l'Union européenne gagnera en crédibilité dans le monde arabe et méditerranéen et pourra se positionner comme un acteur politique de poids capable de soutenir les aspirations démocratiques des peuples.

Le premier changement que l'Union européenne devrait entreprendre est de rompre avec la politique du « deux poids, deux mesures », une politique à géométrie variable qui consiste à exiger le respect des règles démocratiques dans un cas et à accepter qu'on les piétine allègrement dans un autre. En évoquant la démocratie et les droits de l'homme pour la Côte-d'Ivoire ou le Darfour et en se taisant devant les crimes de guerre commis en Irak ou à Gaza…

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