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Intervention de Christian Noyer

Réunion du 24 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France :

M. Jouyet est plus compétent que moi pour vous répondre puisque c'est lui qui participe aux instances de décision. D'après les échos que j'ai, il semblerait que beaucoup commencent à comprendre le problème, mais il faut convaincre tout le monde. Le renforcement de la réglementation bancaire est plutôt bien engagé avec Bâle III, mais le problème reste la zone non réglementée. Il faut y voir plus clair dans ce que font les institutions non régulées. Il ne s'agit pas de réglementer les hedge funds au même degré que les banques puisqu'ils ne collectent pas de dépôts et que leurs clients sont conscients de prendre des risques, mais il faut davantage de transparence, plus de règles, une meilleure gouvernance et une limitation de l'effet de levier, au pire par le biais de la réglementation bancaire. Si les banques prêtent à un client dont le coefficient de levier dépasse un certain seuil, on exigera une charge en capital dissuasive.

En ce qui concerne les transactions hors institutionnels, oui, les choses avancent. Au sein du G7, qui réunit les pays où les chambres de compensation peuvent se développer, nous avons un accord de principe pour pousser la standardisation aussi loin que possible. Elle est la condition nécessaire pour créer un marché institutionnel et une chambre de compensation. Parmi les instruments concernés, figureraient certainement tous les CDS souverains. Et il faudrait inciter les intervenants à passer par les chambres de compensation. En tout état de cause, toutes les transactions sur dérivés devront obligatoirement être consignées dans des trade repositories, des registres de comptabilisation.

Aux États-Unis, les principes sont fixés, et les moyens en cours de discussion. En Europe aussi. Il existe un chantier commun avec le comité de Bâle pour exiger une charge en capital différente selon que les titres sont négociés en chambre de compensation ou non – passer par ces chambres coûte plus cher à cause des frais, des appels de marge, etc., mais, en contrepartie, la charge en capital serait moins forte. Pour les entités régulées, il y a bon espoir même si la tâche est compliquée du fait de l'absence, aux États-Unis, d'une institution fédérale chargée de la surveillance des compagnies d'assurance. Reste la fameuse question des fonds alternatifs non réglementés. En Europe, nous pourrons sans doute imposer certaines mesures, mais ce sera plus difficile ailleurs. De toute façon, il faut y aller et commencer par les banques.

Je n'ai pas de chiffres avec moi sur l'exposition des banques françaises au risque irlandais. Elle est assez limitée, et près de la moitié des débiteurs sont des acteurs de l'économie réelle. Certes, ils ne sont pas à l'abri, mais certaines entreprises irlandaises continuent d'être florissantes. De mémoire, la dette souveraine ne représentait que 10 à 15 % de l'exposition totale, mais elle a augmenté du fait de la substitution de l'État aux banques. Je vous ferai parvenir l'information.

Le trading à haute fréquence est difficile à contrôler. Il est pratiqué à une moindre échelle par les grandes institutions financières, du type grandes banques d'investissement spécialisées, qui ne se trouvent pas en France, mais surtout par des entités non régulées comme les hedge funds. Je partage les interrogations sur l'utilité sociale de cette activité. En revanche, j'en vois bien les risques, en particulier pour l'intégrité du marché. Cette technique aboutit à donner à des investisseurs une information privilégiée, ne serait-ce que pendant quelques microsecondes. Le HFT peut conduire à des prix faussés et à des risques opérationnels très importants. Je serais donc pour qu'on remette en cause cette pratique, dont le mini-krach du 6 mai a montré qu'elle pouvait être dangereuse. Il y a sûrement des moyens d'en limiter les effets, comme les coupe-circuits, mais si une pratique est contestable, inutile et dangereuse pour l'intégrité des marchés, la question de son existence mérite d'être posée. Cela étant, la balle est plutôt dans le camp des superviseurs de marchés.

Dans le domaine des matières premières, c'est avant tout au manque de transparence qu'il faut remédier, avant de décider éventuellement des réglementations particulières. Il nous est aujourd'hui impossible d'établir une relation claire entre les opérations des marchés dérivés, qui sont très mal connues, et le marché au comptant. Phénomène nouveau, et qui n'est pas critiquable en soi, certaines matières premières – l'or n'est pas seul en cause, il y a aussi le pétrole et même des denrées agricoles – sont devenues de véritables classes d'actifs, ce qui change considérablement l'équilibre du marché. Dès lors, le simple fait qu'une compagnie d'assurance-vie ou un fonds de pension décide de placer 5 % des actifs qu'il ou elle gère dans les matières premières, ou de s'en dégager partiellement, aura un impact sur les prix de marché. Les dérivés seuls ne sont pas à l'origine de la plus grande volatilité des marchés. Je me réjouis que la France ait décidé de mettre le sujet à l'ordre du jour du G20, car il faut défricher le terrain même si la tâche n'est pas simple.

En ce qui concerne l'ampleur de la spéculation, on doit pouvoir vous fournir quelques chiffres significatifs. Les hegde funds représentent 15 000 milliards de dollars d'actifs gérés. La somme est considérable mais mérite d'être mise en perspective sur une longue période.

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