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Intervention de Jean-Pierre Marcon

Réunion du 21 décembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Marcon :

C'est un grand honneur pour moi de me présenter devant vous en qualité de candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature. Je mesure comme un privilège de pouvoir dialoguer avec la représentation nationale sur un sujet de première importance comme la magistrature ; je suppose qu'elle sera, autant et plus que ma personne, au centre de cette audition. Je vais néanmoins indiquer brièvement les points saillants de mon parcours professionnel et les raisons de mon intérêt pour le sujet.

Ma carrière, déjà longue puisque j'ai 65 ans, est essentiellement celle d'un professeur, qui a choisi rejoindre l'université par goût de la libre recherche intellectuelle et qui s'y est trouvé bien, tout en étant appelé de temps en temps à sortir des amphithéâtres pour remplir d'autres missions de service public relevant davantage de l'administration active.

Après mes études supérieures aux facultés de droit et des lettres et à l'Institut d'études politiques de Paris, j'ai parcouru le cursus normal des juristes universitaires. Celui-ci passait à mon époque par l'assistanat et le doctorat d'État. J'ai ensuite été nommé, à l'issue du concours d'agrégation de droit public, professeur à l'université d'Auvergne, où je suis resté jusqu'en 1987. Depuis lors, je suis en poste à l'université Paris Descartes (Paris V). J'y ai enseigné le droit constitutionnel et l'histoire de la pensée politique. Élu doyen il y a quelques années, je dirige la faculté de droit de cette université, ainsi que son centre de recherche en droit public. À un autre titre, plus littéraire, je suis aussi, à la Sorbonne, « directeur d'études cumulant » à l'École pratique des Hautes Études et titulaire de la chaire d'histoire des institutions européennes.

Parallèlement à mon activité universitaire, j'ai été amené, depuis de nombreuses années, à exercer différentes responsabilités. J'ai été conseiller au cabinet de René Monory, président du Sénat, pour les questions juridiques et institutionnelles – ce qui m'a permis d'assister en spectateur privilégié, mais pas tout à fait inactif, à la rénovation du Conseil supérieur de la magistrature par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993. J'ai occupé également, depuis vingt-cinq ans, des fonctions dans l'administration de la recherche : à deux reprises au ministère, rue Descartes, comme chef de département ou directeur scientifique, et à la direction du CNRS, pour les sciences de l'homme et de la société. Mon intérêt pour la matière n'a d'ailleurs pas faibli puisque je suis depuis 2005 administrateur du CNRS.

Parmi d'autres missions, en France et à l'étranger, je me permets de signaler encore, pour leur plus grande proximité avec les préoccupations des magistrats dans le domaine des libertés, mon ancienne appartenance à la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, mes fonctions d'expert à la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe, et ma présidence de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, au nom de laquelle j'ai remis, en septembre 2006, un rapport au ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy.

L'intérêt très vif que je porte à l'institution judiciaire ressort davantage de mon activité et de mes travaux universitaires. Comme doyen de la faculté de droit de l'université Paris Descartes, il me revient la responsabilité d'un institut d'études judiciaires. Cette responsabilité a pour moi un caractère prioritaire. Le succès considérable qu'a connu cet institut depuis plusieurs années – puisqu'il compte aujourd'hui un millier d'inscrits – l'a porté, selon les critères officiels, au troisième rang des IEJ de France.

Comme juriste et historien, j'ai conduit ou dirigé diverses recherches sur la magistrature en France et son évolution jusqu'à nos jours. Ma propre thèse de doctorat comportait des développements étendus sur la magistrature au temps de la IIIe République. J'ai fait paraître depuis, sur la même période, un recueil de textes commentés, qui montre que la « réforme judiciaire », tout en étant l'un des sujets de discussion favoris de la classe politique, était quasiment impraticable. Que de progrès depuis !

D'autres de mes publications sur la magistrature mettent en lumière, par exemple à propos des épurations, l'extrême proximité du pouvoir et des juges au XIXe siècle, spécialement après 1870, et les difficultés qui s'ensuivaient entre la magistrature en place et les régimes politiques successifs. Les conséquences étaient graves pour le crédit de l'institution judiciaire. Un mot prêté par Anatole France à l'un de ses personnages a longtemps résumé une méfiance fort répandue : « Cela seul me cause un insupportable embarras qu'il faille que ce soient les juges qui rendent la justice. »

Tout cela est loin, et même très loin. Au moins, en ce domaine, l'étude du passé rend-elle optimiste pour l'avenir, ou relativement optimiste car le besoin de justice des sociétés contemporaines, toujours plus impérieux, interdit les pronostics péremptoires. La transformation du Conseil supérieur de la magistrature qui vient d'être opérée est en tout cas de nature à conforter ce sentiment d'optimisme. Sans porter de jugement sur ce nouveau CSM, j'avoue être aujourd'hui plus sensible aux promesses de la réforme qu'inquiet de ses éventuelles insuffisances. La plupart des commentateurs n'ont d'ailleurs pas manqué de relever que ce nouveau Conseil, désormais présidé par les deux plus hauts magistrats du pays et pourvu d'un droit de regard – certes inégal – sur l'ensemble des nominations de magistrats, était mieux à même qu'auparavant d'assurer l'indépendance du corps judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique. Il est également mieux à même d'éviter le corporatisme. Le Conseil supérieur de la magistrature n'est plus le conseil supérieur des magistrats, ceux-ci devenant minoritaires dans les deux formations spécialisées, siège et parquet, même en matière disciplinaire, comme l'a décidé le Conseil constitutionnel le 19 juillet dernier. Quant à la faculté nouvellement accordée aux justiciables de saisir le CSM à l'encontre d'un magistrat du siège ou du parquet, elle fait naître beaucoup d'espoirs. Il est indéniable qu'elle s'inscrit, au même titre, par exemple, que la question prioritaire de constitutionnalité, dans le mouvement actuel de renforcement de l'État de droit.

Des inconnues demeurent, comme toujours en pareil cas, sur la portée des innovations. Dans le cadre de l'institution rénovée, je souhaite aider à les lever. Je le souhaite d'autant plus vivement que le nouveau Conseil aura, directement ou indirectement, à connaître des grandes questions, statutaires ou matérielles, que soulèvent l'activité judiciaire et la recherche d'une bonne justice, c'est-à-dire d'une justice indépendante, sereine, efficace, donc rapide et lisible.

La gestion du corps judiciaire, à travers les nominations et promotions ou le traitement des dossiers disciplinaires, ne peut se pratiquer sans avoir égard aux moyens de la justice, ni à la portée réciproque du principe de l'inamovibilité des magistrats du siège, lié constitutionnellement à leur indépendance, et de l'impératif « managérial » de mobilité, déjà pris en compte depuis la loi organique de 2001. Le principe de l'unité du corps judiciaire, fondamental lui aussi quoique souvent discuté, posé à l'article 1er du statut de la magistrature et consacré depuis 1993 par le Conseil constitutionnel, ne peut d'ailleurs pas non plus rester sans incidence sur la mise en oeuvre de cet impératif de mobilité.

Très directement enfin, il reviendra au Conseil supérieur d'apprécier jusqu'à quel point la responsabilité du juge peut être recherchée sans entamer son indépendance. Entre ces deux exigences de responsabilité et d'indépendance, que l'on oppose parfois, c'est lui qui va détenir le curseur en statuant sur les dossiers disciplinaires. Il aura à mettre à jour en permanence le recueil des obligations déontologiques des magistrats, publié pour la première fois cet été en application de la loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. À lui seul, ce chef de compétence, dont l'affaire d'Outreau a révélé l'urgente nécessité, suffirait à justifier au sein du CSM une large présence de non-magistrats. Puis-je ajouter qu'il suffirait aussi à justifier la motivation résolue qui est la mienne pour exercer la fonction à laquelle le Président de la République, sous réserve de votre avis, envisage de me nommer ?

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