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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 11 janvier 2011 à 15h00
Hommage de l'assemblée — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui présenté vise à donner corps à l'existence constitutionnelle du Défenseur des droits prévue par la loi du 23 juillet 2008.

Cette future institution, issue de la révision constitutionnelle, avait à l'origine pour objectif de regrouper les attributions du Défenseur des enfants, du Médiateur de la République et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. La commission des lois du Sénat lui a rattaché, l'an passé, la HALDE, qui avait pourtant en peu de temps réussi à gagner en visibilité et dont le travail est reconnu par l'ensemble des acteurs de la lutte contre les discriminations.

« La création du Défenseur des droits vise à donner plus de cohérence et plus de lisibilité à l'ensemble institutionnel chargé de la protection des droits et libertés, et à doter la nouvelle institution de pouvoirs et de moyens d'action renforcés », affirme le Gouvernement. Les attributions du Défenseur des droits s'étendront non seulement à celles aujourd'hui exercées par le Médiateur de la République, mais elles seront également élargies à celles du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Pour que son action puisse bénéficier de toutes les compétences utiles, le Défenseur sera assisté de deux collèges de trois personnalités qualifiées, qui seront obligatoirement consultées sur le traitement des réclamations en matière, d'une part, de déontologie de la sécurité et, d'autre part, de protection de l'enfance. Le Défenseur des droits « chapeautera » également la HALDE.

Rappelons que la création de ce nouveau mastodonte administratif n'a été précédée d'aucune concertation sérieuse. Aucun des responsables des institutions concernées n'a en effet été consulté. Et pour cause ! En fait, avant la mise en place du comité présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur, personne n'avait préconisé la création d'une telle instance. Le rapport Gélard de 2006 sur les autorités administratives indépendantes, par exemple, n'avait aucunement émis l'idée de créer un Défenseur des libertés appelé à rassembler l'ensemble des autorités administratives agissant dans ce domaine.

Pourquoi faudrait-il perdre les acquis indéniables de ces organismes – acquis reconnus par tous, y compris au-delà de nos frontières – au profit d'une instance, le Défenseur des droits, qui cumulerait plusieurs fonctions et aurait à connaître entre 50 000 et 100 000 affaires par an ?

À la volonté de reprise en main semble s'ajouter une raison d'ordre économique. Une institution unique coûterait moins cher que plusieurs instances. Outre que l'argument économique doit parfois s'effacer devant des choix politiques, il n'est pas certain que le dispositif soit plus économique, compte tenu du coût de la mise en place d'une nouvelle instance, de nouvelles campagnes publicitaires, de la reprise des personnels – à moins que l'on ne veuille réduire considérablement les dépenses.

La condamnation est donc unanime, et tous dénoncent la disparition d'outils dont l'utilité n'a jamais été remise en cause. C'est une critique en règle contre la dilution des compétences et la reprise en main par le pouvoir d'organismes dont les avis et les recommandations avaient manifestement fini par déplaire en haut lieu.

Soulignons que ces critiques ne sont aucunement de nature politicienne ; elles proviennent de celles et de ceux que le Gouvernement a nommés à la tête de ces organismes et qui appartiennent, pour la plupart, à votre famille politique, monsieur le ministre.

Pour mémoire, Jeannette Bougrab, aujourd'hui membre du Gouvernement, s'était émue d'une possible disparition de la HALDE, affirmant ne pas « comprendre » que l'on « veuille remettre en cause une institution qui fonctionne ». « Supprimer la HALDE serait un très mauvais signe politique pour les plus fragiles », s'était-elle insurgée. Elle avait même affirmé : « Ce n'est pas souhaitable, car il y a un véritable problème de garantie de l'État de droit ».

En effet, sous couvert de mettre en cohérence la lutte contre les discriminations et la défense des droits, le Gouvernement s'est engagé dans une voie périlleuse : faire taire des voix indépendantes et diminuer les moyens budgétaires de la lutte contre les discriminations et de la défense des droits.

Selon le projet de loi, « la réunion des compétences du Médiateur de la République, de la CNDS et du Défenseur des enfants devrait favoriser une meilleure allocation des moyens, qui permettra au Défenseur des droits d'exercer ses nouveaux pouvoirs moyennant un accroissement modéré de l'enveloppe budgétaire totale ». Cette novlangue est en réalité une langue de bois : qui peut sérieusement croire de telles affirmations, alors que la volonté de contrôler davantage des institutions dont les prises de position sont parfois gênantes et de faire main basse sur ces contre-pouvoirs semble si manifeste ?

Par ailleurs, comme l'a rappelé Robert Badinter au Sénat, c'est la première fois qu'une grande institution compétente en matière de libertés, naît constitutionnellement sans que ses compétences aient été définies au préalable. Au fond, ce n'est pas très surprenant, car réduire au silence des organismes indépendants semble avoir été le principal objectif de ce Gouvernement dès le début de cette triste aventure institutionnelle.

La définition qui figure à l'article 71-1 de la Constitution est en effet très loin d'apporter les réponses nécessaires.

En quoi ce qui nous est proposé sert-il la cause des libertés et des droits ? C'est pourtant la seule question qui vaille. Elle est au fondement de notre question préalable. Et c'est bien là que le bât blesse. Si nous opposons la motion de rejet préalable au projet de loi organique, c'est tout simplement parce qu'il nous paraît méconnaître la finalité recherchée : améliorer la défense des droits des citoyens, de ceux qui sont appelés à le devenir et des personnes étrangères résidant en France.

La situation actuelle n'était pas de nature à justifier à la fois le mépris pour la concertation et l'empressement du Gouvernement sur ce dossier. Il existe un certain nombre d'autorités administratives compétentes dans des domaines particuliers et pour des missions spécifiques. Dans cette constellation, se détache très largement le Médiateur de la République, créé en 1973, comme une variante limitée de l'Ombudsman des Danois. Les titulaires successifs du poste, auxquels nous pouvons rendre hommage, ont su, grâce à leurs efforts, acquérir une vraie reconnaissance. Souvenons-nous du dernier rapport de M. Delevoye sur l'appauvrissement des Français et de l'inquiétant appel qu'il avait lancé à la solidarité envers ces familles qui ne savent pas comment elles vont finir le mois faute de 30 ou 40 euros. Malheureusement, ce rapport important est resté dans les tiroirs de la République, car ce Gouvernement préfère favoriser ceux qui sont déjà privilégiés.

De fait, si l'on avait proposé la constitutionnalisation de la fonction de médiateur, en élargissant sa saisine, en développant ses pouvoirs, en renforçant ses prérogatives, tout le monde aurait sans doute été d'accord. Au lieu de cela, vous avez voulu tout rassembler dans une main et vous supprimez la spécificité du Médiateur.

Dois-je vous rappeler un autre exemple européen, celui de la Constitution espagnole de 1978 ? L'instauration du Défenseur du peuple avait été rendue nécessaire pour une raison simple : le franquisme avait régné sans partage depuis la guerre civile et cela faisait trente ans que l'administration espagnole était sous sa coupe. En 1978, comme il n'était pas question, pour le gouvernement démocratique, de purger l'administration, il fallait bien placer, face à celle-ci, un organe doté de pouvoirs importants. C'est la raison – raison historique tout à fait particulière – pour laquelle le gouvernement espagnol a créé le Défenseur du peuple. La structure administrative de cette institution exemplaire, sur laquelle nous aurions pu prendre exemple, est totalement différente de celle que vous proposez : aux côtés du Défenseur du peuple lui-même, des organes similaires sont présents dans chacune des communautés autonomes, qui sont en fait des provinces dotées d'une complète autonomie.

Encore une fois, ce qui doit nous guider, c'est l'efficacité dans la défense des droits des administrés. À cet égard, la voie que vous avez choisie conduit, si ce n'est à l'impasse, du moins à la confusion et à la bureaucratisation. Chacune des autorités existantes que vous êtes en train de fusionner a acquis, à des titres divers, une reconnaissance nationale et même internationale. Vous avez néanmoins décidé de les supprimer.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui sera absorbé à partir de 2014 dans la nouvelle entité, a été institué par la loi du 30 octobre 2007, après un vote consensuel des deux assemblées. La France reconnaissait ainsi la spécificité des espaces de privation de liberté et s'engageait à faire évoluer les conditions de prise en charge des personnes qui y sont maintenues. L'enjeu était de taille, nous le savons, tant ces espaces fonctionnent de manière dérogatoire au droit commun. Ceux d'entre nous qui ont participé à la commission d'enquête sur les prisons ont pu constater l'étendue des dégâts, si je puis dire. En créant cet organe de contrôle indépendant et spécifique, la France se mettait enfin en conformité avec le protocole additionnel à la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, du 18 décembre 2002, qui établit « un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». L'intégration des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans une autorité héritière de l'actuel Médiateur de la République met pourtant gravement en cause la spécificité d'une autorité voulue par le Parlement il y a tout juste trois ans et dont tous, ici, nous saluons les vertus.

La confusion entre résolution des litiges et prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants est un véritable risque. Héritier de l'actuel Médiateur de la République, le Défenseur des droits aura avant tout une mission de résolution des litiges, c'est-à-dire de médiation : il interviendra comme tiers dans la résolution de conflits entre un individu et une administration. À l'inverse, les fonctions du Contrôleur consistent à contrôler les conditions dans lesquelles des personnes sont privées de liberté, dans un souci de prévention des atteintes aux droits de l'homme ainsi que des traitements inhumains et dégradants. Le Contrôleur général n'a pas vocation à résoudre des situations individuelles mais bien, comme il l'a lui-même indiqué, à « faire un travail de prévention pour empêcher que, dans les établissements privatifs de liberté, les droits fondamentaux des personnes soient méconnus ». La Commission nationale consultative des droits de l'homme a souligné, dans son avis du 4 février 2010 sur le Défenseur des droits, la distinction entre ces deux approches : « La médiation est l'intervention d'un tiers, par la voie du dialogue, de l'incitation et du compromis, pour faciliter la circulation d'informations ou le règlement d'un différend. Le contrôle permet de surveiller la bonne application d'une règle de droit et d'en sanctionner la violation. » Si le Contrôleur général venait à disparaître, c'est l'effort global de transformation des lieux de privation de liberté qui s'en trouverait affaibli. Maintenir la spécialisation du contrôle des lieux de privation de liberté est une nécessité.

Les lieux de privation de liberté sont par nature des espaces particuliers nécessitant des mécanismes de contrôle spécifiques et autonomes. Matériellement et juridiquement clos, les prisons, les centres hospitaliers, les zones d'attente, les locaux de garde à vue et les centres ou locaux de rétention administrative se dissimulent au regard de la société et fonctionnent trop souvent de manière exorbitante du droit commun. On a tout lieu de craindre que le Défenseur des droits ne puisse maintenir le niveau de spécialisation nécessaire concernant la privation de liberté.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme soulignait d'ailleurs dans une note du 20 mai 2008 relative au Défenseur des droits le « risque de dilution des mandats spécifiques attribués à des institutions spécialisées, dans une institution polyvalente et tentaculaire », alors que cette spécialisation est gage d'une meilleure réponse aux besoins de protection des droits de l'homme, notamment en matière d'enfermement : la pertinence du contrôle tient en grande partie à la compétence des contrôleurs et donc à la spécialisation des fonctions de cette instance. Sans la Commission nationale de déontologie de la sécurité, devenue un rouage essentiel de notre vie publique, un certain nombre d'affaires n'auraient pu être révélées. Ses recommandations et ses avis sont notamment à l'origine d'une prise de conscience par les responsables politiques et par l'opinion des problèmes posés par les conditions de la garde à vue, les suicides en prison, l'interpellation et la détention des mineurs, l'usage du Tonfa et du Taser, les fouilles corporelles, la rétention des étrangers. Certaines affaires portées à la connaissance du public ont largement défrayé la chronique et poussé à des réformes indispensables, comme l'a rappelé Lionel Jospin dans une tribune remarquée.

À plusieurs reprises et encore récemment, la Cour européenne de justice ou le comité des droits de l'homme de l'ONU se sont d'ailleurs fait l'écho des mêmes préoccupations que celles exprimées par la CNDS. L'utilité de cette dernière n'est donc plus à démontrer. En supprimant cet organisme, le Gouvernement donne le sentiment détestable de vouloir ne plus agir contre les débordements, emboîtant ainsi le pas au ministre de l'intérieur.

À la différence de ce qui était le cas pour la CNDS, qui comportait des membres élus par le Parlement sur une base paritaire entre la majorité et l'opposition, des membres de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes ainsi que des personnalités qualifiées cooptées – médecins, éducateurs, ex-commissaires de police –, le mode de désignation prévu ne garantit plus l'impartialité subjective et objective de l'institution. Le Défenseur des droits arrêtera ses décisions de façon personnelle, sans collégialité : l'impartialité des avis et recommandations qu'il prendra en souffrira. En outre, ses pouvoirs d'enquête se trouvent limités par rapport à ceux de la CNDS.

Le projet de loi prévoit que les autorités mises en cause par une réclamation pourront interdire au Défenseur des droits toute investigation sur place, en invoquant des motifs tenant à « la sécurité publique » – on a déjà entendu cela au sujet d'autres lois – ou « à des circonstances exceptionnelles » – on l'a déjà entendu pour d'autres lois également. Souvenons-nous de la triste discussion que nous avons eue sur la protection du secret des sources des journalistes. Le projet dispose que, en cas de procédure judiciaire, le secret de l'enquête pourra être opposé au Défenseur, ce qui le privera de l'accès aux pièces du dossier. Enfin, il indique que le Défenseur n'a pas à motiver ses rejets. Voilà donc un contrôleur de la déontologie de la sécurité empêché de tous côtés de contrôler les services de sécurité et un Défenseur des droits qui n'a pas à justifier en droit ses propres décisions ! Dans l'état actuel, la loi organique entraîne donc des régressions inacceptables.

L'institution de défense des droits des enfants existe depuis 2000. Depuis sa création, elle a géré près de 20 000 situations d'enfants dont les droits ont été bafoués ou négligés, et a réalisé des actions de promotion des droits de l'enfant via son réseau de cinquante-cinq correspondants territoriaux et de trente-quatre jeunes civils volontaires, les JADE.

Le Défenseur des enfants intervient – parfois sur saisine directe des enfants eux-mêmes – dans des domaines très sensibles : séparations conflictuelles, enlèvements, placements, séjour en centre de rétention. Ce Défenseur intervient auprès des administrations ou des institutions publiques ou privées, voire auprès des familles, en rappelant le droit français et sa jurisprudence, ainsi que la convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée, en mettant en place des médiations inter-institutionnelles ou familiales, en donnant l'alerte et en promouvant auprès des professionnels et des parents l'intérêt supérieur des enfants dans chaque situation. Dans la plupart des pays européens qui ont des Défenseurs des droits, il existe aussi des Défenseurs des enfants autonomes. Là encore, le regroupement au sein d'un même organisme ne s'explique pas.

En ce qui concerne la HALDE, la situation est pour le moins limpide. Il s'agit, purement et simplement, d'une punition infligée à une institution qui avait fini par irriter la majorité et le plus niveau de l'État. Rappelons les déclarations du président de la commission des lois du Sénat qui, en mars 2010, justifiait les critiques contre la HALDE : « Ils se sont mis au-dessus du Parlement et du Conseil constitutionnel, en 2007, dans l'affaire des tests ADN imposés aux candidats à l'immigration. Ils ont poussé le bouchon un peu loin. »

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