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Intervention de Bertrand Mathieu

Réunion du 21 décembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Bertrand Mathieu :

Je suis très honoré de me trouver vous à la suite de la proposition faite par M. le Président de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature. Après m'être présenté à vous, je voudrais vous faire part des raisons qui motivent mon vif intérêt pour cette fonction.

Âgé de 54 ans, j'ai fait une carrière universitaire classique : docteur en droit en 1985, agrégé de droit public en 1988, j'ai été successivement professeur à l'Institut d'études politiques de Lyon, à l'Université de Dijon et, depuis maintenant un peu plus de dix ans, à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Permettez-moi de rappeler que j'avais envisagé de consacrer ma thèse de doctorat à l'indépendance de la justice en droit constitutionnel français. Conscient de l'immensité de la tâche, j'avais finalement circonscrit mon sujet aux lois de validation, lesquelles ont constitué un poste d'observation particulièrement intéressant des relations entre les juridictions et le Parlement. Comme je me suis par la suite spécialisé en droit constitutionnel, cette question est restée au coeur de mes activités de recherche. Je suis personnellement convaincu qu'il existe aujourd'hui un pouvoir juridictionnel, nonobstant la référence de la Constitution à une autorité, et indépendamment des craintes ou des espoirs que l'émergence d'un tel pouvoir peut faire naître.

En plus de mes activités de recherche, mes fonctions universitaires m'ont conduit à réfléchir, dans d'autres cadres, à l'évolution des institutions et à la place qu'y occupe la justice. J'ai ainsi été membre de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République en 2002, et membre du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République en 2007 ; à cet égard je serais très heureux que vous approuviez la proposition de M. le Président de l'Assemblée nationale de traduire dans la pratique les réflexions de ce comité sur le CSM.

Je suis actuellement membre du comité de suivi de la question prioritaire de constitutionnalité, établi en partenariat entre le ministère de la justice et l'Association française de droit constitutionnel. J'ai eu l'honneur d'être auditionné à de nombreuses reprises, sur des questions constitutionnelles, par des commissions parlementaires, et notamment par la vôtre.

En tant que président de l'Association française de droit constitutionnel, je tente de mener de front trois priorités : le développement de la recherche en droit constitutionnel, notamment chez les jeunes chercheurs ; les relations avec les pouvoirs publics et les juridictions ; les relations avec les constitutionnalistes étrangers. De ce dernier point de vue, ma participation au comité exécutif de l'Association internationale de droit constitutionnel, ainsi qu'au comité de direction de l'Organisation européenne de droit public, pourra être mise à profit pour prendre en compte des éléments de droit comparé.

Outre mes activités doctrinales, éditoriales et de formation, j'ai participé au jury du concours national d'agrégation et fait partie, pendant plusieurs années, du Conseil national des universités, qui est chargé tant du recrutement que de la carrière des enseignants-chercheurs ainsi que des questions disciplinaires, ce qui constitue bien entendu une expérience de délibération collective.

J'ai également élargi le champ de mes activités aux questions de bioéthique, qui, outre leur intérêt propre, sont un champ d'interaction entre les questions juridiques, les questions sociales et les références à un système de valeurs. C'est un domaine, là encore, où la réflexion collégiale est particulièrement importante.

Enfin, l'une des premières qualités que je me permettrai de revendiquer devant vous est l'indépendance ; non seulement l'indépendance statutaire du professeur d'université, mais aussi l'indépendance d'esprit. Homme de conviction, j'ai toujours tenté de ne pas être prisonnier de préjugés ; passionné par la vie politique, j'ai fait le choix de me garder d'un engagement partisan qui aurait pu affecter, ou plus exactement donner l'impression d'affecter, ma liberté d'expression.

Mon engagement dans la vie de la cité s'est cependant concrétisé par l'exercice d'un modeste mandat de conseiller municipal dans ma petite commune de Bourgogne, mandat trois fois renouvelé que j'exerce depuis plus de vingt ans. Je ne vous cacherai pas que la perspective de devoir l'abandonner constituerait mon seul regret.

J'en viens à quelques observations générales sur la conception que je me fais de la justice.

Je suis convaincu que nous sommes à un moment où s'opère, en France comme ailleurs, une véritable séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir juridictionnel, séparation qui a tendance à transcender les autres. Que l'on y soit favorable ou hostile, on ne peut, me semble-t-il, ignorer cette réalité. De ce point de vue, il convient d'abord de considérer que l'indépendance des magistrats est une absolue nécessité, et qu'elle doit s'exercer dans le strict respect des règles constitutionnelles et européennes. Non seulement l'indépendance des magistrats est constitutionnellement et conventionnellement protégée, mais elle représente la pierre angulaire du système constitutionnel tel qu'il découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, lequel articule séparation des pouvoirs et garantie des droits.

Par ailleurs, j'estime qu'une autonomie totale de l'autorité judiciaire, devenue de fait un pouvoir, serait dangereuse. La question de la responsabilité, inséparable du pouvoir, est dès lors posée, mais aussi celle des relations de la justice avec les autres pouvoirs. Il me paraît notamment essentiel que soit assuré le respect du pouvoir normatif du Parlement, et celui des prérogatives du Gouvernement en ce qui concerne la détermination et la conduite de la politique, notamment pénale. La démocratie, telle que nous la concevons aujourd'hui, exige à la fois des systèmes de contre-pouvoirs et des mécanismes de responsabilité. La justice ne peut échapper à cette logique. Si le juge n'est plus la bouche qui dit les paroles de la loi, il ne peut se substituer au législateur dans la détermination de l'intérêt général – ce qui constitue le coeur même de la fonction politique. En revanche, l'État de droit dont le juge est le garant fixe à l'exercice du pouvoir politique un cadre, à la fois procédural et substantiel, s'agissant du respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Si ce rappel peut sembler bien théorique, voire scolaire, il concerne le cadre dans lequel doivent être appréciées tant la fonction juridictionnelle que l'indépendance des juges.

Par ailleurs, par-delà les garanties institutionnelles, l'indépendance du juge implique le respect du droit et la mise à distance des préjugés, qualités essentielles à l'exercice des fonctions judiciaires, à côté de celles combinant le caractère et l'humanité.

De mon point de vue, le CSM est le garant de l'indépendance du juge, tant dans sa dimension institutionnelle que dans sa dimension personnelle. Il est également un organe de recours pour les justiciables – et la faculté qui leur est donnée de le saisir est une novation majeure.

C'est en affirmant son indépendance, mais aussi du fait de sa composition diversifiée, que le CSM pourra assurer ses différentes missions, qu'il s'agisse de la carrière des magistrats, du respect des principes déontologiques ou, le cas échéant, de réflexions et de conseils sur le rôle et l'organisation de la justice.

En fait, la garantie de l'indépendance des juges a pour unique finalité la protection des droits des justiciables dans le respect des intérêts de la société. Ce sont les citoyens et les justiciables qui doivent constituer le point de référence de toute réflexion sur le fonctionnement et l'organisation de la justice. À cet égard, une réflexion d'ensemble s'impose. Nous sommes à une période de bouleversements, du fait, notamment, du développement de jurisprudences concernant tant la procédure pénale que le statut et le rôle du parquet. L'empilement des textes est toujours préjudiciable à la sécurité juridique et à la cohérence ; il convient sans doute de prendre le temps d'une analyse globale des enjeux, des contraintes et des objectifs.

C'est dans cet esprit, mais avec beaucoup de modestie et de pragmatisme, que j'aborderai mes fonctions au sein du CSM, si vous m'honorez de votre confiance.

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