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Intervention de Pierre Mayeur

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, CNAVTS et président du comité exécutif de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale, UCANSS :

Je formulerai trois observations liminaires sur la lutte contre les fraudes dans la branche Vieillesse, pour souligner tout d'abord leur caractère spécifique, puis pour rappeler les efforts importants réalisés depuis 2008, enfin pour présenter le rôle de détonateur qu'ont joué les fraudes portant sur les régularisations de cotisations prescrites, ou fraudes aux carrières longues.

Les fraudes liées aux retraites ont un caractère spécifique par rapport à celles qui concernent d'autres branches de la protection sociale. Elles portent sur l'identité, sur la carrière, sur la constitution du droit – car certains avantages sont soumis à des conditions de ressources, de résidence ou de situation familiale – ou sur les paiements.

La Cour des comptes a souligné à la page 37 de son rapport que le système d'information de la branche Vieillesse est adossé à un processus d'identification strict, le numéro d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), sur lequel elle a construit deux principaux référentiels uniques et nationaux : le système national de gestion des identifications (SNGI) et le système national de gestion des carrières (SNGC), lequel bénéficie d'une alimentation automatique, sans intervention humaine, à partir des déclarations des employeurs. Je précise à ce propos que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) est investie, bien que cela ne soit reconnu par aucun texte précis, d'une responsabilité en matière de droit d'immatriculation, et qu'il convient de ne pas fragiliser cet acquis, notamment pour ce qui concerne les numéros identifiants d'attente (NIA). Un lien direct avec l'Institut national de la statistique et des études économiques permet une information quasi-immédiate en cas de décès survenu en France, ce qui permet d'interrompre la prestation. Le système connaît néanmoins quelques fragilités, liées notamment aux cas de décès à l'étranger et au fait que, dans certains cas, l'immatriculation soit possible sur la base d'un certificat de naissance.

La fraude présentant peu de bénéfice immédiat pour les personnes qui sont encore éloignées de la retraite, la branche Vieillesse a pris conscience de ce problème plus tard que d'autres branches de la protection sociale et la lutte contre les fraudes ne faisait, jusqu'à une date récente, pas partie de sa culture et n'a pas fait l'objet d'investissement de temps et de moyens à la hauteur de l'enjeu. En outre, l'anticipation du défi industriel du « papy boom », qui a fait passer en quelques mois de 450 000 à 700 000 ou 800 000 le nombre annuel de liquidations de retraites, a considérablement absorbé les efforts de la branche Vieillesse, occultant quelque peu la question de la fraude.

Des efforts importants ont néanmoins été réalisés depuis 2008, notamment par mon prédécesseur et par Mme Pascale Robakowski, agent comptable national. Tout d'abord, nous nous sommes dotés d'outils réseau et avons mis en place une structure de pilotage nationale – le département « prévention et lutte contre les fraudes » qu'anime Mme Brigitte Langlois-Meurinne –, un plan annuel, des indicateurs mesurant semestriellement l'activité des structures dédiées à la lutte contre les fraudes, une animation du réseau et des formations. Nous avons également renforcé, avec l'agent comptable, le contrôle interne au moyen des instructions nationales de contrôle, de la procédure « carrières à risque », destinée à signaler les éventuels problèmes que pourrait révéler une carrière, et du pilotage de l'audit dans le réseau.

La convention d'objectifs et de gestion pour 2009-2013, signée en avril 2009, se conforme à la priorité qu'accorde désormais la nouvelle génération de conventions de ce type à la lutte contre la fraude. Des recrutements sont prévus à ce titre et les effectifs chargés de la lutte contre la fraude pour la branche Vieillesse, déjà passés de vingt-huit personnes à la fin de 2008 à quarante-quatre à la fin de 2009, étaient de soixante et une personnes en juin 2010, avec un « référent fraude », qui, dans chaque caisse régionale, pourra faire remonter au niveau national l'ensemble des informations et animer la lutte contre les fraudes, qui concerne tous les agents de la branche. Un autre profil des agents est celui des agents de contrôle agréés et assermentés.

Nous avons également développé une politique de communication interne et externe. Ainsi, nous avons consacré toute la matinée d'une réunion des directeurs de caisses régionales, en juin 2010, à la lutte contre les fraudes, avec la participation de M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude. De même, le 14 juin 2010, la caisse nationale d'assurance vieillesse a organisé sur ce thème un point de presse qui a donné lieu à l'élaboration d'un dossier de presse diffusé sur notre site internet et d'affichettes distribuées dans le réseau, portant le slogan : « Garantir les retraites, c'est aussi agir et lutte contre la fraude ».

Nous avons en outre pris l'engagement, qui sera tenu courant 2011, de réaliser une évaluation globale – chiffrée avec prudence – du taux de fraude à l'assurance vieillesse dans le cadre des travaux de la Délégation nationale de lutte contre les fraudes.

Nous avons aussi voulu utiliser les outils législatifs pour lutter contre les fraudes et avons recouru à cette fin au dispositif des échanges inter régimes de retraite (EIRR), en vue de la majoration des pensions de réversion. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoyait une majoration des pensions de réversion pour les personnes percevant moins de 800 euros d'avantage de retraite. Afin d'éviter les inconvénients d'un système traditionnel de questionnaire rempli par les assurés, nous avons recouru à un système qui a permis de faire remonter automatiquement l'information depuis tous les régimes de retraite afin d'identifier les personnes dont des pensions de retraite étaient réellement inférieures à 800 euros et nous avons ainsi pu être certains de réserver la majoration à ceux dont la situation le justifiait. Dans le cadre de la loi de 2010 sur les retraites, nous avons étendu l'EIRR aux avantages non contributifs, afin d'intégrer les pensions de réversion et le minimum vieillesse – désormais allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) –, en vue d'une plus grande efficience.

Les premiers résultats, même modestes, apparaissent déjà : les signalements à nos partenaires se multiplient et, réciproquement, nous traitons les signalements de plus en plus nombreux qu'ils nous adressent. Le montant des préjudices constatés est en hausse, même si, là aussi, les chiffres sont modestes en valeur absolue. L'effort accompli a été clairement reconnu par la Cour des comptes, tant dans le processus de certification – car la lutte contre les fraudes n'est nullement en cause dans le fait que les comptes de la branche Vieillesse n'aient pas été certifiés pour les années 2008 et 2009 – que dans le rapport sur la fraude qui sert de fondement à vos travaux.

J'évoquerai enfin la question de la régularisation des cotisations prescrites dans le cadre des carrières longues, qui a servi de détonateur et d'accélérateur dans la lutte contre les fraudes. Le problème que nous avons rencontré tient à l'articulation malheureuse entre une nouvelle législation – la loi de 2003 qui permet aux personnes ayant accompli une carrière longue, donc cotisé sur une longue durée, de partir à la retraite avant l'âge de soixante ans, et parfois dès cinquante-six ans – et une lettre ministérielle de 1976 qui permettait de régulariser des cotisations prescrites sur la base du témoignage de deux personnes. Ce dernier dispositif était du reste très peu utilisé, car les personnes concernées, ne pouvant partir en retraite avant soixante ans, avaient généralement atteint à cet âge la durée de cotisation requise. Pour les carrières longues, la régularisation des cotisations prescrites permettait des départs anticipés.

Si cette mesure est parfaitement justifiée dans bien des cas, des fraudes ont eu lieu. Elles s'expliquent d'abord par le fait que le processus était partagé entre deux branches de la sécurité sociale – après régularisation par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), l'assuré faisait valoir ses droits auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés –, ce qui responsabilisait peu les acteurs du système.

Dès le 2 décembre 2005, mon prédécesseur, M. Patrick Hermange, a écrit à la tutelle pour l'alerter d'un nombre de régularisations qui paraissait trop élevé et portait sur un nombre de trimestres lui-même apparemment exagéré. Après cette alerte, cependant, la maturation a sans doute été un peu longue et ce n'est qu'à partir de 2007-2008 qu'un rapport de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales a fait apparaître les fraudes. Un travail très lourd a ensuite été engagé, sous la direction d'un comité de pilotage coordonné par la direction de la sécurité sociale, pour réviser les dossiers les plus risqués en fonction de critères d'alerte pertinents. Le ciblage a porté sur 701 dossiers de régularisation de cotisations concernant les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et 500 à 600 dossiers de rachat agricole.

Les caisses ont ensuite mené une action sans précédent. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) ont demandé par courrier aux personnes concernées si elles se rétractaient, après quoi, si ce n'était pas le cas, a été réalisé un travail d'enquête très lourd, complexe et chronophage, qu'il a en outre fallu apprendre car il s'agissait d'un savoir-faire, d'un métier nouveau. Ce travail, salué par la commission des suites de l'Inspection générale des affaires sociales, a déjà produit des résultats : 80 % des 701 dossiers ont fait l'objet d'une décision, 20 % restant à traiter d'ici à la fin de 2010. Dans un peu plus de 60 % des cas, la régularisation de cotisations prescrites a été annulée, du fait d'éléments objectifs permettant d'établir la fraude.

Il ne s'agit pas alors d'une simple suspension de pension car, la pension versée étant indue, l'indu constaté, parfois d'un montant très important, doit être remboursé, ce qui peut placer les personnes concernées dans des situations très difficiles. Ainsi, s'il était constaté que la régularisation de cotisation prescrite dont elle a bénéficié était entachée de fraude, une personne de cinquante-neuf ans retraitée depuis l'âge de cinquante-six ans verrait le versement de sa pension arrêté et devrait rembourser l'intégralité des pensions perçues depuis sa retraite : c'est loin d'être neutre.

Pour ce qui est des dossiers agricoles, la caisse nationale d'assurance vieillesse, qui est aussi, je le rappelle, caisse régionale pour l'Île-de-France, a reçu de la Mutualité sociale agricole de cette même région 71 dossiers sur 250 en cours de régularisation. Je précise qu'en cas de fraude, l'application de pénalités est systématique. Quatorze dossiers ont été traités par la Caisse nationale d'assurance vieillesse-Île-de-France depuis septembre et huit doivent l'être au début de 2011. En matière de pénalités, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avait mis en place un dispositif assez complexe. Celle de 2009 a prévu un dispositif allégé, pour lequel le décret d'application a été publié voici environ un mois. La branche Vieillesse était peu avancée dans l'application de ce dispositif, notamment parce que le mécanisme prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 subordonnait l'application de sanctions à la constatation de l'indu. Nous utiliserons désormais sans complexe cet outil. Le nombre de dossiers ayant fait l'objet de pénalités, qui était de 13 en 2009, atteint déjà le chiffre de 27 en 2010.

S'il est évident que la lutte contre les fraudes est une exigence pour la branche Vieillesse, la prévention des dispositifs « fraudogènes » n'en est pas moins importante. En effet, certains dispositifs qui ouvrent des droits à la retraite sont plus exposés que d'autres à la fraude, car les justificatifs qu'ils exigent consistent en une déclaration sur l'honneur ou des documents plus faciles à fabriquer que par le passé, comme les bulletins de salaire. Peut-être les dispositifs législatifs et réglementaires devraient-il évoluer en conséquence. Une réflexion s'impose en la matière.

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