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Intervention de Marie-Claire Carrère-Gée

Réunion du 16 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'orientation pour l'emploi :

Le Conseil n'a pas auditionné les structures nationales des missions locales faute de temps. Les partenaires sociaux nous ont saisis en décembre, le rapport a été rendu fin janvier. Dans ce contexte, nous avons privilégié l'audition d'un acteur de terrain, M. Régis Barbier, directeur d'une mission locale qui participe de surcroît à des expérimentations. Nous les entendrons bien volontiers si les partenaires sociaux, l'État et les collectivités locales décident enfin de travailler sur les questions de gouvernance. Je n'accepte un sujet que lorsque j'ai la certitude qu'un consensus pourra se dégager pour faire avancer les choses – je ne vois pas l'intérêt de propositions sans portée – et je militerai pour que ce soit le cas. C'est un vrai problème d'avoir un service public de l'emploi pour les jeunes complètement éclaté, dont chaque intervenant a certes sa légitimité, mais sans personne pour tenir les leviers.

Je remercie M. Cherpion de soutenir l'idée d'une part de formation en alternance dans tous les diplômes. On ne fera rien dans ce domaine sans réformer parallèlement les financements, c'est-à-dire la taxe d'apprentissage. Je vous fais confiance pour y veiller dans le projet de réforme structurelle de l'alternance que veut présenter le Gouvernement. Quant au chômage de longue durée des jeunes, c'est effectivement un fait nouveau. Traditionnellement, ils vivaient beaucoup plus de transitions entre emploi et chômage que les autres populations, mais restaient souvent peu de temps au chômage – beaucoup moins longtemps que les plus de 50 ans par exemple. La crise a changé la donne. La progression du chômage de longue durée chez les jeunes est spectaculaire, alors même que leur taux de chômage a tendance à régresser. Ce qui est inquiétant, c'est que dans certains cas, il n'existe pas d'outil adapté. Il y a des dispositifs pour les jeunes sans qualification ou avec une qualification très insuffisante : les missions locales en sont familières. Mais il y a de jeunes diplômés, parfois à haut niveau, et dans des matières en phase avec le marché du travail, qui ont eu la malchance de tomber au mauvais moment : ils n'ont pas voulu ou pas pu prolonger leurs études et se retrouvent en concurrence avec des gens tout aussi bien diplômés, mais plus fraîchement. Le service public de l'emploi n'a pas vraiment d'outil pour les prendre en charge. Les partenaires sociaux sont en train d'en discuter. Il est urgent de prévoir des dispositifs d'accompagnement renforcé avec l'Agence pour l'emploi des cadres : certains de ces jeunes n'ont pas mis les pieds dans une entreprise depuis deux ans.

Les contrats d'autonomie peuvent convenir à certaines de ces situations. La mesure a été très longue à décoller et il en a été dit beaucoup de mal, mais nous sommes plus nuancés. Elle est très adaptée aux besoins de coaching de certains jeunes, en matière de représentation ou de confiance en soi, par exemple. En revanche, il serait urgent d'évaluer les opérateurs chargés de sa mise en oeuvre, qui ont des taux de réussite spectaculairement différents – et tout ne s'explique pas par des raisons géographiques. D'une manière générale, nous n'avons pas d'objection au recours à des opérateurs privés de placement. En tout cas, et quoi qu'on pense de la configuration idéale du service public de l'emploi, la crise n'a pas laissé le choix : aucun organisme ne pouvait faire face à l'afflux des demandeurs d'emplois, et il y avait des opérateurs privés qui savaient faire. Mais à titre personnel, je pense qu'il faudrait mettre de l'ordre dans l'activité des sociétés d'intérim intervenant comme opérateur privé de placement. Les entreprises d'intérim ne font pas spontanément de l'accompagnement, ou peu : c'est en plaçant des gens dans les entreprises qu'elles gagnent de l'argent. Je crains une sorte de conflit d'intérêt lorsqu'elles accompagnent des demandeurs d'emplois au titre de Pôle emploi et qu'ensuite elles les placent dans une entreprise, et qu'elles sont rémunérées pour les deux actions.

Pour ce qui est du stop-and-go, il est vraiment très difficile de réamorcer la pompe lorsqu'elle a été arrêtée. Quand on a annoncé 500 millions supplémentaires pour l'emploi, en février, c'était quinze jours après une circulaire demandant aux services déconcentrés de mettre le frein sur les contrats aidés… Pour ma part, je ne suis pas sûre qu'il y ait trop de mesures. En revanche, elles sont trop instables. En 2005 ou 2006, Jean-Louis Borloo a décidé de soutenir fortement l'alternance, avec une exonération de charges sociales pour les contrats de professionnalisation. C'était simple, efficace et cela a permis à ces contrats nouveaux de décoller. En 2008, l'exonération a été supprimée. En avril 2009, pour cause de crise, on a voulu relancer l'alternance, mais par le biais d'une aide financière de l'État. La mesure a pris fin en juin 2010, puis a été reprise de fin juillet à fin décembre. Aujourd'hui, on annonce de nouvelles aides, encore différentes. Je suppose que l'objectif est de mieux cibler les mesures, ce qui se comprend dans le contexte de nos finances publiques. Mais à force de finasser et de vouloir réinventer l'eau tiède à chaque changement de ministre, six régimes différents sont apparus en cinq ans ! C'est d'autant plus regrettable que si les contrats d'apprentissage sont en progression, pour l'immense majorité d'ailleurs dans le cycle supérieur comme cela a été rappelé, le nombre des contrats de professionnalisation reste étal. Si l'on veut vraiment booster l'alternance, il faut les développer eux aussi, d'autant que les dispositifs dont ils ont pris la place, comme les contrats d'adaptation et contrats de qualification, représentaient un volume global beaucoup plus important.

Comment diriger plus de jeunes vers l'apprentissage ? Le Conseil insiste sur le rôle du service public de l'orientation – ce qui implique un nombre suffisant de conseillers d'orientation. La communauté éducative doit aussi s'impliquer davantage. Une proposition du Conseil, très audacieuse si l'on considère qu'elle a été adoptée à l'unanimité, est que tous les enseignants de la filière générale aient fait un stage en lycée professionnel ou en centre de formation d'apprentis. Il faut que les deux mondes se connaissent, et surtout en finir une bonne fois pour toutes avec un certain mépris pour l'apprentissage – bref, que les systèmes soient beaucoup plus perméables. Enfin, il faut s'intéresser à la question des filles : dans l'industrie du bâtiment, elles représentent entre 4 et 20 % des apprentis ! Il est dommage que le meilleur outil d'insertion professionnelle leur soit de fait fermé – elles ne sont pas exclues d'office, mais elles ne sont pas là et personne ne vient les chercher. Tant qu'on ne s'en occupera pas, l'alternance ne progressera pas.

Vous avez dit que les jeunes étaient la variable d'ajustement de notre économie, ce qui obligeait la collectivité à financer des dispositifs d'aide. Mais c'est parfaitement normal ! Élargir les conditions d'indemnisation des demandeurs d'emploi en temps de crise est la moindre des choses. En revanche, il faut vraiment que les syndicats et le patronat se décident à trouver un accord interprofessionnel sur l'emploi précaire. Il n'est pas question d'interdire les CDD et l'intérim, qui ont une utilité incontestable, mais il faut sanctionner très fortement, financièrement ou par d'autres moyens, les entreprises qui en abusent. Les chefs d'entreprise ne sont d'ailleurs pas seuls responsables : il y a une sorte de résignation à l'égard de la situation des jeunes dans l'ensemble de la société, et même dans les syndicats, sur le mode « ils sont jeunes, ils finiront bien par s'insérer ».

Vous avez aussi signalé les difficultés des jeunes en tant qu'entrants sur le marché du travail. J'en profite pour alerter sur un discours très répandu en ce moment, selon lequel les politiques de l'emploi ne servent pas à grand-chose et qu'en ces temps d'économies budgétaires, ses millions seraient bien plus utiles ailleurs. L'argument se fonde sur une analyse assez perverse : si le taux de chômage des jeunes est assez élevé, c'est qu'il y a nécessairement un moment où ils cherchent leur premier emploi, ce qui prend environ trois mois pour la moitié d'entre eux, un peu plus pour d'autres. Si l'on retire trois mois aux statistiques, le taux de chômage s'effondre donc. Le raisonnement est séduisant, et il n'est pas faux. Mais il n'est pas vrai non plus. Qu'est-ce qu'un jeune en effet sinon une personne en situation d'insertion professionnelle, laquelle précisément est difficile ?

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