Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Marie Kunstmann

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération des CECOS, praticien hospitalier à l'hôpital Cochin :

Certains privilégient une approche philosophique, d'autres une approche juridique. Je voudrais partir, moi, de l'humain. Nous n'avons pas voulu dans les CECOS révolutionner la société ni proposer je ne sais quelle utopie, mais simplement aider des couples en difficulté à concevoir des enfants « autrement ». Que nous disent ces couples ? « Transmettre la vie, est-ce seulement transmettre de l'ADN ? », « Notre constitution génétique n'est-elle pas le résultat d'une loterie, où des milliards de combinaisons étaient possibles mais où au final, nous sommes tous différents, uniques, imprévisibles et inprogrammables ? », « Transmettre la vie, n'est-ce pas d'abord désirer un enfant, exercer une paternité au quotidien, construire une relation affective, transmettre des valeurs, des repères ? » Ces couples aujourd'hui ne cherchent plus à « faire comme si » mais s'inscrivent dès le départ dans la perspective d'une paternité différente, qui sera révélée à l'enfant.

Les donneurs de sperme, qui sont souvent par ailleurs donneurs de sang ou de moelle, ont une conscience particulière de la chance d'avoir pu procréer et se disent que s'ils s'étaient trouvés dans l'incapacité de le faire, ils auraient apprécié de pouvoir bénéficier d'un don. Ils considèrent leur don comme un contre-don de celui que la nature leur a fait. Ils relativisent aussi la part de la génétique : « J'ai plusieurs enfants, tous différents, bien que, je pense, tous issus de mes spermatozoïdes », nous disent-ils, ou bien encore « La paternité, c'est l'investissement au quotidien dans la relation avec ses enfants. », « Je ne donne que des cellules, je n'ai pas de projet d'enfant. », « Je ne suis rien dans l'histoire de ces enfants qui est celle du couple qui les désire. » « Si je donne par altruisme, ce ne peut être que de façon anonyme. Sans anonymat, j'entrerais en responsabilité, et cela je ne le veux pas. » L'anonymat permet de dépersonnaliser les gamètes, ce qui facilite leur réinvestissement et leur humanisation par le couple receveur.

Pourquoi la question de l'anonymat se pose-t-elle aujourd'hui ? D'une part, quelques enfants demandent qu'il soit levé, au nom du droit à la connaissance de ses origines personnelles – position que je respecte. D'autre part, la législation ayant évolué en ce sens dans plusieurs pays, notamment d'Europe du Nord, il semble inéluctable qu'il en aille de même chez nous. Tout cela sous un diktat sociétal de transparence et avec l'idée d'une parfaite traçabilité génétique, désormais possible grâce à des tests. La question de la connaissance de ses origines s'est d'abord posée pour les enfants nés de mères ayant accouché sous X ou adoptés dans d'autres conditions. Mais ces situations sont très différentes de celles des enfants conçus avec donneur. En effet, pour les enfants adoptés, il existe une première histoire qu'on ne peut gommer, alors que le donneur de gamètes, lui, n'a jamais eu de projet d'enfant.

Depuis leur création, les CECOS ont permis la naissance de 50 000 enfants. Moins d'une centaine d'entre eux demandent aujourd'hui la levée de l'anonymat. Le faible nombre de ces demandes n'est certes pas une raison de les ignorer. Mais il faut chercher à comprendre ce qui est en jeu. Il n'est pas besoin d'avoir été conçu avec don de sperme pour être confronté à de difficiles questions concernant ses origines.

La majorité des couples qui se sont lancés dans un projet d'IAD dans les années 70-80 souhaitaient « faire comme si » et garder le secret. Il était presque inimaginable à cette époque d'informer son entourage, même proche, de sa stérilité et de son intention de recourir à un don de sperme. Des hommes craignaient qu'avouant leur situation à leur père, celui-ci ne refuse de reconnaître l'enfant à naître comme son petit-fils ou sa petite-fille !

Les CECOS ont vite compris les risques liés au secret. Nous avons alors fait un travail considérable pour expliquer aux couples que c'était une très belle aventure, digne d'être racontée et autour de laquelle ils pourraient construire. La loi de 1994 nous a beaucoup aidés car elle marquait la reconnaissance par la société de la possibilité de fonder une famille « autrement », sur un autre modèle de paternité.

Les enfants qui revendiquent aujourd'hui de connaître leurs origines ont été conçus à cette époque révolue. Nous ne pouvons pas reprendre chacune des histoires, mais nous connaissons la majorité d'entre elles. La plupart du temps, le secret a été révélé dans un contexte de tensions au sein du couple ou de séparation. On comprend que, dans ces conditions, où la révélation a pu être utilisée pour dévaloriser le père, cela n'ait pu qu'être mal vécu.

Les donneurs aujourd'hui s'inquiètent de pouvoir être confrontés à des enfants en souffrance de représentation paternelle. Ils craignent que ceux-ci du coup ne surinvestissent leur personne de donneur et cela, ils ne le veulent pas.

Les enfants qui vont bien et ne sont pas en manque de représentation de leurs origines, ils l'ont dit, ne souhaitent pas rencontrer leur donneur. Ils refusent notamment de confronter l'image d'un père reconnu et valorisé à celle du donneur, conscients d'ailleurs que cette confrontation serait sans doute source de davantage d'ambiguïtés qu'elle n'apporterait d'éclairages.

Les CECOS ont pris conscience de la nécessité d'accompagner les couples au-delà de la conception et de la naissance de l'enfant. Nous les incitons désormais à nous revoir pour que nous puissions les aider au mieux, notamment dans l'annonce aux enfants de leur mode de conception.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion