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Intervention de François Gouyette

Réunion du 8 mars 2011 à 16h45
Commission des affaires étrangères

François Gouyette, ambassadeur de France en Libye :

Je reviens sur la question de M. Gaymard, à laquelle je n'ai pas encore répondu. La Chine et la Russie sont deux partenaires historiques du colonel Kadhafi depuis les années 1970. L'influence de la première est surtout économique : alors qu'elle ne figurait même pas parmi les six premiers partenaires de la Libye quand je suis arrivé à Tripoli au début de 2008, elle était en seconde position dès 2010 !

Quant à la Russie, elle entretient une relation traditionnellement forte avec la Libye. De nombreux cadres de l'armée y ont été formés, au point que l'on peut parler d'un « parti russe » au sein de l'appareil politico-militaire libyen. La Russie n'a jamais négligé la Libye. Ainsi, une semaine avant de quitter le Kremlin, en avril 2008, Vladimir Poutine a effectué la première visite en Libye d'un chef d'État russe. Cela montre l'importance qu'il accordait à ce pays, dans un contexte où tout le monde venait courtiser le Guide libyen. On a beaucoup parlé de la visite de Kadhafi en France, mais dès 2004, les dirigeants de toutes les grandes démocraties européennes ont fait le voyage de Tripoli : Aznar, Schröder, Blair, Jacques Chirac, Romano Prodi, etc. Quant à Silvio Berlusconi, il avait noué des liens avec le colonel Kadhafi dès 2003.

C'est d'ailleurs à l'ambassade de Russie – dont le personnel est sérieux et respecté des Libyens – que nous avons demandé de représenter nos intérêts pendant la période de fermeture provisoire de l'ambassade de France.

M. Kucheida s'est interrogé sur le risque d'éclatement de la Libye. Il existe un risque de partition provisoire entre l'Est, contrôlé par l'opposition, et l'Ouest, contrôlé par le gouvernement. Mais je ne pense pas qu'une telle situation puisse durer. Quelle que soit l'issue de la crise, l'unité devrait être préservée, le cas échéant dans une organisation de type fédéraliste.

L'influence du dirigeant libyen sur le monde arabe est difficile à évaluer. Il a certes présidé la Ligue arabe l'an dernier, mais le fait que celle-ci se prononcerait en faveur d'une zone d'exclusion aérienne en Libye – comme son secrétaire général, Amr Moussa, l'a affirmé à Alain Juppé – traduit bien l'isolement du Guide, d'autant que le Conseil de coopération du Golfe et l'Organisation de la conférence islamique ont adopté la même position.

Des discussions sont en cours sur la mise en place d'un dispositif civil et militaire. Les mesures peuvent être d'ordre bilatéral ou prises au niveau européen. Notons que la mission de contact décidée par Mme Ashton concerne les autorités de Tripoli, avec lesquelles il faut bien discuter, ne serait-ce que pour régler la question de l'afflux de réfugiés à la frontière. La France a insisté pour que le Conseil européen au sein duquel tous ces thèmes doivent être discutés se réunisse le plus rapidement possible. Si l'ordre du jour concerne avant tout les relations avec la rive sud de la Méditerranée, le dossier libyen fera partie des sujets brûlants.

Il est vrai que la relation est étroite entre l'Italie et la Libye, et que le président du conseil italien a mis un certain temps avant de prendre ses distances à l'égard du Guide libyen. Cependant, je ne crois pas qu'il existe une différence majeure d'appréciation entre l'Italie et les autres pays européens. Les Italiens se sentent en première ligne, notamment pour ce qui concerne la question migratoire. Nous devons donc manifester notre solidarité et trouver ensemble les mécanismes adéquats.

Si l'on se projette dans l'avenir, monsieur Destot, on constate que la Libye est un pays riche et qui a vocation à le rester. La production pétrolière devrait augmenter, même si l'objectif initial de passer à 2 millions de barils par jour est désormais irréaliste. Le pays a donc un formidable potentiel de développement, au service d'une population très limitée : un peu plus de 6 millions de Libyens, et 2,5 millions d'immigrés, dont on connaît la détresse actuelle. Si les choses évoluent dans le bon sens, la Libye, pays déjà objectivement important, devrait l'être encore plus à l'avenir.

J'en viens au rôle des femmes en Libye, qui reste méconnu. C'est une société assez conservatrice dans ses moeurs et dans son observance des prescriptions de l'islam, sans toutefois être fanatique. Si on voit peu de femmes dans les rues, et si celles-ci sont généralement voilées, toutes ne portent pas le hidjab. Quant au port du voile intégral, il reste très limité. Le paradoxe est que Kadhafi a plutôt joué, en la matière, un rôle progressiste, du moins dans les années 1970 : à sa manière, il a veillé à favoriser une forme d'émancipation de la femme libyenne, qui était très soumise à la tradition sous la monarchie. Par exemple, il a créé des académies militaires féminines. Des femmes jouaient un rôle dans le système de Kadhafi, de même qu'une femme siège au Conseil national de transition. Cependant, dans un pays où la société civile joue un rôle très limité, les associations féminines sont très encadrées par le système.

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