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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 10 mars 2011 à 15h00
Immigration intégration et nationalité — Article 37, amendements 41 156

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Les amendements nos 156 et 157 visent à supprimer respectivement l'alinéa 2 et l'alinéa 3 de l'article 37, un article utilement supprimé par nos collègues sénateurs en raison des problèmes de constitutionnalité qu'il pose.

En effet, aux termes de cet article, l'étranger pourra être retenu en rétention pendant une durée de cinq jours. Le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1980, avait rappelé qu'une personne ne pouvait être privée de liberté sans être présentée à un juge dans un délai court. Ce délai était de quarante-huit heures. Nous retrouvons ici les discussions qui ont eu lieu, il y a quelques jours, lors du débat sur la garde à vue. En la matière, une triple condamnation – par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne – vous avait forcés à revoir les délais de présentation devant un juge indépendant.

Conformément à l'article 66 de la Constitution, nul ne peut être arbitrairement détenu. Pour rappel, le juge constitutionnel avait considéré que le maintien en détention pendant sept jours sans que le juge judiciaire ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l'intéressé, n'était pas conforme à la Constitution. Dans sa décision « loi Bonnet » du 9 janvier 1980, le Conseil constitutionnel rappelait également que l'intervention du juge devait avoir lieu « dans le plus court délai possible ».

Dans sa décision du 25 février 1992, le Conseil constitutionnel avait considéré, à propos du maintien en zone de transit, que conférer à l'autorité administrative le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs délais, était contraire à la Constitution.

Pour sa part, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales précise, au paragraphe 3 de son article 5 « Droit à la liberté et à la sûreté », que « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe l.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit à être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». La disposition critiquée viole donc également la Convention européenne.

Dans son avis sur le projet de loi, la CNCDH consacre un long développement sur la « marginalisation du contrôle du juge judiciaire auquel il conduirait ». La Commission relève notamment que « l'argument selon lequel le contrôle du juge judiciaire est un obstacle à l'efficacité de la politique migratoire ne saurait constituer une justification acceptable au regard de la gravité d'une mesure privative de liberté. () Le prétendu enchevêtrement des procédures ayant trait au placement en rétention de l'étranger, découlant de l'intervention constitutionnellement garantie des deux ordres de juridiction, l'un pour le contrôle de la légalité des décisions administratives, l'autre gardien de la liberté individuelle, est en réalité une garantie du respect des droits des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement ».

Cet allongement du délai avant la saisine du JLD porte profondément atteinte à la liberté individuelle. En effet, si un étranger est placé sur le fondement d'une mesure d'éloignement exécutable d'office mais que son interpellation est irrégulière, comme c'est le cas fréquemment, aucun juge, ni pénal, ni civil, ni administratif, faute d'être compétent, ne pourra contrôler la régularité de la procédure et les atteintes aux droits fondamentaux des personnes concernées, si la mesure est exécutée dans le délai des cinq jours.

L'intervention du juge après le cinquième jour pose aussi un problème d'asymétrie ou de disproportion par rapport à d'autres régimes privatifs de liberté.

Selon une autre étude d'impact, les décisions de rejet des demandes de prolongation de la rétention avec remise en liberté, par le juge des libertés et de la détention, sont à l'origine de près de 27 % des échecs des éloignements en 2008, auxquels il convient d'ajouter les cas de non-représentation de l'étranger assigné à résidence par le juge des libertés et de la détention, soit 6 % des échecs des éloignements – M. Pinte vient d'en donner un exemple.

Si le projet de loi est adopté en l'état, nombre de ces personnes risquent d'être éloignées sans que le juge des libertés et de la détention ait pu exercer son contrôle en tant que gardien de la liberté individuelle.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de bien vouloir supprimer les alinéas 2 et 3 de l'article 37, comme l'a fait le Sénat dans sa juste réflexion.

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