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Intervention de François Gouyette

Réunion du 8 mars 2011 à 16h45
Commission des affaires étrangères

François Gouyette, ambassadeur de France en Libye :

Le silence de l'Union africaine n'est pas vraiment surprenant : Kadhafi a présidé cette institution et y compte un certain nombre d'amis, voire d'obligés. Il se passera donc du temps avant que l'UA se prononce sur un conflit de cette nature. Certes, des pays comme l'Afrique du Sud ou le Nigeria, traditionnellement plutôt en froid avec le pouvoir libyen, seraient sans doute disposés à prendre des positions plus vigoureuses, mais un grand nombre de pays africains ne sont pas prêts à condamner le colonel Kadhafi.

En matière d'assistance humanitaire, vous connaissez les actions menées par la France : envoi d'une mission à Benghazi, dispositif mis en place pour rapatrier les Égyptiens regroupés à la frontière tunisienne, etc. Par ailleurs, une partie des vingt médecins français présents depuis longtemps à l'hôpital de Benghazi, et qui avaient été rapatriés, sont retournés sur place.

Des contacts ont été pris avec le Conseil national de transition, instance qui se veut représentative de l'insurrection, en tout cas en Cyrénaïque. La France a salué sa création et exprimé une appréciation positive sur les objectifs qu'il s'est assignés. Ces contacts devraient se poursuivre.

En ce qui concerne le danger terroriste au Sahel et le risque de contagion, M. Plagnol a eu raison de rappeler la coopération étroite entre la Libye et l'ensemble des services de renseignement occidentaux pour lutter contre la menace représentée par Al-Qaida. Celle-ci a d'ailleurs fait du colonel Kadhafi un ennemi à abattre : son numéro deux, Ayman al-Zawahiri, le désignait encore l'année dernière comme une cible prioritaire de l'organisation. Par ailleurs, il existe en effet une résilience de l'islamisme radical en Cyrénaïque. C'est d'ailleurs ce qui a conduit les autorités libyennes à agiter, avec un succès relatif, le chiffon rouge de la menace islamiste, comme elles l'ont fait pour la menace migratoire.

Même si la ficelle est un peu grosse, les deux discours recouvrent des réalités. Ainsi, à la faveur du beau temps, on voit déjà se manifester un afflux de migrants subsahariens : en l'espace de 72 heures, près de 5 000 d'entre eux ont abordé les côtes italiennes. Les Libyens disposent donc d'un argument pour menacer l'Europe d'une invasion dans le cas où le régime tomberait.

À l'est du pays, et plus particulièrement à Derna – ville de Cyrénaïque tombée assez rapidement sous le contrôle de l'insurrection –, il existe incontestablement des foyers d'islamisme radical. C'est d'ailleurs de cette ville que sont originaires des centaines de combattants libyens partis combattre sur les théâtres d'opérations extérieurs du Djihad, en Afghanistan ou en Irak. Certains sont depuis revenus en Libye.

Par ailleurs, des islamistes radicaux du GICL – le groupe islamique combattant libyen –, emprisonnés depuis de nombreuses années, ont été récemment libérés à la suite de négociations entreprises par le pouvoir, sous l'influence de Saïf al-Islam, pour tenter de les neutraliser. Près de 800 ont ainsi été libérés contre la promesse de renoncer à la violence, et beaucoup ont rejoint les zones « libérées ». Cela pourrait poser un problème.

Enfin, dans la mesure où, avant le mois de février, la Libye contribuait à endiguer, aux frontières du Sahel, la pression d'Al-Qaida au Maghreb islamique, les événements actuels pourraient être une source d'inquiétude si AQMI en profitait pour étendre son action plus à l'est. Certes, la menace de la constitution d'un « émirat islamique », notamment à Derna et Beida, est avant tout destinée à effrayer les pays européens, mais au-delà de la propagande, on ne peut nier qu'il existe des éléments de préoccupation.

Quant à la suspension provisoire de l'activité de l'ambassade de France en Libye – qui n'est pas une rupture des relations diplomatiques –, elle résulte d'une décision politique prise au plus haut niveau, pour, notamment, des raisons de sécurité. Certes, Tripoli n'était pas dans une situation de guerre civile, ce n'était ni Beyrouth, ni la Somalie, mais quelque chose de plus insidieux, étrange, inquiétant. La ville était très calme le matin, mais la tension était perceptible le soir : les policiers disparaissaient, et il n'existait alors plus aucun dispositif de sécurité, y compris pour protéger les ambassades.

Vous évoquez, monsieur Boucheron, l'éventualité de mon installation à Benghazi, mais je reste ambassadeur de France en Libye, accrédité auprès des autorités de Tripoli…

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