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Intervention de Étienne Blanc

Réunion du 15 février 2011 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, rapporteur :

Pour la troisième étape de ses travaux, la mission d'information sur l'exécution des peines a défini deux nouveaux axes de travail : réaliser un bilan statistique de l'exécution des décisions de justice pénale et évaluer le déploiement de l'application Cassiopée et, plus largement, la dématérialisation de la chaîne pénale. Je voudrais aujourd'hui rendre compte de mes travaux sur ces deux aspects.

Pour ce qui est du bilan de l'exécution des décisions de justice pénale, je partage pleinement le constat sans appel du président de notre Commission. Cette situation est d'autant moins acceptable que les lois existent – nous les avons évaluées dans le cadre de notre mission d'information – mais ne sont toujours pas appliquées. Les multiples carences de l'exécution des décisions de justice pénale minent plus que jamais notre volonté de lutter contre la récidive.

L'exécution des peines doit rester la priorité absolue de la justice dans les années à venir. Cela suppose une impulsion décisive et des moyens à la hauteur des enjeux. Je m'associe donc pleinement à la proposition de lancer un plan exceptionnel de 120 millions d'euros qui pourrait être alimenté par un meilleur recouvrement des amendes pénales.

Si les statistiques disponibles font apparaître une dégradation sensible de l'exécution des peines ces dernières années, elles n'offrent en réalité qu'une vision très imparfaite de la situation. L'équation à résoudre peut se résumer en ces termes : comment prétendre améliorer l'exécution des peines sans une connaissance précise et chiffrées de ce phénomène ? À l'heure actuelle, faute d'outils statistiques performants, l'exécution des peines reste un maillon mal connu de la chaîne pénale, alors même qu'elle revêt une importance majeure. En effet, dans ce domaine, la fiabilité des statistiques reste conditionnée au déploiement effectif de Cassiopée – une application informatique permettant d'enregistrer une affaire ab initio, dès la présence d'une personne soupçonnée ou coupable d'une infraction devant l'officier ou l'agent de police, et jusqu'à la fin de la chaîne pénale, c'est-à-dire jusqu'à la justification de la peine prononcée par une juridiction.

Ce projet, que certains jugent ambitieux, a suscité beaucoup d'espoirs, mais aussi de nombreuses déceptions. Cassiopée ne mérite pas d'être vouée aux gémonies, comme ses débuts catastrophiques ont pu le laisser croire, mais plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer les difficultés rencontrées.

En premier lieu, il est rapidement apparu que la conception de cette nouvelle application, engagée à partir de 2001, porte en elle ses difficultés présentes et à venir. En effet, Cassiopée avait vocation à remédier à l'obsolescence des applications informatiques de la justice pénale, que nous avions déjà stigmatisée dans notre premier rapport, en 2007, mais le projet s'est révélé trop ambitieux, du fait notamment de sa complexité technique. Le calendrier a dû être revu à plusieurs reprises et le projet a pris un retard considérable – de 43 à 48 mois pour un programme prévisionnel de 41 mois.

Ce retard tient d'abord à l'insuffisante prise en compte des besoins opérationnels des magistrats et des greffiers : 80 % des juridictions que nous avons interrogées nous ont indiqué ne pas avoir été associées à la conception de l'application Cassiopée.

Il tient ensuite à une sous-estimation chronique de l'importance que revêt le pilotage d'un tel projet, du côté tant de la maîtrise d'ouvrage que de la maîtrise d'oeuvre. Les équipes de projet sont restées sous-dimensionnées jusqu'en 2005. Un audit réalisé dans le cadre de la RGPP a bien mis en évidence que la sous-direction de l'informatique et des télécommunications du ministère de la justice n'avait pas les moyens suffisants pour porter un projet de cette ampleur.

Le retard tient enfin aux relations difficiles entre le ministère de la justice et ses prestataires, en particulier la société Atos Origin. Du début 2007 à la fin 2008, alors que le ministère de la justice se réorganisait et que le projet Cassiopée entrait en phase de recette, la société Atos Origin se trouvait régulièrement en retard sur le calendrier qui lui avait été fixé par le ministère.

Après la conception, la phase de déploiement s'est également heurtée à de sérieuses difficultés. Le déploiement a été sous-estimé et insuffisamment préparé. Si l'information des magistrats et des greffiers sur l'avancement du projet et son implantation a été menée de manière relativement satisfaisante – 86 % des juridictions que j'ai interrogées estiment avoir été régulièrement informées de l'état d'avancement du projet –, le déploiement de Cassiopée a, hélas, été sous-estimé à deux égards : la formation des utilisateurs finaux aurait gagné à être renforcée et la question de la reprise des données n'a pas été correctement anticipée au départ ; les moyens accordés ponctuellement pour la reprise des données n'ont pas assez été pris en compte.

De ce fait, le déploiement de Cassiopée a considérablement accru le stock des procédures à enregistrer au bureau d'ordre et des jugements à dactylographier au greffe correctionnel. À titre d'exemple, au début du mois de novembre 2010, malgré le renfort des personnels placés et des vacataires, le bureau d'ordre du tribunal de grande instance d'Avignon accusait un stock de 12 632 procédures non enregistrées, dont 4 086 procédures nouvelles et 3 510 classements sans suite.

Insuffisamment préparé, le déploiement de Cassiopée s'est caractérisé par de nombreuses lacunes et faiblesses à tous les stades de la chaîne pénale.

En premier lieu, le temps de saisie des dossiers s'est parfois accru au bureau d'ordre et à l'audiencement. Au service de l'audiencement du tribunal de grande instance de Nancy, par exemple, un fonctionnaire pouvait enregistrer chaque jour, en moyenne, vingt convocations par officier de police judiciaire (COPJ) ou comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), quand Cassiopée ne permet d'en enregistrer que quinze.

En second lieu, l'application s'est révélée partiellement inadaptée à l'instruction et à la justice pénale des mineurs, Cassiopée n'offrant pas d'historique des parcours et n'intégrant pas le volet civil des décisions prises par les tribunaux pour enfants, telles que les mesures d'assistance éducative, qui sont pourtant un aspect essentiel pour la bonne compréhension de la situation d'un mineur. Nous avons, par ailleurs, constaté que seuls 30 cabinets d'instruction sur 110 utilisaient complètement Cassiopée.

En troisième lieu, il est apparu que des ruptures et des ralentissements d'accès pouvaient compromettre le traitement des procédures en temps réel, notamment les CRPC : entre novembre 2009 et septembre 2010, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, où nous nous sommes rendus le 4 octobre dernier, a subi près de soixante heures de dysfonctionnements divers.

En quatrième lieu, nous avons constaté que la plupart des trames des actes susceptibles d'être édités étaient rédigées dans un style approximatif et parfois juridiquement inexact, avec des références aux textes de loi souvent insuffisantes, voire erronées, tout cela pouvant compromettre la validité des actes.

En cinquième lieu, le suivi de l'exécution des peines demeure lacunaire : près des trois quarts des juridictions interrogées considèrent que Cassiopée n'a pas permis de réaliser de progrès sur ce plan. L'application constitue un réel progrès pour les services de l'exécution des peines qui n'étaient pas informatisés, mais ce n'est pas le cas pour ceux qui utilisaient le système EPWin : il n'est plus possible, avec Cassiopée, de visualiser l'ensemble des affaires concernant un individu par la simple saisine de son nom, ni d'obtenir une information claire sur l'état d'exécution de chaque jugement.

Nous avons observé, en dernier lieu, que les défaillances de l'infocentre ne permettaient pas de disposer de statistiques fiables.

Toutes ces difficultés auraient pu compromettre gravement le déploiement de Cassiopée sans les efforts salutaires déployés par la chancellerie et sans le dévouement des magistrats et des greffiers, qui se sont mobilisés pour la mise en oeuvre de l'application. Après l'échec relatif de l'implantation de Cassiopée à Bordeaux, qui a suscité de très vives inquiétudes et donné lieu à un large mouvement de protestation au sein des tribunaux, le ministère a fait le choix de poursuivre le déploiement de l'application, mais en répondant très énergiquement aux préoccupations qui avaient vu le jour.

Dès 2009, la chancellerie a mis en place un observatoire sur le déploiement de Cassiopée, composé de représentants des organisations syndicales des magistrats et des fonctionnaires et de plusieurs juridictions pilotes. Le ministère a, en outre, procédé à de très nombreux ajustements budgétaires et matériels : la sous-direction de l'informatique et des télécommunications, qui assure la maîtrise d'oeuvre du projet, a bénéficié d'une augmentation importante de ses crédits et de ses effectifs pour la période 2011-2013 ; du côté de la maîtrise d'ouvrage, l'équipe en charge du projet a été renforcée, et des sites « pilotes » ont été désignés pour résoudre certaines difficultés, tel le TGI de Lille pour les dossiers complexes impliquant plusieurs auteurs, victimes ou infractions.

Le déploiement de Cassiopée étant quasiment achevé – 138 tribunaux de grande instance ont été équipés au 14 février 2011 –, un premier bilan peut être dressé. Au terme des travaux que nous avons menés, il me semble difficile de porter une appréciation tranchée et définitive. Nombreux sont ceux qui ont porté des critiques très sévères et parfois justifiées sur Cassiopée ; d'autres se sont montrés plutôt satisfaits de cette application qui, sans être parfaite, permet d'améliorer le service public de la justice et le fonctionnement des juridictions. Loin de rejeter unanimement Cassiopée, ses utilisateurs portent sur elle une appréciation plutôt positive, mais nuancée.

Si la satisfaction des juridictions n'est ni franche ni massive, c'est que les promesses dont Cassiopée est porteuse ne se sont pas encore concrétisées. Il convient en particulier de réaliser au plus vite une interconnexion avec les applications utilisées par l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, suivant notre proposition 14. Il faudrait également poursuivre la réorganisation des services de la chaîne pénale en favorisant la verticalisation des procédures et la revalorisation des tâches induites par Cassiopée – c'est notre 15e proposition.

Au-delà de Cassiopée, toute la chaîne pénale – contraventionnelle, correctionnelle et criminelle – a besoin de nouveaux efforts de dématérialisation suivant le modèle offert par nos partenaires européens.

Il convient, tout d'abord, de dématérialiser les échanges entre la justice, les forces de sécurité et l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, notamment les avocats et les huissiers. De nombreuses initiatives ont déjà été prises, mais elles doivent être développées – je pense en particulier à la communication électronique pénale : instaurée en 2008 entre la gendarmerie nationale et le ministère de la justice, elle ne concerne pas la police nationale, ce qui est fort regrettable. Nous avons, en effet, constaté que la communication entre la gendarmerie et la justice avait apporté des améliorations considérables au fonctionnement de la chaîne pénale.

La poursuite de la dématérialisation exige, en outre, que l'on s'inspire des succès enregistrés dans le domaine contraventionnel avec la mise en place des programmes « radars », encore appelés « contrôle automatisé », qui permettent de délivrer une amende à domicile en 48 heures. Une expérimentation de signature électronique à valeur probante devant les tribunaux de police a, par ailleurs, été engagée.

Cette démarche ambitieuse de dématérialisation laisse entrevoir de nombreuses opportunités. Nous devons relever ce défi, qui n'est autre que celui d'une justice moderne, rapide et efficace.

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