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Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du 23 mars 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République :

Croyant moins à la vertu spontanée qu'aux bienfaits du contrôle, monsieur Dosière, je n'ai cessé moi-même de réclamer le renforcement de l'évaluation parlementaire. Le Parlement devrait s'emparer de questions telles que l'incidence de l'informatisation sur la qualité des prestations administratives, par exemple. Vous devriez par ailleurs envisager la possibilité de faire évoluer les outils que vous mettez en place. Ainsi, la LOLF, en dépit de ses qualités, ne permet pas en l'état une gestion optimale des deniers publics, la rigidité de ses procédures interdisant toute aggravation des dépenses, même quand celle-ci permet de réaliser à terme des économies. Les parlementaires devraient introduire un peu de bon sens dans ces mécanismes excessivement rigoureux.

J'ai donné mon accord à l'installation d'un comptable public à la Médiature, comme le souhaitaient les services du Premier ministre, sous réserve d'un contrat garantissant le maintien de la qualité de paiement et prévoyant la facturation d'intérêts de retard en cas de dépassement des délais de paiement. Or, je constate que le comptable public n'est toujours pas en place.

La question du respect de la loi mérite effectivement d'être approfondie, madame Karamanli. Il existe aujourd'hui une certaine incapacité à dialoguer, ce qui conduit à un recours excessif aux tribunaux. Devant certains d'entre eux, la moitié des procès porte sur des montants inférieurs à 500 euros. Dans le même temps, des personnes appartenant à la classe moyenne renoncent à saisir un tribunal, faute d'avoir les moyens de payer un avocat. L'accès à la justice est donc très inégal. Alors que les très grandes entreprises n'hésitent pas à multiplier les procès, notamment en matière d'assurance, on renonce parfois à divorcer dans la classe moyenne, compte tenu de la dépense que cela représente. D'autres justiciables bénéficient, en revanche, d'une prise en charge de leurs frais, et intentent des procès pour des broutilles. Un homme a ainsi poursuivi sa voisine pour abus de confiance au motif qu'elle avait oublié de lui rendre un pantalon – il lui confiait son linge. Les parents de certains collégiens vont même jusqu'à assister aux conseils de discipline en compagnie de leur avocat, parfois revêtu de sa robe, parce qu'ils ne font pas confiance au collège ni à son principal.

Certains de nos concitoyens nous expliquent qu'ils n'ont pas les moyens financiers de résister quand l'autre partie fait durer la procédure en matière de divorce, de succession ou encore d'indemnisation par les assurances. Ils finissent par « baisser les bras ». Ce sont ceux qui ont le plus de moyens qui l'emportent.

Alors que la loi est censée protéger les plus faibles, ce sont les plus forts et les plus procéduriers qui triomphent ! Et l'image de la loi en souffre naturellement. Je pourrais vous citer l'exemple d'un homme dont la mère, handicapée, souhaite récupérer son appartement, mais ne parvient pas à expulser son locataire, bien que ce dernier ne paie pas son loyer.

Par crainte d'un lynchage médiatique, les conseils généraux demandent à leurs travailleurs sociaux de veiller, en priorité, au respect des procédures en cas de signalement ; pour la même raison, des magistrats en viennent à se demander s'il n'est pas préférable de maintenir en prison des détenus qui pourraient bénéficier d'une libération conditionnelle.

La dictature de l'émotion et du court terme risque de remettre en cause certains principes républicains. Il faut donc veiller à prendre du temps et du recul. À cet égard, le Défenseur des droits pourrait jouer un rôle utile en garantissant une meilleure écoute et une meilleure compréhension. Nous réalisons, pour notre part, un travail considérable avec la médiatrice de l'éducation nationale, Monique Sassier, grâce à qui nous parvenons à régler de nombreux problèmes.

À l'hôpital, la première des préoccupations n'est pas de consulter les documents relatifs aux droits du patient. C'est seulement en cas de problème qu'on se demande à qui s'adresser. Or, on ne le sait pas. D'une manière générale, la Commission des lois pourrait utilement travailler sur l'accès au droit dans notre société, mission qui est aujourd'hui placée sous la responsabilité de la Chancellerie, mais qu'on pourrait envisager de confier aux services du Premier ministre.

Comme le suggère Yves Nicolin, on pourrait également développer les médiations de proximité afin d'éviter les recours excessifs aux tribunaux. Selon les partenaires sociaux, 50 % des dossiers ne passent pas devant les prud'hommes lorsqu'une médiation est imposée. C'est un thème sur lequel nous avons beaucoup travaillé avec le président Jean-Claude Magendie, en particulier pour les couples ayant des enfants et souhaitant divorcer : il s'agissait de permettre au juge d'imposer le recours à un médiateur s'il estime que les parties peuvent s'entendre malgré leurs différends. On s'est aperçu que les solutions adoptées dans ce cadre, sous le contrôle d'un magistrat, sont plus solides, mieux acceptées par les parties et préférables pour l'institution judiciaire.

Les rapports binaires devenant de plus en plus violents entre les fils et les pères, les salariés et les employeurs, les élèves et les enseignants, le développement des recours au Médiateur comme tierce partie constitue un véritable phénomène de société sur lequel vous pourriez travailler. La médiation peut être un outil très utile, aussi bien pour le magistrat que pour le principal d'un collège. Même quand mes services ne peuvent pas intervenir, les requérants nous remercient pour la réponse que nous leur apportons. En général, la décision de l'administration n'est assortie d'aucune explication, et il est impossible de joindre qui que ce soit : il n'y a personne au bout du fil, alors que nos concitoyens ont besoin d'être mieux informés, en particulier quand une décision leur est défavorable. Ils ont aussi le droit de savoir pourquoi leur TGV s'est subitement arrêté.

La saisine parlementaire ne concerne plus aujourd'hui que 1 500 des 79 000 dossiers dont nous avons à connaître. Cela étant, nous accordons toujours un grand intérêt au développement de nos relations avec les parlementaires dans le cadre du traitement des dossiers collectifs, comme nous l'avons fait avec Pierre Morel-A-L'Huissier. Cela nous a permis d'obtenir satisfaction dans un certain nombre de cas, notamment en matière d'indemnisations agricoles.

En ce qui concerne les « recommandations en équité », si nous avons, certes, des motifs de satisfaction, nous avons aussi des motifs de frustration. Dans un dossier très complexe porté par un parlementaire, un ministre a accepté d'indemniser des familles sur le fondement d'une recommandation du Médiateur, alors que le délai de prescription était expiré. En revanche, nous n'avons pas réussi à faire évoluer la position du ministre du budget dans un autre dossier, relatif à un impôt indirect : contrairement à ce qu'elle peut faire en matière d'impositions directes, l'administration ne peut pas revenir sur les majorations de retard dans ce domaine, les intéressés étant alors considérés non comme des contribuables, mais comme des percepteurs de l'impôt. Il s'agissait, en l'espèce, d'une commerçante faisant l'objet d'un redressement après avoir opté pour un régime « sans TVA » sur recommandation de l'administration fiscale. Il me semble que la Commission des lois pourrait se saisir de la recommandation en équité que nous avons formulée à cet égard, et faire évoluer la loi en la matière.

Le nombre des saisines a augmenté de 25 ou 30 % en cinq ans, et nous avons constaté un accroissement du recours à Internet, par mail ou par l'intermédiaire de notre plateforme interactive.

Je le répète : l'accès au droit est une question essentielle !

J'évoquerai maintenant nos relations avec le Gouvernement et le Parlement.

Je voudrais remercier en particulier le président de votre Commission des lois, qui a systématiquement auditionné le Médiateur en matière de simplification du droit. Plusieurs propositions ont été retenues sur notre recommandation, et un travail très intéressant a pu être accompli avec vous. Nous recevons, par ailleurs, de nombreux parlementaires. Ils peuvent nous consulter dans le cadre des missions d'information, comme ce fut le cas dans l'affaire de l'amiante. Nous avons, en outre, considérablement développé nos relations avec les ministères, qui se montrent sensibles à certaines de nos propositions. Même s'il reste encore des points à régler, le dossier de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires a bien progressé.

S'agissant du Défenseur des droits, dont la nomination devrait intervenir dans le mois qui vient, je rappelle que l'obligation de réponse incombant aux administrations constitue un vrai pouvoir. Il n'est pas normal que certaines institutions gardent le silence. L'accès aux documents est également essentiel, de même que le pouvoir d'interpellation. Les services de Bercy nous ont fait comprendre qu'ils ne dégageraient pas les moyens nécessaires pour traiter les 4 % de dossiers qui posent problème.

Guénhaël Huet a entièrement raison pour ce qui est de la pédagogie et de l'intérêt général. Souvenons-nous d'Antigone, qui considérait que les lois non écrites sont supérieures aux lois écrites. L'éducation citoyenne étant aujourd'hui en faillite, le législateur a tendance à compenser le recul de la morale individuelle et de la morale collective, en France comme ailleurs, ce qui conduit à une inflation législative. On pense, en effet, que la loi peut remplacer la morale : la loi sert de structure à la cohésion sociale et au vivre-ensemble alors que cette fonction devrait être assurée par les comportements individuels. Nous avons besoin d'un retour de l'éducation !

Trop de loi tue la loi : je soutiens le président Warsmann dans son combat. Nul n'est censé ignorer la loi, et pourtant personne ne la connaît. Les lois se succédant sur certains sujets, l'administration n'a même pas le temps de les « digérer » : il arrive qu'elle soit en retard d'un texte ou deux, souvent à cause de problèmes de formation. Dans ces conditions, la législation n'est pas toujours appliquée de manière uniforme dans tous les départements, et l'inflation d'annonces législatives aboutit à une confusion, si bien que plus personne ne s'y retrouve.

Monsieur Dosière, un certain nombre de magistrats, notamment administratifs, reconnaissent appliquer des lois qu'ils trouvent cependant injustes. Le travail d'évaluation parlementaire prend, bien sûr, un relief particulier dans ce contexte.

Je tiens à remercier Michel Hunault pour ses propos. J'apporterai toutefois une précision : le Médiateur ne disparaît pas ! Il se transforme avec le Défenseur des droits. Un faux procès a été instruit sur ce sujet.

Patrice Verchère a raison de s'interroger sur les dossiers qui pourraient être réglés en amont. Nous nous demandons souvent pourquoi certains cas remontent jusqu'à nous, au lieu d'être traités par les services sociaux de proximité. On se défausse parfois sur le Médiateur de difficultés qui auraient pu être réglées sur le terrain plus rapidement et plus près des intéressés. Je suis atterré par les carences du traitement sur le terrain, qui font que nos concitoyens sont complètement perdus.

Le nombre des appels téléphoniques reçus par le pôle « santé et sécurité des soins » est passé de 2 500 à 12 000 en trois ans. Nous avons constaté que 18 % des appels venaient de praticiens, et qu'ils concernaient des problèmes de maltraitance dans 60 ou 70 % des cas. Cette maltraitance n'est pas physique : il s'agit, par exemple, de personnes ne parvenant pas à savoir de quoi leur père est mort. Le développement de certaines fragilités individuelles conduit à une sensibilité à la maltraitance plus forte qu'auparavant, et les agents ont parfois le sentiment d'être agressés. Des patients se rendent aux urgences parce qu'ils ont peur de rester seuls le week-end, et l'on a vu des hommes agresser le personnel hospitalier au motif qu'on ne s'occupait pas de leur femme en train d'accoucher : ces hommes ne comprenaient pas qu'on traite en priorité les victimes d'infarctus.

L'année 2011 pourrait utilement faire l'objet d'un engagement en matière de solidarité de proximité et de respect réciproque – si l'on veut être respecté, il faut aussi respecter l'autre.

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