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Intervention de éric Molinié

Réunion du 8 décembre 2010 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

éric Molinié :

C'est un grand honneur pour moi d'avoir été choisi à l'unanimité par les membres du collège de la HALDE pour exercer la fonction de président par intérim, puis d'avoir été pressenti par le Président de la République pour prendre la tête de cette haute autorité.

Je me propose, monsieur le président, de me présenter brièvement avant de vous exposer ce que j'ai cru comprendre du rôle de la HALDE depuis six mois que je suis membre de son collège, et de vous dire comme je vois l'avenir de cette institution.

Âgé de cinquante ans, je suis diplômé de l'école des Hautes Études commerciales. J'ai été moi-même confronté assez tôt à la discrimination puisque le proviseur de mon lycée n'avait pas jugé opportun, en raison de mon handicap, de m'accepter en classe préparatoire. J'exerce les fonctions de directeur délégué au développement durable du groupe EDF et de conseiller auprès de son PDG, Henri Proglio, sur les questions de handicap. J'ai par ailleurs participé à la commission Larcher sur les missions de l'hôpital, et je siège actuellement au comité de suivi de la loi Hôpital, patients, santé et territoires, pour avoir rédigé en 2005 un rapport sur les missions de l'hôpital public, au nom du Conseil économique et social.

Parallèlement à mes fonctions professionnelles, j'assure celle de vice-président de l'Association des paralysés de France, l'APF, et je dirige d'autres organisations spécialisées dans le handicap, comme Handeo, enseigne chargée de labelliser les prestataires de services aux personnes handicapées.

Mon parcours se caractérise par une fertilisation croisée entre mes engagements professionnels et mon engagement personnel dans la lutte pour les droits de l'homme et contre les discriminations. Dès le début de ma carrière, commencée dans la banque, j'ai mis mes compétences financières au service du Téléthon, dont j'ai été pendant dix ans le trésorier. En sens inverse, ma mission au service de cette association m'a convaincu dès les années quatre-vingt-dix de l'importance de la recherche médicale et biotechnologique, et de la nécessité pour les entreprises, dont la mienne, d'investir dans des fonds de développement durable dans le secteur de la santé et de l'environnement. De même, aujourd'hui, ma fonction de conseiller sur le handicap auprès du président d'EDF et celle de vice-président de l'APF se fertilisent mutuellement.

Devenu membre du collège de la HALDE, j'y ai trouvé des équipes motivées et qui travaillent beaucoup. Chacun de nos juristes traite en moyenne cent à cent cinquante dossiers. En effet, la HALDE a reçu depuis sa création 40 000 réclamations et en a traité plus de 37 000 : les quelque 2 000 dossiers examinés par le collège ne sont que la partie émergée du travail de la haute autorité, le travail de qualification des cas et de réorientation des dossiers vers d'autres juridictions étant tout aussi important, d'autant qu'il contribue au désengorgement des tribunaux – et, en ce sens, la haute autorité joue un rôle d'auxiliaire de justice.

Au cours de ces six mois, j'ai également été frappé par la qualité de l'expertise technique de la HALDE en matière de droit des discriminations, expertise reconnue par les tribunaux. Ainsi l'argumentaire par lequel la HALDE a établi l'existence d'une discrimination fondée sur l'origine ethnique dans une entreprise de Toulouse a été repris par la cour d'appel de cette ville. Par ailleurs, le parquet a sollicité notre expertise dans une vingtaine d'affaires en 2010, contre dix en 2009. Je voudrais faire à ce propos un sort au reproche qu'on nous adresse parfois de ne pas lui transmettre assez de dossiers. En réalité, le nombre de dossiers – plusieurs dizaines – que nous lui transmettons est comparable à celui des dossiers transmis au tribunal des prud'hommes ou au tribunal des affaires de sécurité sociale.

Cette expertise est également reconnue au niveau international, comme en atteste la visite que nous ont rendue il y a quelques jours nos homologues québécois, avec lesquels nous entretenons des rapports nourris. Nous bénéficions en outre de financements de l'Union européenne, qui sollicite également notre expertise en matière de discriminations.

La HALDE apporte de plus sa contribution à de véritables débats de société. J'en veux pour preuve notre délibération du 14 juin sur l'emploi des personnes handicapées dans le secteur privé, qui faisait suite aux nombreuses sollicitations des patrons de PME, soumis à l'injonction contradictoire de compter 6 % de travailleurs handicapés dans leur effectif sans pour cela recourir à des filières de recrutement spécialisées. Cet avis sera suivi de l'élaboration d'un guide pratique, véritable boîte à outils formalisant, à l'usage des entreprises, la doctrine élaborée par la haute autorité à partir de dossiers concrets. Tout dernièrement, dans le cadre d'un « mercredi » de la HALDE au titre évocateur, « Femmes, discriminées dans le travail, discriminées à la retraite », nous avons souligné les risques d'aggravation des inégalités entre hommes et femmes qu'emportait le projet de réforme de retraite, ce qui a permis d'amender ce texte. Nous conseillons également des administrations ou des organisations désireuses d'adapter leur réglementation intérieure ou leurs procédures de recrutement afin de se conformer aux exigences de la lutte contre les discriminations.

En bref, ces premiers mois au sein de la HALDE m'ont profondément convaincu que le budget de la haute autorité, qui a fait l'objet de maintes polémiques, est pour notre pays un investissement de cohésion sociale et de développement durable, au même titre qu'un plan de cohésion sociale ou qu'un plan banlieues. Certains témoignages m'ont démontré qu'un jeune issu de l'immigration, s'il est convaincu que la HALDE lui garantira l'égalité des chances dans son futur parcours professionnel, se lancera avec d'autant plus de confiance et de détermination dans une formation. La HALDE crée donc de la valeur pour notre économie comme pour notre société, la diversité étant une source d'enrichissement pour l'entreprise.

Pour ce qui est de l'avenir, je serai, si je suis nommé à la tête de cette institution, au service des valeurs républicaines promues par la HALDE et des missions d'intérêt général que la souveraineté nationale lui a assignées : la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité des chances. Il s'agit, pour user de termes empruntés au monde de la médecine, de faire à la fois, et avec la même détermination, du préventif et du curatif. Pour cela, la HALDE doit, non seulement continuer à statuer sur des cas particuliers, mais également dégager de l'étude de cas similaires des lignes de force, à l'usage de la représentation nationale, comme nous l'avons fait à propos des retraites des femmes, ou de groupes particuliers, comme ce fut le cas pour les patrons de PME s'agissant du handicap. Si elle n'a certes pas à prendre position sur une loi, elle peut en revanche formuler des avis à destination du législateur ou lui signaler certains vides juridiques.

Dans le cadre juridique fixé par les représentants de la souveraineté nationale pour l'accomplissement de ces deux missions, je ne conçois l'exercice de la responsabilité qu'il vous est proposé de me confier qu'assorti d'une collégialité des décisions, la meilleure protection selon moi des droits des citoyens. La HALDE doit pouvoir continuer à s'appuyer sur un comité consultatif qui lui permet de tisser des liens avec la société civile. Dépassant l'étude de cas particuliers, les avis de ce comité – par exemple sur la question des gens du voyage – constituent une contribution tout à fait intéressante. Nous devons également continuer à bénéficier d'un réseau de délégués régionaux au plus près des citoyens, métropolitains ou ultramarins. Je rappelle que ces délégués sont à l'origine du tiers de nos saisines en 2010, et qu'ils nous aident, à travers leur mission de bons offices, à trouver des solutions négociées au niveau local.

Si j'ai l'honneur d'être nommé à l'issue de ces auditions, je fixerai à notre institution une feuille de route claire et pragmatique. Je compte tout d'abord, m'inspirant des remarques de la Cour des comptes, lancer une réflexion sur le traitement des réclamations. Après avoir, pendant cinq ans, étudié une à une toutes celles qu'on nous adressait, il est temps de les trier selon leur importance, en distinguant les dossiers susceptibles d'avoir une valeur emblématique de ceux dont l'intérêt est plus anecdotique. Nous devons également rechercher les moyens d'accélérer ce traitement et d'améliorer nos procédures internes.

Dans le cadre de notre mission de promotion de l'égalité, je compte également programmer des rencontres avec des partenaires, au premier rang desquels les entreprises, afin de favoriser la mutualisation des bonnes pratiques. On pourrait par ailleurs proposer aux juristes de la HALDE, qui viennent souvent du monde associatif, des stages d'immersion en entreprise pour leur permettre de se familiariser avec les réalités de la vie économique.

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