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Intervention de Michel Barnier

Réunion du 1er décembre 2010 à 16h30
Commission des affaires européennes

Michel Barnier, commissaire européen en charge du marché intérieur et des services :

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux d'avoir l'occasion de revenir à l'Assemblée nationale où j'ai eu l'honneur de siéger, à vos côtés, pendant une vingtaine d'années. Sachez que ma disponibilité pour dialoguer avec vous est totale, ici ou à Bruxelles, où il y a toujours intérêt à se rendre, pour rencontrer tel ou tel membre de la Commission européenne, ou tel ou tel directeur général. A toutes fins utiles, je rappelle que je ne représente pas la France, même si c'est la première fois en cinquante ou soixante ans qu'un Français est nommé à ce poste, et même si cette nomination a suscité un certain émoi, qui s'est d'ailleurs largement apaisé.

Le domaine qui m'est confié se divise en deux grands pôles : le pôle de la régulation et de la supervision financières, et celui du marché unique, qui se fonde sur les quatre libertés de circulation – des personnes, des marchandises, des services et des capitaux – et comprend aussi les marchés publics et la propriété intellectuelle. Depuis une dizaine de mois, je m'efforce d'oeuvrer sur tous ces fronts en mettant au service de mon action une capacité d'enthousiasme, et éventuellement d'indignation, qu'il ne faut jamais perdre quand on fait de la politique – et les commissaires restent des politiques.

La construction européenne est arrivée à un moment de vérité. Elle est interpellée de l'extérieur par la montée de très grandes puissances, d'Etats à l'échelle d'un continent, qui ne demandent plus la permission – ainsi, les négociations de Doha ont été bloquées par l'Inde qui n'a pas hésité à afficher son désaccord avec les Etats-Unis – et qui n'ont besoin de personne, contrairement aux pays européens qui ont, eux, besoin d'être ensemble. Nous affrontons également des crises profondes telles que le changement climatique, la crise alimentaire qui se poursuit et, depuis deux ans, la crise financière, d'une violence inouïe.

Les défis internes ne manquent pas non plus, à commencer par le rejet de la Constitution européenne par le peuple français qui a clairement montré la divergence entre le projet européen tel qu'il se construit et les citoyens. C'est d'ailleurs une des raisons qui m'a poussé à demander à revenir à Bruxelles pour participer à un changement allant dans le sens d'une plus grande proximité avec les citoyens. Je me suis fixé deux objectifs stratégiques que j'ai exposés en janvier devant le Parlement européen : remettre les services financiers et les marchés au service de l'économie réelle ; et, en même temps, remettre l'économie réelle et le grand marché unique qui la sous-tend au service de la croissance et du progrès humain. Ce double objectif restera le mien jusqu'à la fin de mon mandat et c'est à cette aune que je vous demande de mesurer mon action.

Remettre les marchés au service de l'économie signifie remettre des règles, de la régulation, des limites, de la transparence et même de la morale, voire de l'éthique, là où elles avaient disparu. Très tôt, sous l'impulsion du Président de la République française et d'autres chefs d'Etat comme Mme Merkel, le G20 s'est saisi des problèmes en suspens. Souvenez-vous de Washington, Londres, Pittsburgh… Aucun marché financier, aucun acteur financier, aucun produit financier, aucun territoire ne doit rester à l'écart d'une régulation intelligente et d'une supervision efficace. Telle est la feuille de route du G20, qui est aussi la mienne. Je suis déterminé à la mettre en oeuvre le plus rapidement possible mais sans improvisation compte tenu de la complexité du sujet. C'est l'occasion de rendre hommage à mon équipe, restreinte et compétente – un commissaire européen est épaulé par sept conseillers et un porte-parole –, en n'ayant garde d'oublier la direction générale du marché intérieur, qui travaille à flux tendus sur tous ces sujets.

J'ai passé beaucoup de temps à créer un cadre global pour la supervision. La crise que nous avons traversée a été une crise de liquidité, mais aussi de la supervision, qui a failli un peu partout. C'est la raison pour laquelle le Président Barroso avait demandé au groupe de travail présidé par Jacques de Larosière de faire des propositions pour une architecture européenne de la supervision. Elles ont ensuite été traduites en propositions législatives par la Commission et, il y a quelques semaines, le conseil des ministres à l'unanimité, et le Parlement européen à la quasi-unanimité de ses groupes politiques, ont approuvé la création des trois autorités européennes de supervision – pour les banques, les assurances et les marchés –, et, au-dessus de ces trois écrans radars, d'une tour de contrôle : le Conseil européen des risques systémiques. Le 1er janvier, nous disposerons enfin de cette architecture européenne et nous allons la meubler, élément par élément – produit par produit, secteur par secteur.

Je ne puis agir qu'avec l'accord conforme du conseil des ministres et du Parlement européen, dont vous savez qu'ils ont désormais une responsabilité équivalente. Or, à l'unanimité du premier et à une très large majorité du second, nous avons obtenu il y a quinze jours, un deuxième vote important. Il a porté, et c'était une première, sur un pan entier des marchés financiers : les hedge funds et le private equity.

Produit par produit, secteur par secteur, marché par marché, nous allons donc réguler partout où c'est nécessaire. J'ai proposé au mois de septembre deux régulations lourdes, dossiers qui avancent plutôt bien dans le circuit législatif : la régulation des produits dérivés – ce sont 600 000 milliards de dollars qui échappent à la régulation – et, parallèlement, la régulation et la supervision des ventes à découvert, notamment à nu. La deuxième étape de la régulation des agences de notation progresse assez rapidement et je viens d'ouvrir le débat public sur la régulation des sociétés d'audit. Au terme d'un débat, public également, nous réviserons au début de l'année prochaine la fameuse directive sur les marchés financiers qui, bien qu'utile, a eu des effets négatifs qui doivent être corrigés. En réexaminant prochainement la directive sur les abus de marché, nous renforcerons les sanctions. Etant attaché à la culture de la prévention des risques et de la prévoyance, j'ai fait au conseil des ministres des propositions pour prévenir les crises et faciliter leur résolution au sein des banques. Des outils d'alerte et des modalités d'intervention seront prévus en interne pour éviter, d'une part, le déclenchement d'une crise, d'autre part, que celle-ci ne se transforme en catastrophe que le contribuable doive finalement payer. C'est aux banques de payer pour les banques !

Autre domaine essentiel, la réglementation prudentielle. Le comité de Bâle, qui travaille en liaison avec le G20 et le Financial Stability Board, vient d'élaborer des normes de fonds propres qui s'appliqueront aux établissements bancaires. Ses propositions, qui auront à être traduites en directives, doivent assurer la sécurité du système financier sans peser sur la reprise de la croissance : en Europe en effet, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, ce sont les banques qui couvrent les deux tiers, voire les trois quarts, des besoins de financement de l'économie.

J'ai l'intention de déposer la totalité des textes pris en application des orientations du G20 sur le bureau du conseil des ministres et du Parlement européen à la fin du mois de juin prochain.

J'insiste sur la nécessité dans laquelle l'Europe se trouve d'agir en bonne intelligence et parallèlement avec les autres régions du monde parties prenantes au G20, en coopérant avec elles, en confiance mais sans naïveté. Je passe ainsi beaucoup de temps aux Etats-Unis pour veiller à la cohérence de notre action – le cadre législatif n'est pas le même – et à sa synchronisation. J'ai ainsi rencontré M. Geithner et les régulateurs américains. Je suis aussi allé à Chicago voir fonctionner les marchés à terme de matières premières. Nous devons impérativement traduire nos engagements du G20 dans des délais voisins pour ne pas créer de distorsion de concurrence ou encourager à nouveau l'arbitrage réglementaire, aux conséquences désastreuses. Pour le moment, nous avançons parallèlement même si nos méthodes ne sont pas les mêmes, les Américains ayant opté pour une loi globale, le Dodd-Frank Act, et, nous, Européens, pour des textes séparés.

Une fois le secteur financier remis au service de l'économie réelle, nous attaquerons le deuxième chapitre consacré au grand marché dont le bon fonctionnement doit servir le progrès humain et la croissance que les citoyens attendent.

Le professeur Monti, qui a été commissaire successivement au marché intérieur et à la concurrence, a dressé un constat très lucide sur le marché intérieur, pierre angulaire du projet européen. En 1950, Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer et quelques autres hommes politiques courageux ont compris que, pour assurer une paix et une démocratie durables, il fallait avoir non seulement envie d'être ensemble, mais aussi y trouver un intérêt ; d'où la première étape de la mutualisation des ressources en charbon et en acier. D'étape en étape, de 1957 à 1992, nous sommes parvenus au marché unique, sous l'impulsion notamment de Jacques Delors. Il ne faudrait pas que son vingtième anniversaire soit célébré dans la nostalgie et la mélancolie. C'est pourquoi nous avons décidé de le relancer en nous inspirant des propositions de Mario Monti, en débloquant les verrous qui empêchent les Européens de mieux échanger, de mieux créer, de mieux entreprendre ensemble.

Si le marché unique, qui compte 500 millions de consommateurs et 21 millions d'entreprises, fonctionnait mieux, nous pourrions trouver chez nous en Europe deux, trois, voire quatre points de croissance supplémentaires en quelques années. Nous n'avons pas le droit de ne pas les chercher là où ils sont et de décevoir les attentes des citoyens. Tel est l'objet du Single Market Act, de l'Acte pour le marché unique, que la Commission a approuvé le 27 octobre. Nous lançons le débat en adressant dans leur langue à tous les parlementaires nationaux, à toutes les régions, à toutes les forces économiques et sociales européennes, un petit livre bleu, et en demandant à tous de nous faire part de leurs remarques et de leurs idées pour améliorer le marché intérieur. Ce document décline nos propositions, d'inégale importance, en trois grands chapitres.

Le premier est consacré à la compétitivité des entreprises, à la capacité d'innovation. J'espère parvenir à débloquer le dossier du brevet européen, question en suspens depuis trente ans. Déposer un brevet européen coûte dix fois plus cher qu'aux Etats-Unis. La conséquence est que les porteurs d'innovation ne se protègent pas correctement, sauf dans quelques pays, ce qui laisse ailleurs le champ libre aux produits contrefaits grâce à nos inventions. Voilà un exemple des obstacles à lever pour libérer la compétitivité.

J'ai la conviction que, pour gagner la bataille de la croissance et de la compétitivité, chaque entreprise est nécessaire, mais aussi chaque citoyen. Le deuxième chapitre s'adresse donc à celui-ci, en tant qu'acteur – entrepreneur, artisan, travailleur ou consommateur, épargnant ou actionnaire – de la vie économique.

Le troisième chapitre concerne la gouvernance, le dialogue social, le partenariat avec les régions, la mise en oeuvre de la législation européenne, les études d'impact.

De manière assez inhabituelle, nous mettons ce projet en débat pendant quatre mois, de façon que les parlements nationaux fassent remonter leurs idées. La Commission n'entend donc pas imposer ce texte. Au mois de février, nous arrêterons la liste définitive de nos propositions et les commissaires concernés par ces propositions s'engageront à leur donner corps en deux ans.

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