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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 15 février 2011 à 15h00
Prix du livre numérique — Ouverture de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, il faut toujours légiférer en tremblant, avec circonspection et mesure. C'est une règle générale de conduite, mais elle est encore plus pertinente quand on considère l'univers numérique, en perpétuelle évolution, notamment pour ce qui concerne le livre.

Parfois, à Saint-Germain-des-Prés, le vertige vous prend à la terrasse des cafés. Soudain, l'été dernier, la rumeur enfla. La météorite numérique allait fracasser l'univers du papier et le livre disparaître, détrôné par l'écran. Entre la grande peur, sûrement injustifiée, et la négligence insouciante, évidemment suicidaire, feuilletons donc la table des matières de ce nouveau monde que nous devons construire, car le laisser-faire généralisé dans la jungle numérique aliénerait cette irremplaçable « liberté grande » que le livre nous a donnée pour nous construire.

Le numérique est déjà là, bien sûr, particulièrement dans le droit, la médecine, les sciences. Il se développera, c'est certain, mais il est difficile de savoir dans quelles proportions et à quel rythme. Il aura sûrement un impact différent selon les genres : majeur pour les ouvrages techniques, les romans populaires, la bande dessinée, variable pour les sciences humaines, plus faible sans doute pour la littérature de qualité. Mais ce ne sont que des conjectures. Tout dépendra de la qualité des liseuses numériques, de l'appétence des lecteurs à s'affranchir du papier et surtout de l'offre légale qui leur sera proposée.

Assistera-t-on à un grand basculement, à l'instar de ce qui s'est passé en musique à l'arrivée du couple Ipod-MP3, ou à l'apparition d'une « économie d'estuaire » où le papier et le numérique cohabiteront de manière mouvante comme la terre et l'eau ? Nul ne le sait aujourd'hui. D'autant que le numérique peut être l'allié du livre, couplé à l'impression à la demande, pour rendre disponible des oeuvres épuisées ou trop savantes pour faire l'objet d'une édition classique. Pour les oeuvres tombées dans le domaine public, le patrimoine, il faut conduire une politique active de numérisation, ce qui suppose, comme le souligne le rapport Tessier, un pilotage clair et des moyens budgétaires importants, y compris en mobilisant le grand emprunt et des fonds européens. Monsieur le ministre, je vous félicite pour votre action en ce domaine.

Le programme français Gallica 2 doit être renforcé, tout comme doit être réorienté et approfondi le projet Europeana. Il n'est d'ailleurs pas scandaleux que des partenariats puissent être noués avec des opérateurs privés, y compris Google, à condition d'être très vigilant dans les cahiers des charges s'agissant de l'accès, de l'indexation et de la propriété des fichiers. Il faut traiter également la question de l'intégrité et de la fiabilité des oeuvres numérisées, ainsi que de la sécurité des archivages sur le long terme, car on sait que le papier est beaucoup plus durable qu'un fichier numérique. Le point le plus délicat concerne, bien sûr, les oeuvres sous droit, les plus menacées, si ce nouveau monde numérique n'est pas organisé, car c'est la liberté et la diversité de la création qui est en jeu.

Il faut d'abord défendre le droit d'auteur, quelle que soit sa forme juridique, différente de part et d'autre de l'Atlantique. C'est dire l'importance de la bataille juridique aux États-Unis et en Europe contre Google, qui numérise des oeuvres sans l'accord de leurs auteurs contre une indemnisation forfaitaire dérisoire, acceptée d'ailleurs par la guilde des auteurs américains, de guerre lasse, faute de pouvoir payer les frais d'avocats. Le département de la justice américain, l'Union européenne, le gouvernement français, les éditeurs ont été réactifs et avisés, dès l'été 2008, pour faire valoir leur position.

Il faut ensuite que tous les irremplaçables acteurs de la chaîne du livre organisent ce changement plutôt que de le subir, car cette révolution numérique va impacter tout le monde. « L'édition sans éditeurs », pronostiquée il y a une dizaine d'années par André Schiffrin, et sans libraires, ne relèverait donc plus du fantasme, l'auteur vendant directement son livre au lecteur, via internet. C'est pourquoi il faut défendre le travail méconnu d'édition, de mise au point du manuscrit, indispensable pour maintenir la qualité des oeuvres. Les libraires, confortés par la loi sur le prix unique et la récente loi sur les délais de paiement, irremplaçables eux aussi, doivent anticiper les évolutions, en devenant les guides avisés dont nous avons besoin dans le foisonnement de l'univers numérique, en développant leur offre et en proposant l'impression à la demande, quand son modèle économique sera calé, qui ouvre de nouveaux champs aux imprimeurs. Et que deviendra « l'hypocrite lecteur » dans ces bouleversements ? Bien présomptueux qui peut le dire aujourd'hui. Espérons qu'il gardera du plaisir et continuera à construire, en tâtonnant, sa « liberté grande ».

Il faut enfin que l'offre légale puisse se déployer. C'est d'abord l'affaire des éditeurs, qui doivent, dans une économie de marché, s'organiser pour peser face aux distributeurs, en construisant des plates-formes de téléchargement légal qui aient la masse critique, du point de vue de leur catalogue et surtout de leur promotion.

Mais il revient aussi au législateur de fixer le cadre afin que puisse se développer une offre légale attractive.

La première condition est que l'environnement fiscal soit le même que celui du livre papier. C'est pourquoi nous nous sommes battus, nombreux, dans un scepticisme généralisé et vaguement bienveillant, il faut bien le dire, pour que le taux réduit de TVA soit applicable au livre numérique homothétique. C'est désormais chose faite, même si nous aurions préféré que les dispositions adoptées dans la loi de finances pour 2011, reprenant ma proposition de loi, soient immédiatement applicables, plutôt que d'être décalées au 1er janvier 2012.

La seconde condition est que les éditeurs gardent la maîtrise du prix de leurs fichiers numériques. Tel est l'objet de la présente proposition de loi, cosignée par de nombreux parlementaires, élaborée dans la concertation entre le Gouvernement, le Parlement, et les acteurs de la chaîne du livre, et déposée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat.

À l'issue de la première lecture au Sénat, deux dispositions font débat, non sur les objectifs à atteindre, qui font l'objet d'un consensus général, mais sur les voies et moyens pour y parvenir.

Je veux parler, bien sûr, d'abord du droit d'auteur. Notre combat va clairement dans le sens de la diversité culturelle et d'une rémunération juste et équitable de la création. Il est évident que sans auteurs, il n'y aurait pas de livres et qu'il ne doivent pas être la variable d'ajustement de l'économie numérique. Je le dis très clairement : telle est ce que l'on appelle l'intention du législateur. Mais faut-il aujourd'hui légiférer sur ce sujet, s'immiscer dans des relations contractuelles dont on sait qu'elles doivent être rénovées ? Je ne le pense pas. C'est pourquoi je propose que, dans le cadre de l'indispensable clause de rendez-vous législatif prévue par l'article 7 de la proposition de loi, cette problématique soit régulièrement évoquée.

Je veux ensuite parler de la fameuse clause d'extraterritorialité, qui fait tant débat depuis quelques jours, et qui est, nous le savons, contrainte par le contexte juridique européen. Je crois tout simplement qu'il ne faut pas céder à la peur et considérer sereinement ce dossier.

Que voulons-nous ? Que l'éditeur puisse fixer le prix de vente de son fichier numérique, afin que la marge ne soit pas captée par les quelques puissants distributeurs numériques qui sont dans une situation de quasi-monopole et qui ne créent pas de valeur pour le secteur de la création.

Quels sont les moyens pour atteindre cet objectif ? Dans l'espace juridique français, c'est évidemment l'adoption de la présente proposition. Mais se pose, bien sûr, la question de la vente légale des fichiers numériques, par des plates-formes domiciliées à l'étranger comme Amazon ou Apple. La réponse à cette objection pertinente est le contrat de mandat que l'éditeur est à même d'imposer à son distributeur. Depuis que six éditeurs américains l'ont retenu, dans un univers pourtant complètement dérégulé, la part de marché de l'acteur quasi-monopolistique qu'était à l'époque Amazona été divisée par deux ! Cela prouve son efficacité. Par ailleurs, la réponse de la Commission européenne sur cette question, reçue le 31 janvier dernier, est claire : les dispositions telles qu'adoptées par le Sénat sont contraires au droit européen. Si nous les maintenions, nous serions à coup sûr passibles d'une procédure d'infraction et c'est l'ensemble du dispositif législatif qui serait invalidé. Nous ne pouvons prendre ce risque. C'est pourquoi, il me semble aujourd'hui prématuré, et pratiquement inopérant de légiférer sur ce point.

Deux cas de figure se présenteront donc : en France, un encadrement législatif du prix du livre numérique et à l'étranger, un encadrement contractuel, de la responsabilité des éditeurs français, qui plaident d'ailleurs tous, petits et gros éditeurs confondus, en ce sens. Je ne vois pas pourquoi ils braderaient leurs fichiers aux distributeurs étrangers, car ce serait scier la branche sur laquelle ils sont assis. Cela rendrait la présente loi ineffective et forclose. Par ailleurs, si le droit européen évolue dans un sens favorable à un tel encadrement, le rendez-vous législatif périodique sera l'occasion de mettre cette question à l'examen.

Trois propositions résument l'esprit du présent texte : résolution à défendre la diversité et la rémunération de la création ; humilité dans notre rôle de législateur ; pragmatisme qui nous conduira sans doute à adapter notre cadre légal dans un univers en perpétuelle mutation.

Sous réserve de l'adoption de deux amendements, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi dans sa rédaction issue de notre réunion de commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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