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Intervention de Giuseppe de Martino

Réunion du 16 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Giuseppe de Martino, directeur juridique et réglementaire « monde » de Dailymotion :

Je suis ici pour vous parler de la partie visible de l'iceberg. J'ai passé dix ans dans l'univers de l'accès à internet. Je me place maintenant dans celui de la fourniture de services, étant notamment président de l'Association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA).

À Dailymotion, nous avons été victimes de la toute première atteinte à la net neutralité, un fournisseur d'accès ayant décidé un beau jour que ses abonnés ne pouvaient plus consulter ses vidéos sur notre site. Nous nous sommes demandé pourquoi et comment on pouvait ainsi attenter à la liberté de navigation des internautes. Nous avons donc essayé de théoriser notre approche de la net neutralité.

Je rappelle qu'internet résulte d'une idée américaine et que les États-Unis disposent dans ce domaine d'une large domination. Toutefois, des acteurs français essaient de survivre et le poids économique de la filière est considérable : un rapport publié ce mois-ci par McKinsey montre qu'internet, longtemps évoqué comme un gadget ou comme un produit américain sans grande influence sur notre économie, pèse désormais plus lourd, dans le produit intérieur brut français, que des secteurs-clé comme les transports ou l'agriculture.

La filière du contenu sur internet illustre le caractère protéiforme du numérique : on ne peut plus parler d'un seul internet. Dailymotion – sur lequel Orange a pris une option d'achat dans deux ans – est maintenant disponible sur une multitude de supports. Le temps où un nouveau site n'était visible que sur internet est révolu. Dorénavant, notre approche doit être globale et la filière numérique doit être vue comme s'insérant dans notre vie quotidienne.

La fréquentation d'un site internet lambda montre que ce mode de communication n'est plus réservé aux adolescents boutonneux : tout le monde l'utilise et en profite et ce sera de plus en plus vrai.

Aujourd'hui, grâce à des sociétés françaises, l'image et la voix de la France se diffusent dans le monde entier. Nous comptons ainsi davantage d'utilisateurs aux États-Unis qu'en France, alors que nous élaborons tout depuis la place de Clichy dans le XVIIe arrondissement de Paris. Internet représente ainsi le moyen de réaliser ce qu'aucun géant de l'audiovisuel national n'avait réussi à faire : sortir de nos frontières et donner au monde un autre reflet de la France, qui plus est en temps réel.

Notre financement, en tant que fournisseur de services, provient essentiellement de la publicité. Sans être encore florissant, ce marché nous permet de gagner de l'argent. Qu'en faisons-nous ? Nous l'employons d'abord à payer très cher nos salariés, qui souvent le méritent. Ensuite, 40 % de nos dépenses sont consacrées à l'investissement en bande passante et en réseaux. Nous sommes un client important de tous les opérateurs évoqués précédemment. On a parlé des CDN et des fournisseurs d'accès par la voie du peering payant ; on pourrait aussi mentionner les opérateurs de transit qui jouent un rôle d'intermédiaire.

Notre force, en tant que fournisseurs de services, consiste à intervenir un peu comme des brokers, c'est-à-dire à pouvoir choisir, quand on le souhaite et où on le souhaite, nos clients fournisseurs de bande passante. La dépense sur internet, du moins pour la vidéo, se mesure à raison du visionnage de 1 000 clips de cinq minutes. Leur mise à disposition du public coûte 0,25 euro au fournisseur de services, contre 1,50 euro il y a trois ans. Cela s'explique par le fort développement du marché – nous comptons chaque mois 100 millions de visiteurs uniques et un milliard de vidéos vues, ce qui nous permet de bénéficier d'un effet de volume – mais aussi parce que nous possédons cette expertise consistant à savoir choisir le bon client au bon moment.

Dès lors, tout ce que l'on peut mettre en place dans le sens de la neutralité de l'internet ne doit pas obérer notre capacité à décider avec qui nous allons travailler et à négocier les tarifs en vue du meilleur service possible. C'est essentiel car la diminution de nos coûts d'infrastructures nous permet d'être plus « généreux » avec nos autres clients et nos autres partenaires qui constituent l'industrie du contenu. Nous sommes, en effet, des « agrégateurs » de contenus, entretenant deux types de relations, d'une part avec les fournisseurs d'accès, les CDN et les opérateurs de transit, qui nous permettent de diffuser nos services, d'autre part avec les détenteurs de droits qui mettent à notre disposition les oeuvres de l'esprit. Nous jouons donc un rôle de développement du « darwinisme » de l'industrie du contenu.

Prenons l'exemple de la radio : il y a encore cinq ans, on disait ce médium condamné, avec de moins en moins d'auditeurs, dans une frange bien déterminée de la population. Or, le fait de filmer, au moyen d'une simple webcam manipulée par un stagiaire, une émission en studio et de la mettre ensuite en ligne sur Dailymotion lui donne une dimension nouvelle. On ne se contente plus d'« écouter » une émission de France Inter : on la visionne et on la commente, à une autre heure que celle de sa diffusion en direct. Nous nous mettons ainsi au service de l'industrie des médias, du divertissement et de la culture en général.

Le débat autour de la neutralité est primordial pour nous qui représentons le dernier maillon de la chaîne. Il y a trois ans, lorsque SFR décida d'empêcher ses abonnés de lire des vidéos de Dailymotion, les internautes nous en jugèrent responsables. Nous souhaitons remettre en perspective ce principe inhérent à internet : le fournisseur d'accès, ou l'opérateur de réseau au sens large, doit adopter une approche non discriminante, transparente de la fourniture de son service aux fournisseurs de contenus.

S'agissant du financement du système, Barry Diller, magnat de l'industrie américaine, s'est demandé cette semaine si « le grille-pain doit payer l'électricité ». À partir du moment où l'on demande aux fournisseurs de services d'investir de plus en plus dans le réseau, et qu'ils y sont disposés – je rappelle que nous le faisons déjà à hauteur de 40 % de nos dépenses – ne devrait-on pas se poser la question de l'abonnement que touchent exclusivement les opérateurs ? Ne devrait-il pas être partagé avec le fournisseur de services qui a pour objectif de proposer des services satisfaisant l'utilisateur dans un contexte concurrentiel particulièrement vif : il est, en effet, bien plus facile, en navigant sur internet, de choisir le site procurant les services et les contenus les plus attrayants, que de changer d'opérateur de réseau.

Nous continuerons certes de financer les réseaux et d'assurer l'existence des champions français sur la toile. Mais, je vous en prie, faites en sorte que les fournisseurs de services ne soient pas écrasés par des tarifs les empêchant de développer leur offre ! Surtout, qu'on ne nous oblige pas, à l'avenir, à choisir entre tel ou tel mode de fourniture de services.

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