Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 16 février 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jacques Repussard :

Merci M. le Président pour l'organisation de cette audition, qui permet à l'IRSN de participer au débat national sur la filière nucléaire. Je vous ferai d'abord part de notre réflexion d'expert sur le risque nucléaire et radiologique, je vous rappellerai ensuite quelques éléments de présentation de l'IRSN, et je vous exposerai cinq enjeux majeurs pour la décennie à venir.

Sur le premier point : de quels risques parle-t-on exactement ?

D'abord, de l'exposition directe, inévitable, et « planifiée », donc réglementée, des travailleurs et des patients, dans l'industrie nucléaire comme dans le monde médical. Leur exposition aux rayonnements ionisants est du même ordre que celle qui existe dans le milieu naturel. Les grands exploitants comme EDF ont progressé depuis plusieurs années dans la prévention de cette exposition, et les résultats sont satisfaisants. Il y a un consensus sur l'absence de risque sanitaire grave.

Il s'agit ensuite de la diffusion de substances radioactives artificielles dans l'environnement, du fait des rejets autorisés des installations nucléaires. L'exposition induite par ces rejets est extrêmement faible, de l'ordre d'un millième de la précédente. Mais nos concitoyens sont alarmés par ces risques : selon le rapport complémentaire de 2008 du baromètre IRSN, 60% d'entre eux y voient un problème sanitaire, alors que ce n'est le cas que pour un quart des élus, journalistes, ou dirigeants économiques, et que l'analyse scientifique ne confirme pas ces risques. Mais le décalage avec les perceptions de la nation est une difficulté dont il faut tenir compte.

Le baromètre de l'IRSN montre par ailleurs que les centrales nucléaires n'inquiètent pas plus les Français que les installations chimiques ou les raffineries. Toutefois, le décalage est grand entre les 12% de dirigeants qui considèrent ces installations comme dangereuses, et les 45% de Français qui sont de cet avis. D'après notre expertise, le risque d'un accident grave dans une centrale est tout à fait improbable, mais les conséquences pourraient en évidemment en être catastrophiques pour notre pays, ce que les dirigeants ont tendance à sous-estimer.

Comment un tel accident pourrait-il survenir ? Les précautions prises lors de la conception des installations nucléaires sont telles que seul le cumul de plusieurs défaillances indépendantes et simultanées pourrait entraîner un accident. La probabilité de survenue d'un accident est donc extrêmement faible, et heureusement, rien de tel ne s'est jamais produit dans notre pays. Toutefois, il y a eu deux accidents dans le monde : Three miles Island et Tchernobyl.

Les causes potentielles de défaillance sont extrêmement nombreuses et doivent être systématiquement passées en revue par l'IRSN lors de la conception des installations, tout au long de leur exploitation et lors des examens décennaux particulièrement approfondis. Ces causes peuvent être naturelles (séismes, inondations) ou technologiques (pannes, ruptures de circuit, incidents électriques ou informatiques), mais les erreurs humaines sont les plus fréquentes (oublis d'exécution de procédures, organisations inappropriées).

Comment ces risques sont-ils gérés ? L'évolution de la perception des risques par la société commande les paradigmes de leur prévention. Dans les années 1970, les concepteurs de réacteurs nucléaires étaient persuadés qu'un accident de fusion du coeur était en pratique impossible. La société tenait ces concepteurs en très haute estime, et cette compétence reconnue était alors le principal paradigme de la sûreté. Les accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl ont radicalement changé la donne. En trente ans, trois nouveaux paradigmes de la sûreté sont venus compléter le premier, et le Parlement a joué un rôle important dans cette évolution :

– la nécessité d'une évaluation des risques indépendante, scientifique et contradictoire. Dans une société de la connaissance, le progrès des connaissances scientifiques sur les risques et les moyens de leur prévention fait avancer la sûreté et permet d'anticiper : la conformité à une réglementation existante ne suffit pas pour cela, les réglementations en vigueur ne reflétant que l'expérience acquise ;

– la nécessité d'un contrôle effectif et indépendant des opérateurs industriels par l'autorité publique, la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSRN) jusqu'en 2006, l'ASN depuis lors ;

– la transparence, qui rend possible la vigilance de la nation tout entière, à travers notamment le Parlement, les élus locaux ou les commissions locales d'information (CLI).

Il en résulte la structure existante du dispositif national de gestion des risques nucléaires, avec quatre pôles distincts et complémentaires : les exploitants nucléaires, premiers responsables du fonctionnement de leurs installations (et responsables pénalement en cas d'accident nucléaire depuis 2006) ; un pôle régalien avec l'ASN, l'autorité de sûreté de défense et l'autorité du ministre de l'énergie pour les risques de terrorisme ; un pôle d'expertise scientifique avec l'IRSN et enfin les garants de la transparence que sont le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) et les CLI, dont le statut est maintenant parfaitement établi par la loi.

J'en viens à quelques éléments relatifs à l'IRSN. C'est un établissement public, créé en 2002, rassemblant l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) qui était un département du CEA, et l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), établissement public administratif qui relevait du ministère de la santé. L'EPIC a cinq tutelles, les ministères chargés de l'écologie, de la défense, de la recherche, de la santé et de l'industrie. La gouvernance est assurée par le conseil d'administration, composé, conformément à la loi, d'un tiers de personnalités qualifiées, un tiers de représentants de l'Etat et un tiers de représentants des personnels. Il n'y a aucun représentant des exploitants nucléaires. Le président de l'ASN participe aux débats, sans droit de vote. Nous avons bien sûr un conseil scientifique, ainsi qu'un comité d'orientation des recherches, pluraliste, qui comprend des représentants de la société. Un contrat d'objectifs avec l'Etat fixe des priorités.

Notre budget est de l'ordre de 300 millions d'euros, avec une subvention de 213 millions d'euros sur le programme 190 (prévention des risques) selon la LOLF. 30 millions viendront d'une contribution payée par les exploitants nucléaires : nous nous étions émus, avec un certain nombre de parlementaires, que ce financement complémentaire soit initialement prévu sous forme de redevance, c'est-à-dire d'un paiement à l'acte, ce qui était de nature à porter atteinte à l'indépendance de l'IRSN. Finalement, cette contribution, telle que votée par le Parlement, sera d'une nature proche de la taxe sur les installations nucléaires de base.

L'IRSN, c'est 1750 emplois (pour un plafond d'emplois en ETP de 1669, auquel s'ajoutent 15 ETP hors plafond), dont 150 doctorants et post doctorants et plus de 2 000 personnes en incluant la sous-traitance.

Nous avons comme grandes missions la recherche et les études, qui consomment plus de 40% de nos ressources. Notre objectif est de faire avancer les connaissances sur les risques nucléaires et radiologiques, sur les conditions de leur mitigation et leur prévention. Ces programmes sont souvent menés dans le cadre de partenariats nationaux et internationaux, en raison de leur coût élevé. Au plan mondial, l'IRSN est reconnu pour ses compétences dans plusieurs domaines clés, la sûreté des combustibles nucléaires en situation accidentelle (notamment grâce aux installations expérimentales de Cadarache), la modélisation des accidents de fusion du coeur d'un réacteur (code ASTEC), la modélisation des risques de criticité, le traitement des incidents dans le milieu confiné qui est celui des installations nucléaires, la radioécologie (la science de la dispersion et du devenir des matières nucléaires une fois qu'elles sont répandues dans l'environnement), et en matière de radioprotection, la reconstitution dosimétrique après accident et la radiopathologie (c'est-à-dire les moyens de traiter les victimes d'irradiation grave). Je rappelle que l'IRSN est organisme référent pour l'OMS dans ce domaine. Enfin, l'étude des faibles doses est un domaine plus récemment développé, crucial notamment pour la gestion des déchets, et encore inabouti.

L'IRSN a aussi une mission d'observation et de surveillance au niveau national, grâce à un réseau de capteurs et au prélèvement d'échantillons. 250 000 personnes sont exposées en France aux rayonnements ionisants dans le cadre de leur travail. Dans le milieu médical, des millions d'actes d'imagerie médicale sont réalisés chaque année. Nous sommes également chargés de l'inventaire des sources radioactives.

Nous fournissons un appui technique aux autorités compétentes, nous réalisons des expertises sur dossiers : l'ASN nous saisit un millier de fois par an, l'ASN Défense plusieurs centaines de fois par an et le Haut fonctionnaire de sécurité et défense plus d'un millier de fois par an, avec notamment les transports de matière radioactive sensible. L'IRSN analyse également de manière systématique tous les incidents de fonctionnement qui surviennent dans les installations, y compris ceux qui sont sans aucune conséquence, c'est-à-dire l'immense majorité d'entre eux, mais tous les retours d'expérience sont utiles.

Nous tenons la comptabilité des matières nucléaires civiles. Et en cas de crise, notre responsabilité est de faire fonctionner notre centre de crise à vocation nationale et de dépêcher des laboratoires mobiles sur le terrain. Chaque mois, nous effectuons des exercices.

Enfin, l'IRSN est un EPIC. Nos prestations représentent environ 10% de nos ressources : prestations dosimétriques, mesures pour le compte d'opérateurs, études et expertises pour des autorités étrangères : depuis Tchernobyl, l'IRSN est présent dans de nombreux pays qui ont développé une industrie nucléaire, ou qui souhaitent le faire. Deux catégories d'organismes font appel à nous. Les autorités publiques ne paient pas nos prestations : l'ASN, le Délegué à la sûreté nucléaire de défense, le Haut fonctionnaire de défense et sécurité, pour ce qui concerne la sécurité nucléaire et les transports, le ministère de l'écologie s'agissant de sûreté et radioprotection, le ministère de la santé, celui du travail et les agences sanitaires pour la radioprotection, le ministère de l'intérieur (sécurité civile), celui des affaires étrangères, ainsi que le CEA pour le suivi des engagements internationaux et la lutte contre la prolifération, le Haut comité pour la transparence, présidé par le sénateur Revol (HCTISN), les commissions locales d'information (CLI) et leur association nationale (ANCLI). Les prestations de services pour les exploitants nucléaires sont en revanche payantes, comme celles pour les établissements médicaux et industriels. Nous avons alors des règles déontologiques à respecter, afin de préserver notre indépendance.

Pour terminer, nous voyons cinq enjeux extrêmement importants, qui justifient à eux seuls de ne pas remettre en cause notre dispositif national de gestion des risques.

Le premier est celui de la prolongation de la durée d'exploitation des 58 réacteurs d'EDF, conçus à l'origine pour une exploitation de quarante ans. Nous devons nous donner les moyens d'expertise nécessaires pour les prolonger autant que possible, mais pas plus. C'est un point très sensible. Les technologies progressant, comme les moyens de prévenir les risques, il est possible et souhaitable de modifier ces réacteurs pour augmenter leur niveau de sûreté. Je rappelle que leur conception est antérieure à l'accident de Three Miles Island. Les mesures qui peuvent être prises à un coût raisonnable doivent donc l'être. La nation devra se prononcer sur ces orientations.

Le deuxième enjeu tient aux exigences de sûreté pour la construction de nouveaux réacteurs, en France et dans le monde. L'EPR, successeur naturel de nos réacteurs actuels, extrêmement puissant et dont la sûreté a fait des progrès tout à fait significatifs, a été conçu pour un marché franco-allemand, et ne correspond pas à la situation de nombreux autres pays. Il faut aujourd'hui arriver à un consensus sur l'élévation du niveau de sûreté des réacteurs, tout en développant une gamme de réacteurs répondant aux différents besoins : il est plus facile d'assurer la sûreté de réacteurs moins puissants. A la suite du rapport Roussely, l'IRSN a été chargé d'élaborer des recommandations pour des règles de sûreté pour les différents réacteurs, au-delà du seul EPR. Ce travail est en cours et devra faire l'objet de concertations européennes et internationales.

Un troisième enjeu est le traitement des déchets : il faut mettre fin à l'idée qu'ont de nombreux Français, et qui est techniquement inexacte, qu'on ne sait pas quoi en faire, passer à l'acte et construire le système de stockage géologique de Bure. Comme pour les installations nucléaires, il faudra effectuer un examen contradictoire des risques, avec le contexte spécifique d'une échelle temporelle inédite.

Il faut ensuite comprendre les effets des très faibles doses. Notre approche réglementaire et scientifique actuelle est fondée sur une proportionnalité entre la dose et l'effet sanitaire, c'est-à-dire un risque de cancer. Or, pour les très faibles doses, il y a de grands doutes sur l'existence de ce risque, mais aucune démonstration n'a pu en être faite ; c'est donc ce à quoi s'attache l'IRSN. Conformément au principe de précaution, on affirme donc que toute dose est potentiellement dangereuse, ce qui est délétère dans l'opinion, et probablement faux d'un point de vue scientifique. L'IRSN a pris la tête d'une association européenne d'organismes de recherche qui cherche à résoudre cette énigme scientifique.

Dernier sujet : il nous faut maîtriser la croissance des expositions à caractère médical, qui sont du même ordre aujourd'hui que l'exposition à caractère naturel, et qui ne sont donc pas négligeables.

Après vingt ans de stagnation, l'industrie nucléaire est à nouveau en mouvement dans notre pays, comme dans le monde entier, avec la perspective d'une mondialisation de cette industrie, ce qui est tout à fait nouveau. En termes de maîtrise des risques, la régulation doit s'adapter à ce schéma mondial. L'Europe doit développer une harmonisation des règles, afin que le pôle de réglementation américain ne reste pas en pratique la principale référence. Il faut faire prévaloir des objectifs de sûreté suffisamment ambitieux au regard de ce que les technologies peuvent apporter pour écarter l'éventualité d'évènements catastrophiques. Enfin, il faut susciter la confiance des parties prenantes au sein de la société. L'IRSN, aux côté des autres acteurs français, apporte à cette ambition son savoir-faire scientifique, son expérience opérationnelle en termes d'appui aux politiques publiques, son capital de proximité auprès de la société, avec son site internet qui comporte de très nombreux rapports, et a une audience de plusieurs centaines de milliers de personnes lorsque des incidents se produisent.

Je vous remercie et vous invite à venir visiter l'Institut si vous ne le connaissez pas, à Cadarache et surtout à Fontenay-aux-Roses dans les Hauts-de-Seine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion