Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Winston Maxwell

Réunion du 16 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Winston Maxwell, avocat au cabinet Hogan Lovells :

La problématique posée consiste à conserver le système internet que nous connaissons, dans lequel le plus petit des sites peut communiquer avec le monde entier et, en même temps, à financer demain un internet haut de gamme. Le 3 mars dernier, s'est tenue, sur cette question, une réunion entre le commissaire européen Nelly Kroes et plusieurs opérateurs d'internet.

En la matière, la liberté d'action du législateur national rencontre ses limites dans les directives communautaires. Il n'existe pas de loi unique sur l'internet : en France plusieurs textes en traitent, par le biais des télécommunications, de la presse, de l'audiovisuel ou des droits d'auteurs. Mais, en tant que réseau, internet est surtout régi par le cadre communautaire applicable aux communications électroniques qui résulte de plusieurs directives, rassemblées dans les « paquets » de 2002, base de référence, et de 2009, en cours de transposition.

La philosophie de la régulation des réseaux de communications électroniques selon la Commission européenne repose sur l'idée que la régulation sectorielle doit, à terme, disparaître. Toutefois, pendant un certain temps, la régulation est rendue nécessaire par les traces qu'a laissées le monopole historique des réseaux : à défaut, la concurrence ne pourrait jamais émerger. Après quoi, la régulation doit peu à peu s'effacer et faire place, pour l'essentiel, au droit de la concurrence.

C'est pourquoi, on distingue régulations asymétrique et symétrique. La première vise à établir la concurrence dans un secteur où elle ne verrait pas d'elle même le jour, du fait de la présence d'un ou de plusieurs grands acteurs dressant des barrières considérables à l'entrée du marché. Il en allait ainsi, en France, de France Télécom, disposant de la boucle locale en cuivre qu'il n'était pas économiquement viable de dupliquer. Il fallait donc permettre aux concurrents de venir utiliser ce réseau, ce que France Télécom aurait naturellement refusé dans un marché ouvert. Le régulateur constate donc qu'il existe un goulot d'étranglement justifiant d'imposer à l'opérateur historique de laisser ses concurrents utiliser son réseau en pratiquant des tarifs orientés vers les coûts.

Au fur et à mesure qu'émerge ainsi la concurrence, la régulation asymétrique décroît, ce qui est actuellement le cas : l'ARCEP est en train de réduire le nombre de marchés dans lesquels elle impose des obligations à France Télécom, conformément à ce qu'exige la Commission européenne.

De l'autre côté, la régulation symétrique prend une importance croissante, en faveur de la protection du consommateur, de la net neutralité, de la transparence des publicités et des contrats des opérateurs, de la préservation de l'environnement et, même, en France, de l'accès à la fibre optique dans les immeubles collectifs. Cette deuxième forme de régulation n'est pas près de disparaître. Elle incombera à l'ARCEP dans les années à venir.

Intervenant en novembre 2009, le nouveau « paquet télécom » a conservé la dualité de régulation, symétrique et asymétrique, ainsi que le principe selon lequel le doute sur la nécessité d'une régulation doit conduire à y renoncer. La philosophie de la Commission et de ses directives consiste à déréguler chaque fois que possible car la régulation ne constitue pas la meilleure façon de parvenir à un marché fluide.

Le nouveau « paquet télécom » traite aussi de la neutralité et renforce la libéralisation du spectre radioélectrique. Les radiofréquences, qui appartiennent en France au domaine public de l'État, sont un peu le pétrole de demain pour l'économie numérique. Aux États-Unis comme en Europe, il s'agit d'une ressource naturelle et rare. Une grande partie du spectre est bien utilisée mais d'autres sont sous-exploitées. Le « paquet télécom » de 2009 oblige donc, progressivement, les États membres à adopter une approche plus libérale et, surtout, plus efficace de l'utilisation du spectre dans l'intérêt de la collectivité. Ainsi, dans les années qui viennent, nous verrons probablement se profiler un deuxième dividende numérique.

En France, comme ailleurs en Europe et aux États-Unis, des plans pour le haut débit ont été arrêtés. Le plan américain vise 100 mégabits par seconde pour 100 millions d'habitants d'ici à 2020. Le plan français, présenté par M. Eric Besson il y a deux ans, nourrit des ambitions similaires. Il existe aussi un plan européen : l'Agenda numérique. Ces plans incluent de nombreux éléments relatifs à tout ce qu'internet peut apporter à la collectivité en matière de santé, d'éducation, ainsi que d'environnement et de croissance économique à travers les réseaux intelligents. Sont également pris en compte les défis lancés par le développement du numérique, notamment la déstabilisation de la presse écrite et les problèmes posés au secteur musical.

Si ces plans sont menés à bien, la fibre optique aura été généralisée dans dix ans et le câble en cuivre sera devenu démodé. Se pose donc la question des investissements et de leur financement. Car, si la fibre optique est viable dans les grandes agglomérations, elle ne l'est pas dans d'autres zones. Faudra-t-il alors financer sa mise en place par des subventions publiques, nécessairement limitées ? Les FAI se demandent aussi comment bâtir un plan d'affaires avec des investissements de plusieurs milliards d'euros avec pour seule ressource les 30 euros par mois d'abonnement. Le grand défi consiste donc à définir un modèle économique dans lequel les FAI puissent bénéficier de revenus en amont provenant de différents types d'acteurs, tels que les CDN ou les fournisseurs de contenus. Les formules les mieux adaptées restent à définir.

Il faut ici rappeler que les réseaux de téléphonie mobile se sont développés, en partie, grâce aux abonnements souscrits par les consommateurs mais, surtout, grâce aux revenus qu'ils tiraient de la terminaison d'appel auprès d'autres opérateurs. Cela leur a permis, selon la logique des marchés bifaces, comme celui de la presse vivant à la fois de la vente et de la publicité, de pratiquer des abonnements à bon marché et de bénéficier d'importantes ressources indirectes.

Aujourd'hui les FAI ne sont pas certains de pouvoir activer pleinement ce marché biface et des menaces pèsent sur le principe de neutralité si des accords particuliers se concluent entre opérateurs et fournisseurs de contenus. Le marché de l'internet pourrait se trouver faussé par des différences de traitement selon la taille des partenaires.

Sur le plan réglementaire, aux yeux des instances européennes, les relations commerciales entre les FAI et les CDN doivent être régies par le droit de la concurrence. Son application consiste donc à surveiller l'existence d'abus de positions dominantes et d'ententes anticoncurrentielles, du genre des exclusivités pratiquées par Orange et remises en cause par l'Autorité de la concurrence.

Mais, pour l'internaute de base, il est tout de même peu probable que l'on puisse assister à une limitation de l'information disponible par une sélection du contenu diffusé qu'exercerait l'autorité publique, comme cela s'est vu en Égypte, en Chine et en Iran. Si un opérateur agissait ainsi, il perdrait une part importante de sa clientèle. Dans ce cas, le régulateur devrait intervenir.

Hormis cette hypothèse, la régulation de l'internet est en phase de décroissance, comme le montre la courbe projetée, qui ressemble au dessin de l'éléphant du Petit Prince.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion