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Intervention de Michel Barnier

Réunion du 1er décembre 2010 à 16h30
Commission des affaires européennes

Michel Barnier, commissaire européen en charge du marché intérieur et des services :

Je connais bien des députés européens, de tous bords, qui consacrent beaucoup de temps à ce travail. Il faut que les députés nationaux et les membres du Sénat s'approprient, eux aussi, ces questions. Il ne suffit pas de transposer les textes – souvent par paquets entiers et nuitamment.

A titre personnel, j'ai été très marqué par l'affaire de la directive dite « Bolkenstein » – j'étais d'ailleurs membre de la Commission qui l'a proposée. Ce texte, qui n'était pas parfait, comme on a pu le constater par la suite, n'a pas fait l'objet de débats lorsque la Commission l'a proposé en janvier 2004, à l'issue d'un compromis, et il n'en a pas été question non plus lors des élections européennes de juin 2004. Il a fallu attendre mai 2005 – j'étais alors ministre des affaires étrangères en France – pour que MM. Emmanuelli et Fabius s'emparent du sujet et que la directive nous explose à la figure. Quel que soit le jugement que l'on porte sur ce texte, en définitive largement amélioré avant d'être approuvé par le Parlement européen à une large majorité – qui comprenait le groupe socialiste, à l'exclusion de quelques-uns de ses membres français –, nous devons tirer les leçons de cette affaire. Il faut que les textes européens fassent l'objet de débats dans les circonscriptions dès que la Commission fait ses propositions. J'ai réalisé une première tentative en ce sens, qui vaut ce qu'elle vaut, à propos de l'Acte pour le marché unique, et je ferai de même pour d'autres textes dans les quatre années à venir. Il faudra que nous vous transmettions les propositions de la Commission, éventuellement accompagnées d'autres supports, tels que des vidéos, afin que vous puissiez organiser des débats, dont il faudra faire « remonter » les résultats vers les députés européens, les ministres et les commissaires.

En matière de propriété intellectuelle, quatre points feront l'objet d'une proposition de stratégie au début de l'année prochaine : la question du brevet, que j'ai déjà évoquée, la gestion des oeuvres orphelines, la gestion des droits d'auteur et la lutte contre la contrefaçon et le piratage. Avec Mme Kroes et d'autres commissaires, notamment celui qui est en charge de la politique des consommateurs, je proposerai un paquet sur ce sujet, et je serai heureux de poursuivre le dialogue.

Même s'il est difficile d'imaginer ce que le passé aurait pu être dans d'autres circonstances, Monsieur Giscard d'Estaing, il est probable que les banques auraient été mises en alerte en Irlande si nous avions disposé de la « boîte à outils » que j'évoquais tout à l'heure ; nous aurions pu diagnostiquer les risques à temps, ce qui nous aurait évité d'avoir à prendre des dispositions pour conjurer une catastrophe. Si nous allons instaurer une régulation intelligente, ce n'est pas pour le plaisir de réguler, mais parce qu'il faut des règles, de la transparence et des limites, y compris pour les rémunérations et les bonus, comme les autorités européennes l'ont décidé, sur proposition de la Commission, dans le cadre de la directive sur les fonds propres réglementaires, « CRD 3 ». Je ne crois pas, en effet, à l'autorégulation des marchés : nous avons besoin de règles. Cette leçon a été bien comprise, me semble-t-il.

Nous suivons très attentivement la question des normes comptables. Celles-ci sont élaborées dans le cadre de l'International Accounting Standards Board (IASB), qui se réunit régulièrement à Londres, à New York et bientôt à Tokyo. Je ne manque aucune de ses réunions, auxquelles je ne regrette jamais de participer. L'organisme est animé par un Board of Trustees, composé de personnalités éminentes du secteur privé, et par un Monitoring Board, qui regroupe des représentants des institutions, tels que Mary Schapiro, au nom de la Securities and Exchange Commission (SEC), ou moi-même, au titre de l'Union européenne. Les normes comptables sont un sujet essentiel, qui fait l'objet de débats. Nous élaborons ensemble ces normes, mais elles ne sont pas appliquées par tous. Je suis particulièrement désireux d'aboutir à une convergence, sans être naïf : je suis bien conscient que le débat avec les Américains pourrait conduire à une divergence. Je ne le souhaite pas, et je ferai tout pour que nous n'en arrivions pas là. Nous travaillons quotidiennement avec l'IASB. Un meilleur état d'esprit, marqué par davantage de confiance mutuelle, règne depuis quelques semaines. J'espère que cela nous permettra d'aboutir à des résultats utiles.

S'agissant de la Banque centrale européenne (BCE), dont je n'ai pas besoin de rappeler les compétences, je veux saluer son président et ses équipes pour leur rôle très positif depuis le début de la crise financière. Nous travaillons naturellement ensemble sur de nombreux sujets, en particulier sur les cartes paneuropéennes de crédit.

En matière de ventes à découvert, un très large ensemble de produits est concerné : les actions, les obligations des entreprises ou encore les titres souverains. Même si le temps des marchés sera toujours plus rapide que celui des démocraties, nous avons prévu des dispositifs extrêmement rapides : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) disposera de vingt-quatre heures seulement pour assurer la coordination des décisions, ce qui est un vrai progrès.

Sans entrer dans les détails, je serai très attentif à ce que nous trouvions les moyens d'assurer la sécurité des chambres de compensation : puisque nous imposons une compensation des produits dérivés, il faudra des infrastructures dotées des normes prudentielles et des sécurités nécessaires pour limiter les risques.

J'en viens au Small Business Act. Vous savez, Monsieur Garrigue, que c'est mon collègue Antonio Tajani qui en a la charge. Notre objectif est d'accélérer l'adoption de dispositions en faveur des petites et moyennes entreprises. Dans le cadre de mon mandat, j'entends faciliter l'accès de ces entreprises aux marchés publics et réduire les lourdeurs administratives, notamment en matière d'obligations comptables. Je souhaite également faciliter l'accès des PME aux marchés financiers : nous travaillons sur l'idée d'une bourse européenne, voire d'un réseau de bourses pour les PME – des dispositions intéressantes sont en vigueur dans ce domaine à la bourse de Stuttgart.

La régulation des agences de notation, évoquée par Didier Quentin, se fera en trois étapes.

La première, qui a été engagée à l'initiative de mon prédécesseur, a fait l'objet d'une décision et sera totalement mise en oeuvre à compter du 7 décembre. Elle consiste à demander à ces agences de s'inscrire auprès des régulateurs nationaux sur le continent européen, ce qui emportera soumission aux législations nationales et européenne. L'instauration de plus de transparence permettra de mieux comprendre leur méthodologie et de limiter les risques de conflits d'intérêts.

Une deuxième étape, que j'ai proposée il y a quelques mois, sera probablement franchie dans les jours qui viennent : il s'agit de placer toutes ces agences, y compris les agences américaines, au nombre de deux parmi les trois principales, sous l'autorité de l'ESMA à compter du 1er janvier prochain. L'ESMA jouera donc un rôle très important, comme les deux autres autorités européennes. A l'instar des Etats-Unis, nous allons imposer la transparence sur les produits financiers intégrés qui sont notés par les agences : les éléments utilisés pour la notation devront être communiqués aux autres agences. Notre volonté est de ne jamais être moins rigoureux que les Américains.

Après avoir ouvert une consultation, je travaille maintenant à une troisième phase qui consisterait à limiter encore les risques de conflits d'intérêts et à augmenter la diversité et la concurrence : il n'est pas normal qu'un marché aussi important que la notation soit concentré entre si peu de mains. Nous voulons favoriser la création d'une ou de plusieurs nouvelles agences, et nous allons probablement travailler sur la façon de noter le plus objectivement possible les dettes souveraines – ce n'est pas la même chose de noter une entreprise ou un produit que de noter un Etat. Une autre question est de savoir si l'on ne pourrait pas redéfinir la place de la notation dans le système financier : son utilisation systématique et généralisée, qui plus est dans un marché aussi peu concurrentiel, pose un problème.

En réponse à Jean-Yves Cousin qui m'interrogeait sur la convergence entre la loi Dodd-Frank et l'action engagée en Europe, je rappelle que nous mettons en oeuvre un agenda décidé au plus haut niveau, à savoir celui des chefs d'Etat et de gouvernement du G20. Chacun a ses méthodes : les Américains ont adopté une « loi chapeau » ou « parapluie » de 1 500 pages, dont la mise en oeuvre sera progressive ; notre méthode consiste à adopter des législations spécifiques ou sectorielles, que nous avons regroupées dans l'agenda du 2 juin dernier. Nous actualiserons celui-ci en janvier afin de mettre en évidence les progrès réalisés. Depuis juin, deux votes importants ont déjà eu lieu, l'un sur la supervision et l'autre sur les private equities et les hedge funds.

Je me garderai bien d'ouvrir le débat sur l'étalon-or, Madame Grosskost. Je dirai seulement que toutes les idées sont utiles. Le Président de la République, qui préside actuellement le G20, a bien fait de poser la question de la stabilité monétaire. Le rôle du G20 est de favoriser une meilleure gouvernance dans ce domaine. Il ne me semble pas que les Européens pourront durablement accepter de constituer la variable d'ajustement : je crois que la Chine, qui est un pays majeur, aura à coeur d'assumer ses responsabilités, comme le font les Américains, en vue d'assurer la stabilité sur les marchés financiers et monétaires. Cette stabilité est indispensable pour tout le monde, en particulier pour les entreprises.

En matière de concurrence, Monsieur Philippe Armand Martin, je pense que la reconstruction ou la consolidation de l'industrie financière sur des bases saines – beaucoup plus saines, en tout cas, qu'au cours des quinze dernières années – constitue un avantage compétitif pour l'Europe. Je l'ai dit à Londres, et je le répète aujourd'hui à Paris. Même si ce n'est pas facile et même s'il est tentant de continuer le business as usual, il est dans l'intérêt de l'Union européenne de pouvoir s'appuyer sur de bonnes dispositions de régulation. Par ailleurs, nous devons conserver notre temps d'avance en matière de sécurité alimentaire, de sécurité écologique des produits et de garanties pour les consommateurs. Nous devons « exporter », si je puis dire, certaines politiques et certaines méthodes dans ce domaine.

Pour autant, il ne faut pas être naïf : je suis soucieux de réciprocité – ce n'est un gros mot ni à Bruxelles ni ici. Avec mon collègue Karel de Gucht, j'ai clairement indiqué aux Etats-Unis et à d'autres que le temps où l'Europe ouvrait ses marchés en toute confiance alors que les autres pays, qui venaient commercer chez nous, nous fermaient les leurs, est désormais révolu. Nous allons proposer de transposer l'accord international sur les marchés publics, l'accord GPA, afin de garantir la réciprocité et d'interdire, le cas échéant, nos marchés aux pays qui ferment les leurs à nos entreprises.

Sur la question de l'harmonisation fiscale, posée par M. Muet, vous pourrez utilement saisir mon collègue Algirdas Šemeta.

Le Président Pierre Lequiller. Nous l'avons auditionné en Commission.

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