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Intervention de Jean-Paul Bacquet

Réunion du 22 décembre 2010 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Bacquet, président de la Mission d'information :

La France est parmi les tout premiers contributeurs de l'aide publique au développement. Elle se place, selon l'OCDE, en volume, au deuxième rang derrière les Etats-Unis, et au 11e rang en terme de RNB. Nous y consacrons en effet des sommes considérables, puisque nous avons déclaré au Comité d'aide au développement, CAD, quelque 8,9 milliards d'euros à ce titre en 2009.

Cela étant, nous avons aussi en mémoire les conclusions du rapport au Premier ministre de notre collègue Henriette Martinez, qui avait notamment mis en lumière la complexité du système, parfois son incohérence, et la difficulté de lire cette politique publique. Surtout, nous avons tous le sentiment diffus que notre APD transite aujourd'hui essentiellement par nos contributions aux institutions multilatérales ou européennes et que ce déséquilibre a conduit à une perte de nos marges de manoeuvre, comme de l'influence et de la visibilité que notre pays retirait auparavant de son action, préoccupations qui ont motivé la constitution de cette Mission.

Je laisserai naturellement à Nicole Ameline la primeur de la présentation des conclusions de la Mission, mais je voudrais vous détailler notre démarche et l'architecture générale du rapport.

Nous avons auditionné à Paris plus d'une trentaine de personnalités et de spécialistes de l'aide au développement et nous avons effectué cinq déplacements, au Vietnam, en Tunisie, aux Etats-Unis, en République démocratique du Congo, ainsi qu'à Bruxelles. Ce choix de destinations traduit notre approche : il était en premier lieu essentiel que nous nous rendions sur place pour entendre ce que les pays bénéficiaires de notre aide ont à nous dire de notre politique de coopération, connaître le regard qu'ils portent sur ses instruments, et l'appréciation qu'ils ont de l'action des autres acteurs de l'aide internationale et notamment des institutions multilatérales, en termes de réponse à leurs attentes et d'efficacité.

Nous avons choisi trois pays différents et avec lesquels nous avons des liens étroits : le Vietnam, en premier lieu, futur pays émergent, et la Tunisie, pays en transition et très proche de nous. Les enjeux et les problématiques de développement y sont différents, mais la relation avec la France est dans chaque cas forte et elle conditionne la nature de la coopération qu'on y met en oeuvre. La République démocratique du Congo, ensuite, géant de l'Afrique, premier pays francophone, en sortie de crise, - si ce n'est même toujours en crise -, et encore aujourd'hui dans la catégorie des pays les moins avancés. Les perspectives y sont évidemment tout autres, ce qui affecte la nature même de la coopération que l'on peut avoir et des instruments que l'on peut mettre en oeuvre.

Les autres déplacements avaient surtout pour finalité d'étudier en détail le multilatéral. Nous avons pour cela rencontré les autorités des principales organisations internationales qui interviennent dans le champ de l'APD : aux Etats-Unis, le système des Nations Unies, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement ainsi que le FMI. Nous avons profité de notre séjour à Washington pour rencontrer les responsables de l'agence américaine de développement, l'USAID, le Département du Trésor, le Département d'Etat, le Congrès ou encore la Fondation Bill et Melinda Gates, qui est devenue un acteur fondamental de l'aide au développement au niveau mondial et engage des budgets aujourd'hui équivalents à ceux de l'OMS.

Notre déplacement à Tunis était également motivé par la présence de la Banque africaine de développement qui y a transféré « provisoirement » son siège d'Abidjan il y a bientôt une dizaine d'années en attendant la fin des troubles en Côte d'Ivoire. Enfin, nous avons fait le déplacement de Bruxelles pour nous entretenir avec les responsables de la politique européenne de coopération qui représente une part majeure de nos contributions.

J'ajoute que nous avons aussi systématiquement cherché à rencontrer les responsables des autres coopérations bilatérales et multilatérales sur le terrain, de manière à pouvoir comparer leurs perceptions sur la thématique de l'articulation entre bilatéralisme et multilatéralisme et entendre leurs analyses sur nos préoccupations. Nous avons ainsi pu recueillir les impressions des autorités de la Banque asiatique de développement et du ministère britannique de la coopération, (DFID), au Vietnam, celles des ambassadeurs belge, chinois et britannique en RDC, ainsi que du représentant de la Banque mondiale en Tunisie.

Le rapport que les membres de la Mission ont adopté lors de leur dernière réunion, se présente en trois parties.

La première partie propose une mise en situation et en perspective de l'APD. Il nous a en effet tout d'abord paru nécessaire de remettre l'aide au développement dans son contexte historique et de commencer par présenter les origines des politiques d'aide au développement telles qu'elles ont été instaurées après les indépendances et telles qu'elles ont depuis lors évolué.

Il était opportun de rappeler que l'APD est une politique publique qui repose, dans l'ensemble des pays occidentaux, sur deux piliers parallèles : la solidarité internationale du Nord envers le Sud, d'une part, et la politique de sécurité nationale et d'intérêt national d'autre part. La solidarité internationale a été réaffirmée avec force au tournant des années 2000 avec l'adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement par l'Assemblée générale des Nations Unies. Ces objectifs se sont alors imposés pour donner à la coopération internationale une tonalité nette en faveur de la réduction de la pauvreté, qu'elle n'avait pas auparavant. Ils constituent depuis plus de dix ans les critères sur lesquels les efforts des bailleurs sont jugés. Le sommet qui s'est tenu à New York en septembre dernier a rappelé avec force l'engagement de la communauté internationale vers ces objectifs pour qu'ils soient atteints d'ici à 2015 et elle a appelé à un effort plus soutenu, compte tenu des retards pris sur certaines thématiques et dans certaines régions, notamment en Afrique subsaharienne. La sécurité nationale et l'intérêt national, seconde dimension de cette politique, n'ont jamais été absentes des préoccupations de l'ensemble des pays qui contribuent à l'aide au développement et elle est même aujourd'hui de nouveau au coeur des réflexions et des réformes des politiques d'aide que certains pays engagent actuellement.

En outre, les profondes mutations que le monde a connues ces dernières années ont eu un impact direct sur les enjeux de l'APD qui ont considérablement évolué. La problématique du bilatéralisme et du multilatéralisme s'en est trouvée à son tour affectée. Sur fond de mondialisation, certaines thématiques nouvelles ont surgi, comme celle des Biens publics mondiaux, du changement climatique ou de la lutte contre certaines pandémies, pour lesquelles on sait que l'action collective est plus pertinente. C'est précisément la raison pour laquelle depuis près d'une dizaine d'années, la réflexion internationale s'est renforcée autour des thèmes de la cohérence entre les instruments, de la coordination des bailleurs, de l'efficacité de l'aide, de la prise en compte des besoins des bénéficiaires, réflexion qui s'est traduite par l'adoption de divers engagements internationaux sur ces questions, soit dans le cadre européen, soit au plan mondial, comme lors des conférences de Monterrey en 2002, de Rome en 2003 ou de Paris en 2005.

Si les préoccupations quant à l'efficacité de l'aide ou à la coordination sont anciennes, ce n'est que tout récemment qu'elles ont commencé à véritablement déboucher sur des perspectives nouvelles et sur des changements importants touchant aux modalités de l'aide et à sa gouvernance, difficultés budgétaires des bailleurs obligent. Et ce n'est pas un hasard si le G20 se saisit aussi aujourd'hui des thématiques de développement.

La question de l'équilibre entre bilatéralisme et multilatéralisme ne peut par conséquent pas se résoudre d'un trait de plume, en poussant simplement le curseur vers l'un ou l'autre. Des tendances lourdes sont à l'oeuvre au niveau mondial dont notre réflexion ne pouvait pas ne pas tenir compte. Elles commencent à marquer l'aide internationale d'une manière déterminante et l'on sait désormais que le multilatéralisme et le bilatéralisme sont bien plus complémentaires qu'antagoniques et qu'ils ont chacun leur utilité.

Sur cette toile de fond, la deuxième partie du rapport se devait d'analyser en détail la structure de la politique française d'aide au développement. Notre pays est l'un des tous premiers acteurs au niveau mondial, que ce soit par la géographie de son aide, le montant global des financements qu'il y consacre, les thématiques qu'il couvre ou le rôle qu'il joue. Cela devait être rappelé, mais l'analyse détaillée montre surtout que notre politique d'aide présente certaines singularités par rapport à celles de nos principaux partenaires. De sorte que, indépendamment des éléments de contexte international, si déséquilibre il y a dans notre politique d'APD, c'est surtout du fait des instruments que l'on a privilégiés. L'analyse à laquelle nous nous sommes livrés nous a conduit à porter des conclusions assez sévères qu'au sein de la Mission, nous partageons tous. Car malgré certains efforts et réformes entrepris par le gouvernement ces dernières années, notre politique d'aide au développement reste fortement déséquilibrée sur de multiples aspects, et souvent même illisible, pas seulement sur la seule question du multilatéralisme et du bilatéralisme. Les structures qui en sont chargées sont éparses, l'architecture appellerait à être resserrée pour une meilleure coordination sur le terrain, tout comme au niveau de la définition et du pilotage politiques. Les instruments de notre aide sont eux-mêmes déséquilibrés, de telle sorte que, entre le discours, les ambitions affichées et la réalité, on note des contradictions qui portent elles-mêmes préjudice à la cohérence de notre action et à sa visibilité. Le choix de privilégier certains outils, les prêts sur les dons, notamment, nous conduit à délaisser de facto les pays les plus pauvres au profit des pays solvables, en contradiction avec les priorités géographiques que nous affirmons avoir envers l'Afrique subsaharienne. Vous lirez aussi nos analyses sur les secteurs de la santé, de l'eau et de l'assainissement, qui mettent en lumière les contradictions qui surgissent entre nos engagements et notre action, par le simple choix de nos instruments d'intervention. Ces déséquilibres-là nous ont semblé être d'une importance majeure pour notre propos, dans la mesure où ils renforcent le seul déséquilibre entre le multilatéralisme et le bilatéralisme.

En d'autres termes, par comparaison avec la politique d'aide au développement que mènent nos principaux partenaires, c'est surtout l'ensemble de l'architecture, les contradictions et les incohérences aux effets cumulatifs qui nous semblent poser problème, et pas seulement un déséquilibre en faveur du multilatéralisme.

Enfin, nous avons essayé de tracer quelques pistes pour que le développement, comme le dit son intitulé, soit un élément structurant de notre politique étrangère et nous avons élaboré un grand nombre de recommandations. Nous proposons certaines pistes pour aller vers un meilleur équilibre entre le multilatéralisme et le bilatéralisme, mais nous essayons aussi de voir les moyens de mieux tirer profit du multilatéralisme auquel nous participons, auquel nous ne pouvons bien sûr pas renoncer et dans lequel nous ne pouvons qu'être de plus en plus présents, compte tenu des dynamiques qui sont en marche. La logique de l'évolution en cours, les enjeux qui s'imposent obligent à être partie prenante des instruments multilatéraux. Il s'agit donc de savoir mieux les investir pour pouvoir tenir le rôle que l'on entend y jouer et que l'on attend de la France, que ce soit dans l'espace européen ou au niveau global. Cela suppose aussi, si l'on entend y exercer une meilleure influence et en retirer une meilleure visibilité, de remettre de l'ordre dans notre aide bilatérale.

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