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Intervention de Michel Mercier

Réunion du 15 février 2011 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Le rapport de l'inspection des services judiciaires ainsi que celui de l'inspection des services pénitentiaires, diligentés à la suite de l'affaire de Nantes, révèlent de nombreux dysfonctionnements qui sont, de toute évidence, la manifestation des problèmes que vous avez évoqués.

Il s'agit là d'un meurtre particulièrement atroce : s'il n'est toujours pas possible de célébrer les obsèques de la jeune fille, c'est qu'on n'a pas encore retrouvé toutes les parties de son corps. L'émotion publique était donc légitime et on doit à la mémoire de la victime et à ses proches une analyse loyale des dysfonctionnements, en vue d'y remédier. Je pense également au jeune enfant de Tony Meilhon. C'est du reste en raison de son attitude lors d'une audience relative à la garde de son petit garçon, qu'il avait été condamné, en 2009, pour la dernière fois, pour outrage à magistrat avec mise à l'épreuve.

Le premier rapport porte sur le fonctionnement du tribunal de grande instance de Nantes et ses rapports avec la Cour d'appel et le second sur le fonctionnement du service pénitentiaire. Ces deux rapports ont une vocation plus large que l'étude du seul cas Meilhon.

Du reste, ce cas n'apporte aucun éclairage particulier sur le fonctionnement du TGI de Nantes, tribunal important doté d'un effectif théorique de 48 juges du siège. Le rapport montre que, de 2008 à 2011, ce chiffre a toujours été atteint, voire dépassé, sauf pendant deux mois. En revanche, sur la même période, le nombre des juges de l'application des peines a été inférieur d'un à deux à l'effectif théorique, qui est de quatre. Or, de 2008 à 2011, les discussions budgétaires entre le tribunal, la Cour et la chancellerie ne font jamais ressortir la moindre demande du tribunal en faveur du service de l'application des peines. Les seules demandes visaient à combler des temps partiels au profit du tribunal civil.

Durant la même période, non seulement une seule demande de juge placé du TGI de Nantes au Premier président de la Cour d'appel de Rennes a concerné le service de l'application des peines, mais, de plus, le juge a été affecté non pas à ce service mais à la rédaction des jugements. Le tribunal a donc toujours favorisé le civil au détriment du pénal.

Par ailleurs, dès sa nomination, le président du TGI de Nantes, aujourd'hui décédé, a délégué toutes ses fonctions relatives à l'organisation de sa juridiction à la première vice-présidente. Il n'a exercé que des fonctions juridictionnelles. C'est la première vice-présidente qui dialoguait avec les magistrats référents des services du TGI et avec la secrétaire générale de la Cour d'appel de Rennes. J'ai l'intention d'interroger le Conseil supérieur de la magistrature sur ce point, non pas dans un objectif disciplinaire mais au titre de l'article 65 de la Constitution, qui permet au ministre de la justice d'interroger le CSM sur la déontologie et le fonctionnement des juridictions. Le dernier Conseil supérieur de la magistrature a publié un livret sur la déontologie : une des dispositions interdit à un juge de déléguer la totalité de ses fonctions à un de ses collègues. Or, c'est ce qui s'est passé à Nantes.

Je tiens à ce que le CSM, lorsqu'il nommera des premiers présidents et des présidents de juridiction, ait bien à l'esprit qu'il s'agit d'une tâche spécifique : il leur incombe non seulement d'être capables de bien juger, mais également de diriger un tribunal ou une Cour d'appel. Comme la nomination des présidents de tribunaux ou des premiers présidents de Cour d'appel appartient au CSM – le pouvoir exécutif ne fait que signer les nominations sans aucun droit de regard –, et que les procédures disciplinaires relèvent également du CSM, je tiens à me placer uniquement sur le plan de l'organisation. Un président de juridiction doit exécuter correctement toutes ses tâches.

Pourquoi le CSM ne procéderait-il pas à des évaluations ? C'est ce qui a manqué au TGI de Nantes. Nous pouvons également nous demander pourquoi le premier président de la Cour d'appel de Rennes, qui siège actuellement à la Cour de cassation et est sur le point de partir à la retraite, n'a pas davantage porté attention à la situation du TGI de Nantes : un premier président de Cour d'appel est également chargé du fonctionnement de toutes les juridictions de son ressort. Qu'on me comprenne bien : je ne cherche pas à désigner des coupables mais à comprendre l'origine des dysfonctionnements.

Je tiens à préciser que les juges de l'application des peines de Nantes ont fait correctement leur travail. Le rapport n'émet aucune critique à leur encontre. S'agissant de Meilhon, dont la sortie était prévue le 24 février 2010, le juge de l'application des peines a coté son dossier dès le mois de septembre 2009, et y a inscrit à la main « Urgent – Avertir le SPIP pour la prise en charge ». Ce dossier papier a été transmis en octobre au service pénitentiaire d'insertion et de probation de Nantes. Je tiens également à préciser le point technique suivant, car il me paraît essentiel : dans le dossier figurait l'extrait de casier B 1, qui recense toutes les condamnations du prisonnier. Or, très souvent, cet extrait ne figure pas dans les dossiers transmis au SPIP. J'ai l'intention de le rendre obligatoire. Il suffisait donc de lire le dossier avec attention pour savoir que Tony Meilhon était un multirécidiviste condamné quinze fois, une fois pour viol et agression sexuelle et plusieurs fois pour violences. Les dysfonctionnements éventuels du TGI de Nantes ne concernent donc pas l'affaire Meilhon.

Tony Meilhon a passé 11 ans, en prison, soit une grande partie de sa vie. Condamné d'abord pour violences par le tribunal pour enfants, il a été incarcéré dans la cellule d'un délinquant sexuel – un « pointeur ». Condamné ensuite par la Cour d'assises pour mineurs de Loire-Atlantique pour agression sexuelle et viol sur ce dernier, il a alterné séjours en prison et sorties de quelques semaines, mais, lorsqu'il est sorti, le 24 février 2010, le SPIP ne l'a pas soumis au sursis.

En prison, Meilhon a fait l'objet d'un excellent suivi de la part du SPIP et du service médical – notamment sur le plan psychiatrique. En septembre et novembre 2009, le dossier de saisine parvient, au sein du même du SPIP, au milieu ouvert. Cependant, à la sortie de Meilhon, le lien entre les deux milieux ne se fait pas : le suivi en milieu fermé cesse, le rapport y afférent ne parvient au milieu ouvert que 43 jours plus tard et le suivi en milieu ouvert ne sera pas mis en oeuvre.

Pourquoi ? La circulaire de 2008 relative aux SPIP prévoit expressément que les directeurs de ceux-ci déterminent les moyens d'action de leurs services et l'ordre de priorité du traitement des dossiers, en fonction de la situation des personnes concernées et des moyens du service. À Nantes, une note du directeur du SPIP place les sursis avec mises à l'épreuve au dernier rang des priorités du service – ce qui revient à dire qu'il ne s'agit pas de priorités –, sauf pour certains délinquants, notamment sexuels. Or, on n'ouvre pas le dossier de Meilhon et, faute d'avoir pris connaissance du casier B1, on ne retient que l'outrage à magistrat : le dossier rejoint alors le tas de ceux qui ne sont pas considérés comme prioritaires.

On n'a trouvé aucune trace d'un suivi médical à partir de la sortie de Meilhon. On sait aussi, comme je viens de l'expliquer, qu'aucun suivi n'a été assuré par un conseiller d'insertion et de probation.

Il est probable que le SPIP de Loire-Atlantique n'était pas doté de moyens suffisants pour assurer ce suivi – ce qui explique sans doute la décision du directeur quant à l'ordre de priorité des dossiers. Sur la période 2009-2010, l'effectif cible du SPIP de Loire-Atlantique était de 31 personnes, dont 10 pour le milieu fermé et 21 pour le milieu ouvert – l'effectif réel étant plutôt, pour ce dernier, de l'ordre de 16,5. En 2009, la Chancellerie a attribué à ce SPIP quatre postes pour combler le déficit du milieu ouvert. Sur ces quatre postes, trois seulement sont pourvus, faute de candidats. Le directeur du SPIP affecte ces trois postes au milieu fermé et sort de ce dernier deux personnes – l'une travaillant à 80 % du temps, l'autre bénéficiant d'une décharge syndicale de 70 %, pour les affecter au milieu ouvert. Au bout du compte, le milieu ouvert ne reçoit que 0,8 emploi en équivalent temps plein. Il apparaît ainsi que la culture du SPIP est une culture du milieu fermé et que la culture du milieu ouvert reste à construire.

Le SPIP de Loire-Atlantique a connu de nombreux problèmes, à commencer par un fort absentéisme – 31 % de l'effectif cible, et donc un taux plus élevé par rapport à l'effectif réel. Il a en outre connu, pour la période qui nous intéresse, trois directeurs : au départ du premier, l'intérim a été confié à une dame certainement pleine de bonne volonté, mais qui n'était visiblement pas à la hauteur du poste, puis a été nommé, fin 2009, un directeur qui, après quelques semaines, a demandé un audit méthodologique et organisationnel, transmis à la Chancellerie par l'intermédiaire du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes.

Ce rapport, qui a reçu l'aval de la direction de l'administration pénitentiaire et a été réalisé par l'inspection générale des services pénitentiaires, formule 77 recommandations, dont un grand nombre n'ont pas été mises en oeuvre, comme celle qui demande expressément l'affectation de tous les dossiers. Malgré la demande du directeur de l'administration pénitentiaire, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes ne prend aucune mesure d'appui en faveur du SPIP de Nantes, lequel doit se débrouiller – ce qu'il fait en laissant tout simplement les dossiers s'entasser. Le nombre de ces dossiers est du reste difficile à chiffrer : d'une centaine au départ du premier directeur, leur nombre augmente dans une proportion inconnue durant l'intérim, puis la mission d'inspection en compte manuellement 690 non attribués, parmi lesquels celui de Meilhon.

On constate également que l'informatique est très peu utilisé. Ainsi, les responsables de la direction interrégionale de Rennes déclarent ne pas utiliser le logiciel API, qui permet aux magistrats du suivi des peines et aux services de probation, qui l'alimentent les uns et les autres, de partager les informations relatives aux personnes sortant du milieu carcéral. À Nantes, on n'utilise guère davantage ce logiciel. Le dossier Meilhon y figure cependant et les magistrats constatent à la fin de 2009 qu'un conseiller est désigné pour suivre ce dossier. Il s'agit cependant d'une affectation virtuelle et le sursis n'a en réalité jamais été mis en oeuvre. Du reste, le logiciel sera ensuite nettoyé de ces affectations virtuelles par la mission d'inspection.

Les analyses qui se dégagent du rapport d'inspection suscitent évidemment des interrogations quant à l'action individuelle de certains agents. Ainsi, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes n'a pas donné suite à l'instruction claire qu'il avait reçue du directeur de l'administration pénitentiaire, et les préconisations du rapport d'audit demandé n'ont pas été mises en oeuvre. De même, le classement des dossiers était contraire aux dispositions de la circulaire de 2008 instituant les services pénitentiaires de probation et d'insertion, qui prévoyait expressément que le degré de priorité des dossiers ne pouvait être fixé qu'après une analyse de la personnalité des probationnaires, fondée sur des critères sociologiques et criminologiques, et que les dossiers ne pouvaient en aucun cas être classés selon la nature de l'infraction commise. De fait, dans le dossier Meilhon, le B1 permettait de comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une simple affaire d'outrage à magistrat.

Au demeurant, un suivi de Meilhon n'aurait pas forcément empêché qu'il commette son crime. Il ne s'agissait ici, je le rappelle, que de relever des dysfonctionnements.

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