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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 25 janvier 2011 à 15h00
Ventes de meubles aux enchères publiques — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la finalité d'une motion de renvoi en commission est d'obtenir qu'un texte soit examiné plus avant, compte tenu des défauts qui l'entachent. En somme, cette motion vise à démontrer que le travail effectué n'est pas satisfaisant et je n'aurai aucun mal à en faire ici la démonstration pour cette proposition de loi relative à la réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Si les ventes volontaires se portent très bien, il est néanmoins nécessaire de légiférer. Le texte qui nous est soumis poursuit un double objectif : celui de transposer au secteur des ventes volontaires aux enchères publiques les dispositions de la directive « services » de décembre 2006 et celui d'approfondir la libéralisation du secteur des ventes volontaires aux enchères publiques, de manière à offrir aux opérateurs capables de rivaliser avec les grandes sociétés de ventes internationales les moyens juridiques de les concurrencer réellement.

Les sénateurs qui ont examiné ce texte sont allés bien plus loin que ce qu'exigeait la simple transposition, libéralisant un peu plus encore ce secteur d'activité. Pour autant, ils se sont peu intéressés aux consommateurs, estimant que la compétitivité de ces entreprises suffirait à assurer leur information et leur protection.

L'examen en commission par notre assemblée a permis opportunément de rétablir dans leurs droits certains opérateurs, contribuant à élargir le champ des possibles pour les particuliers. Cependant, bien des points restent à approfondir.

Ce texte va concerner deux acteurs : les opérateurs de vente aux enchères et les particuliers, puisque les ventes volontaires aux enchères publiques portent essentiellement sur des biens meubles possédés par des particuliers.

Si le législateur ne peut évidemment se satisfaire de l'inadéquation de la taille des acteurs français au marché, on ne peut écarter l'hypothèse que le présent texte ne contribue finalement à renforcer la position dominante de Christie's, Sotheby's ou autre British Car Auctions. L'impératif de transposition d'une directive doit être autre chose qu'un simple rendez-vous technique.

Nous devrions en effet nous attacher à respecter les différents volets de cette directive « services » afin d'en assurer une transposition cohérente.

À n'en pas douter, les trois premiers volets sont respectés : simplification des procédures et des formalités applicables aux prestataires, destinée à faciliter l'exercice de leur activité dans le ressort de l'Union européenne ; libéralisation du mode de fourniture des services ; libéralisation de l'accès à cette activité de services et de son exercice.

Reste le dernier volet de la directive, destiné à apporter un niveau de garantie élevé aux consommateurs.

Il est remarquable de constater, monsieur le rapporteur, que vous justifiez aussi la nécessaire modification de notre législation par la prise en compte de ces principes. Nous vous aurions volontiers accompagné dans cette voie afin que « les consommateurs puissent en retirer de réels bénéfices », suivant en cela l'avis du Conseil économique, social et environnemental de 2008. mais nous ne voyons pas en quoi pour l'instant.

En quoi l'évolution de la composition et des compétences du Conseil des ventes volontaires et la mise en place d'une charte de qualité par les opérateurs vont-elles renforcer la protection des consommateurs ?

Nous savons ce qu'il convient de penser des chartes, des guides de bonne conduite ou autres recommandations. Celles relatives à la rémunération des mandataires sociaux de sociétés préconisées par l'AFEP en son temps nous rappellent qu'une telle recommandation est au contrat ce qui ressort d'un accord de principe, c'est-à-dire tout sauf un engagement qui oblige. Quand, demain, les grands opérateurs seuls établiront leur guide de bonne conduite, sera-t-il un cadre pour eux ou pour les consommateurs ?

Lors des auditions organisées par M. le rapporteur, une grande maison française, Artcurial, nous a fait part de sa situation en ces termes : « Tout va bien pour nous ! ». Aux antipodes, les autres professions concernées par cette proposition de loi nous ont dit leur désarroi. Seuls deux grands opérateurs du marché, Sotheby's et Christie's, sont parfaitement satisfaits par ce texte. Pourquoi en rajouter ?

La majorité obéit à une logique constante – une marque de fabrique en quelque sorte – qui est la concentration des faveurs législatives sur les plus privilégiés. Le parallèle avec le bouclier fiscal n'est que trop évident ici aussi. Les conséquences à terme se ressemblent étrangement : l'étouffement et la compression des plus petits opérateurs économiques.

Il est à cet égard regrettable qu'une étude d'impact n'ait pas été produite à côté de ce texte. Cela nous aurait permis de cerner les conséquences des dispositions envisagées en termes d'emplois. Par exemple, les courtiers assermentés ne sont peut-être que 200 sur le territoire, mais combien de leurs salariés sont aujourd'hui concernés ? Surtout, quel est le véritable impact de leur activité sur le monde des affaires ? Voilà des informations qui auraient été utiles à un travail législatif digne de ce nom.

L'occasion des « nécessaires adaptations » de la loi française à la directive Services a vu l'exécutif intégrer à la proposition de loi une refonte des statuts de la profession de courtier de marchandises assermenté. Leurs prérogatives sont à ce jour encore les suivantes : ventes aux enchères publiques judiciaires ou volontaires de marchandises en gros ; délivrance des certificats de cours et des attestations de prix ; pratique de l'expertise judiciaire et amiable ; cotations des marchandises en bourse de commerce ou chambre de commerce ; inventaires et évaluations de stocks ; revente et rachat de marchandises en cas d'inexécution de contrats. Et j'en oublie. À ces titres, ils sont officiers publics, auxiliaires de justice et aussi commerçants, et très utiles à notre économie.

La réforme proposée induisait une disparition pure et simple de cette profession au profit des professionnels concurrents que sont les commissaires priseurs ou, plus encore, de grandes sociétés de vente qui veulent, à cette occasion, reprendre en catimini ce pour quoi ils ont déjà été indemnisés en 2000 à hauteur de 67 millions d'euros. Ce n'est évidemment pas l'esprit de la directive « services », au contraire.

Si nos travaux ont fort heureusement infléchi cette réforme, tout n'est pas résolu pour autant.

S'agissant des ventes aux enchères volontaires, le monopole de vente en gros est supprimé, dans l'esprit de la directive. Mais, concurremment, on a cherché à les enfermer dans la spécialité technique présentée lors de leur examen professionnel pour réduire leur activité, en même temps d'ailleurs qu'à limiter une autre catégorie d'officiers publics, les huissiers, dans leurs possibilités d'intervention. Heureusement, là encore, notre commission a modifié le texte en provenance du Sénat, qui tendait à tarir leur activité tout en concentrant la vente aux enchères. Mais certaines menaces continuent à peser sur cette activité avec le contrôle institué au profit du Conseil des ventes. Les courtiers de marchandises assermentés auraient été passés par pertes et profit, l'intérêt des consommateurs mésestimé, et l'animation de certaines provinces françaises restreinte.

Toutefois, nous ne sommes pas allés assez loin dans nos travaux sur la portée véritable de l'action de ces professionnels.

S'agissant des certificats de cours et attestations de prix, les courtiers de marchandises assermentés sont les seuls à en délivrer, tout comme ils délivrent, pour les marchandises encore cotées en bourse de commerce, les précieuses attestations de prix essentielles à la justice, à l'évaluation de préjudices ou à la valeur d'une marchandise. Il s'agit d'actes authentiques que seuls peuvent délivrer des officiers publics ou ministériels.

Supprimer cette qualité d'officier public, c'est passer une fois de plus les courtiers de marchandises assermentés par pertes et profits, mais aussi déconsidérer leurs donneurs d'ordres et faire fi de leurs intérêts. Au-delà, c'est porter un coup indéniable aux transactions internationales, notamment sur le vin et les céréales, marchandises commercialisées par les courtiers de marchandises assermentés en raison de leurs compétences, mais aussi de l'aura que leur confère leur titre d'officier public au regard de l'étranger.

S'agissant des expertises judiciaires et amiables, le décret actuel régissant les courtiers de marchandises assermentés en fait mention dans son article 10. La proposition de loi supprime purement et simplement cet article. Comment le comprendre, alors que la Chancellerie elle-même a poussé l'assemblée permanente des courtiers à adhérer au Conseil national des experts de justice et a informé les cours d'appel de l'adjonction de leurs listes à celles des experts ? Encore une prérogative des courtiers de marchandises assermentés obérée pour le bien de qui et de quoi ? Nous nous interrogeons encore.

S'agissant des cotations des marchandises en bourse de commerce ou en chambre de commerce, c'est sous la seule responsabilité des courtiers de marchandises, qui réunissent à cette occasion négociants, courtiers libres, professionnels, que sont réalisées de nombreuses mercuriales en France. Ces cotations sont fournies hebdomadairement à des agences aussi renommées que Reuters ou Bloomberg par les courtiers de marchandises assermentés français à destination du monde entier, dans soixante-sept spécialités. Quel est l'intérêt d'affaiblir ces professionnels qui concourent au renom de la France ?

Sans doute était-il nécessaire de transposer la directive communautaire, mais fallait-il procéder ainsi ? Je ne le pense pas.

Le législateur a perdu l'occasion de prendre de la hauteur sur un sujet qui le mérite à plusieurs titres. Songez que nous aurions pu profiter de l'examen de ce texte pour nous attacher à préserver le patrimoine national, cet incroyable grenier de l'art dont on dit qu'il regorge encore de joyaux ; un grenier livré en pâture aux géants du marché de l'art mondial, un grenier qui méritait d'être protégé. Hélas ! c'est une occasion ratée puisque de tout cela il n'est nullement question dans ce texte.

Non contente de renforcer les positions dominantes dans ce secteur, la majorité du Sénat, insuffisamment désapprouvée par notre assemblée, a totalement négligé la protection des plus faibles, les particuliers, c'est-à-dire tous ceux qui ont affaire, à un titre ou à un autre, à des professionnels des ventes, naturellement avertis et rompus aux nuances, parfois si subtiles, dans le domaine des ventes d'oeuvres d'art. Il nous semble indispensable de combler une telle lacune. Pour ce faire, nous avons déposé des amendements visant à imposer auxdits professionnels l'obligation d'assurer la meilleure information aux particuliers.

Des lacunes, il y en a d'autres tout aussi regrettables, qui constituent autant de raisons justifiant le renvoi de ce texte en commission.

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