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Intervention de Bertrand Piccard

Réunion du 19 janvier 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Bertrand Piccard :

Nous avons effectivement noué des liens avec l'industrie aéronautique, avec Dassault en tant que partenaire et Altran en ingénierie. L'augmentation – présente et à venir – des cours du kérosène la menace directement et il est naturel qu'elle cherche des voies de diversification. Au reste, je ne pense pas que l'installation de panneaux solaires sur les avions actuels serait de nature à diminuer leur consommation de manière significative car le gain potentiel n'est pas du tout à l'échelle de la consommation finale d'énergie ; on n'est pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. En revanche, je suis convaincu qu'en adaptant leurs comportements, les compagnies aériennes pourraient économiser environ 20 % de la consommation d'énergie de leur flotte.

Plus conscient qu'Airbus de cet enjeu, Boeing cherche en permanence à alléger ses avions : un kilo en moins, c'est un kilo de moins de kérosène brûlé. Mais cela passe aussi par un changement d'habitudes : renoncer à servir du whisky en cabine dans un verre en cristal avec de vrais glaçons, cela permet également de réduire la consommation de carburant ! Il y a aussi tout un programme à mener en matière de routes aériennes directes, dans le cadre d'Open Sky, ou d'approches constantes plutôt que par paliers.

L'obstacle principal à cet objectif de maîtrise énergétique tient pour l'essentiel à des facteurs humains, dans la mesure où l'on s'attaque aux habitudes des contrôleurs aériens et où la psychologie du monde aérien se trouverait affectée par de telles évolutions.

À l'origine de mon projet actuel de tour du monde sans carburant, il y a le tour du monde en ballon, qui m'a rendu très concret l'objectif de maîtrise de la consommation des énergies fossiles. Lorsqu'on risque de s'écraser parce qu'on a trop consommé, c'est dans ses tripes que l'on éprouve la nécessité d'économiser la ressource !

Parmi les nombreux sponsors qui nous font confiance – Dassault, Altran, Clarins, Omega, la Deutsche Bank… , je regrette que ne figurent pas plus d'entreprises françaises, en particulier celles qui disent vouloir concourir à la protection de l'environnement. 80 % des 80 millions d'euros nécessaires sont cependant acquis, et nous avons concouru à la création de plusieurs emplois. Du reste, la plus grande part de nos charges consiste en la rémunération de collaborateurs puisque notre activité ne met pas en jeu des technologies chères.

Dassault développe des drones et je suis convaincu que le solaire a beaucoup d'avenir en ce domaine, en particulier pour les télécommunications car leur coût est bien moindre que celui d'un satellite.

L'hydrogène offre un champ de réflexion tout à fait passionnant. Je rappelle cependant qu'il ne s'agit pas d'une source d'énergie disponible dans la nature mais du résultat d'un stockage d'eau. Si je ne crois pas à l'avenir de la voiture tout-solaire, je pense qu'il y a une voie prometteuse dans la production d'électricité d'origine solaire destinée à servir de « carburant » à des véhicules individuels. Songez qu'à partir de quelques mètres carrés de panneaux solaires, il est possible d'hydroniser de l'eau en vue de produire une énergie exploitable pour tout usage domestique, y compris la propulsion d'un véhicule électrique. Le marché potentiel de ces unités de production d'hydrogène individuelles à domicile est colossal et je note qu'il n'est pas exploré à ce jour par les grands groupes énergétiques mais plutôt par des entreprises pionnières comme Belenos Clean Power, entreprise suisse dont l'un des principaux actionnaires est le groupe Swatch fondé par Nicolas Hayek. De même, ce n'est pas un constructeur automobile qui produit la meilleure voiture électrique, la Tesla, mais un milliardaire américain qui a fait fortune dans les nouvelles technologies. Et ce ne sont pas les constructeurs de téléphone fixe qui ont inventé le GSM…

Je constate avec regret que les groupes qui disposent du plus de moyens – notamment en R&D – ne sont pas les plus innovants et, sans leur demander de se recycler, je déplore qu'ils ne se diversifient pas davantage.

M. Caresche m'a interrogé sur le nucléaire, industrie prospère et peu remise en cause en France, à la différence de l'Allemagne ou de la Suisse où les débats sont plus vigoureux. Il faut abandonner les postures idéologiques et dogmatiques. Ce qui ne fait pas de doute, c'est que le nucléaire produit une énergie faiblement carbonée, de l'ordre de 900 grammes de CO2 par kilowattheure d'électricité produite. Parallèlement, j'observe que les spots qui éclairent cette salle de réunion génèrent des déchets radioactifs pour les 20 000 prochaines générations alors que nous pourrions tout aussi bien travailler en lumière naturelle… Au plan économique, il est souhaitable que l'industrie nucléaire se diversifie dans la production d'énergies renouvelables car qu'il s'agisse des voitures ou des avions, l'énergie d'avenir, c'est l'électricité. Il est donc urgent d'investir dans les renouvelables et je rappelle qu'une centrale solaire coûte environ deux fois moins cher qu'une centrale nucléaire, tout en procurant davantage d'emplois dans des PME.

Le stockage continue de poser problème même si diverses techniques existent – en air comprimé, en batteries chimiques, en liquides à haut contenu en chaleur… On peut aussi faire circuler l'énergie renouvelable dans des réseaux intelligents, les smart grids.

Je souhaite vous convaincre que je ne verse pas dans l'angélisme vert : les dépenses en faveur des énergies renouvelables constituent en fait des investissements et un levier efficace pour sortir de la crise.

Je ne suis bien entendu pas hostile aux partenariats avec les écoles d'ingénieurs et nous en avons noué avec l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Cependant, je ne souhaite pas aller au-delà car l'Europe regorge de programmes de recherche et d'innovation. Le problème, c'est que l'innovation reste dans les rapports de thèse et les bibliothèques universitaires ! Nous ne manquons pas d'intelligence collective mais de débouchés et d'applications.

Enfin, je crois à la nécessité de cadres légaux contraignants pour promouvoir les énergies renouvelables, notamment sous forme de normes de consommation d'énergie et de CO2. Je rappelle que la promotion des énergies les moins polluantes a aussi été assurée par la mise en oeuvre d'un cadre réglementaire contraignant. Sans la contrainte, l'on continuerait d'enterrer les ordures ménagères dans les forêts et de dégazer en mer, et l'on aurait cédé au chantage des constructeurs automobiles selon lesquels l'obligation d'installer des pots d'échappement catalytiques allait les mener à la ruine.

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