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Intervention de Thomas Piketty

Réunion du 26 janvier 2011 à 10h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Thomas Piketty, professeur à l'école d'économie de Paris :

Mais politiquement si délicate qu'elle n'a pas eu lieu. L'avantage d'un impôt impliquant la déclaration de valeurs de marché au 1er janvier de chaque année réside essentiellement dans l'inutilité de cette réévaluation et l'impossibilité de prendre du retard par rapport au marché et aux prix. Certes, il serait encore préférable que les contribuables au titre de l'ISF reçoivent une déclaration pré-remplie comportant la réévaluation automatique des bases au 1er janvier mais, en attendant, un tel dispositif permet de ne pas « perdre le nord » par rapport aux valeurs des actifs. Il s'agit là d'un point technique sur lequel nous pouvons être d'accord et qui n'a pas d'implication sur le niveau des taux d'imposition souhaité ou des seuils d'exonération.

Supprimer un tel outil alors que nos bases cadastrales sont dans un état lamentable constituerait une grossière erreur !

En outre, votre intervention sur les actifs professionnels de Mme Bettencourt m'a beaucoup étonné. Si je partage votre point de vue quant à une taxation qui porte sur 1 milliard d'euros quand le patrimoine s'élève à 15 millliards, je n'en tire pas la même conclusion que vous, qui semblez penser qu'une telle taxation étant impossible à appliquer, il est préférable d'y renoncer absolument en supprimant l'ISF.

De plus, l'idée selon laquelle il serait en l'occurrence possible de substituer un impôt sur le flux de revenus du patrimoine à un impôt sur le stock est illusoire. Il existe en effet, comme l'a dit François Hollande, trois manières de taxer le patrimoine : les flux de revenus, la détention, la transmission. Or, dans notre pays, la taxation des premiers est très morcelée – CSG, IR, prélèvement libératoire, impôt sur les plus-values, plafonds, double plafonds, abattements de 40 %, etc. –, la connaissance du taux effectif d'imposition relevant du parcours du combattant.

Dans le cas d'espèce, je suis donc favorable à une simplification radicale en appliquant à l'assiette de la CSG un barème progressif sur les revenus du patrimoine et les autres. Cela, de surcroît, n'implique en rien de taxer ceux issus du Livret A, dont le rendement est d'ailleurs actuellement plutôt négatif et qui, en revenus réels, sont microscopiques.

Outre que la taxation des flux de revenus doit être grandement simplifiée, elle n'implique pas la fusion, en un impôt global, de celle de la détention et de la transmission : même s'il est possible de tendre à une harmonisation avec l'instauration d'assiettes comparables, les trois modes ont en effet des finalités différentes. Ajoutons qu'avec l'allongement de la durée de la vie, le temps qui sépare la réception d'un patrimoine et l'impôt sur sa détention est long. Toutes les variations étant dès lors possibles, il est normal que l'impôt s'ajuste en fonction de l'évolution de la capacité contributive.

Remplacer l'ISF par une tranche supérieure de l'impôt sur les successions me paraîtrait une très mauvaise idée, et qui plus est injuste : un propriétaire ayant hérité en 1972 d'un appartement parisien qui valait 100 000 francs et qui vaut 3 millions d'euros en 2011 ne doit-il pas acquitter un impôt en fonction de sa capacité contributive, qui a largement évolué ?

Trois raisons empêchent le remplacement de l'ISF par une plus forte imposition des revenus.

Tout d'abord, comme je l'ai déjà dit, l'impôt sur la détention a une vertu : il implique le durcissement des normes comptables sur les bilans personnels et des entreprises, lequel s'imposera pour une régulation générale du capitalisme patrimonial du XXIe siècle.

Ensuite, même en cas d'élargissement de l'assiette des revenus du patrimoine, des revenus économiques n'y entreront jamais – je songe, par exemple, aux bénéfices non distribués, qu'il est très difficile de ré-attribuer aux personnes concernées. Ainsi, dans le cas d'une participation très importante au capital de L'Oréal gérée par une société créée à cet effet, le propriétaire ne se reversera jamais en revenu fiscal que les quelques millions d'euros qui lui sont nécessaires pour vivre comme il l'entend sur les centaines de millions d'euros de dividendes perçus. Quelle que soit sa forme, l'impôt sur le revenu ne pourra jamais suppléer celui sur la détention du patrimoine, lequel est irremplaçable en tant qu'indice de la capacité contributive de chacun.

Enfin, comme Maurice Allais le faisait valoir, imposer le stock comporte des vertus incitatives pour obtenir un meilleur rendement. Au final, il faut s'efforcer de trouver un juste équilibre entre la taxation de ce dernier et celle des flux, laquelle possède un caractère assuranciel, afin qu'un propriétaire ayant eu un rendement négatif, par exemple, ne soit pas taxé aussi lourdement que celui qui bénéficie d'un rendement très élevé.

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