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Intervention de Patrick Artus

Réunion du 17 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, professeur de sciences économiques à Paris-I et à l'école polytechnique :

L'Irlande s'endette actuellement à 8,5 % à dix ans, la Grèce à 11,5 %, le Portugal à un peu moins de 7 %, et l'Espagne à 4,8 %. La brusque dégradation de la dette irlandaise est en partie liée à l'absence de transparence sur les intentions du gouvernement de ce pays. Aujourd'hui, ce sont des assureurs-vie bien tranquilles qui se demandent s'ils peuvent, pour leurs clients, prendre le risque de garder de la dette irlandaise en portefeuille. Et ils vendent progressivement, mais ils vendent tous. Ce n'est pas à proprement parler de la spéculation, au contraire puisque ces institutions agissent par aversion du risque, par crainte que l'affaire ne tourne mal. Et c'est ce qui va finir par arriver parce qu'il est pratiquement impossible à un pays européen de stabiliser son taux d'endettement public si le taux d'intérêt dépasse 6 %. Au-delà, il faudrait qu'il dégage un excédent budgétaire qui ne s'est jamais vu dans l'histoire, si bien que les marchés sont confortés dans la conviction qu'il faut se débarrasser de cette dette avant qu'il ne soit trop tard.

Par ailleurs, les mouvements sur le marché des matières premières sont extrêmement mystérieux. Le FMI et l'OCDE se sont penchés sur la question, moi aussi, et personne n'a pu prouver que les fluctuations observées sur les marchés à terme entraînent des hausses de prix. Depuis deux mois, certains métaux et des matières premières agricoles enregistrent des hausses très fortes, sans aucune augmentation du nombre des contrats à terme. Le FMI conclut à l'impossibilité de prouver que les marchés à terme ont un impact sur le prix du comptant. Le lien en tout cas n'a rien de systématique. Assez curieusement, la seule matière première où les prises de position à terme se soient accumulées récemment, c'est le riz… dont le prix ne bouge pas. Autrement dit, la spéculation sur les matières premières ne passe pas par les marchés dérivés. C'est le stockage physique qui serait à l'origine de l'envolée des prix. Et les spéculateurs ne sont pas forcément ceux qu'on pense : ce sont des États – les pays d'Asie ont d'énormes stocks de matières premières – ou les producteurs eux-mêmes – les compagnies pétrolières stockent du pétrole dans des tankers. Les acteurs financiers ne sont pas en cause.

Sur les marchés à terme, on essaie de faire la part entre les opérations commerciales et les autres. Mais cette distinction n'est pas très pertinente car il arrive aux industriels de prendre des positions spéculatives. En conclusion, les marchés dérivés de matières premières ne sont pas le support essentiel de la spéculation sur les matières premières. Et les variations très fortes de prix ne sont pas toujours dues à cette dernière. Elles peuvent s'expliquer par des facteurs physiques : pour le coton, dont le prix a très fortement monté ces derniers temps, par de mauvaises récoltes successives et par le fait que des agriculteurs indiens s'en détournent au profit de productions plus rentables ; pour le blé, par des conditions climatiques défavorables.

On incrimine souvent aussi les positions courtes prises par les hedge funds. J'ai donc cherché à savoir à quel moment et sur quels sous-jacents ceux-ci avaient pris de telles positions. Eh bien, globalement, ils n'en prennent pratiquement jamais, sauf un peu sur les actions, en 2005 puis après la faillite de la banque Lehman Brothers, et sur l'euro pendant la crise de la dette grecque en mai. Le reste est insignifiant. On n'a donc pas l'impression que ce soit ce qui pèse sur l'équilibre des marchés : ces positions courtes sont trop limitées à la fois dans le temps et dans leur ampleur. En outre, le levier des hedge funds a beaucoup baissé. D'après les chiffres collectés, cette industrie draine aujourd'hui 1 863 milliards de dollars, et le levier est de l'ordre de 0,5 – autrement dit, pour 100 d'épargne collectée, il y a 50 de dette – alors qu'il a pu atteindre 3, 4, voire 5 par le passé.

Il faut aller chercher également du côté de l'équilibre général des marchés. Natixis est en train de réexaminer son portefeuille de trading pour compte propre. Elle n'a jamais engagé des montants faramineux, mais il est très difficile de tracer une frontière entre les opérations de trading nécessaires et celles qui sont purement spéculatives. Les marchés à terme de biens ne fonctionnent que grâce aux spéculateurs : les opérateurs professionnels s'orientent tous dans le même sens au même moment. Si on anticipe une hausse des cours du pétrole, toutes les compagnies aériennes vont essayer de se couvrir et les seules contreparties qu'elles trouveront ne seront pas du côté des professionnels. De même, les agriculteurs qui couvrent leur récolte future sont tous vendeurs en même temps : pour qu'il y ait marché, il faut pouvoir trouver des contreparties, en l'occurrence auprès des traders ou des hedge funds.

Enfin, la réglementation des banques et des assurances prend une orientation inquiétante. Loin de moi l'idée de critiquer les efforts faits pour la renforcer, mais ce travail est mené en réaction à la crise qui a précédé. Aujourd'hui, les règles en matière de fonds propres incitent tous les intermédiaires à augmenter leurs portefeuilles de titres publics au détriment de leurs portefeuilles de titres privés, au moment même où des doutes surgissent à propos de cette dette. Les banques de la zone euro détiennent actuellement 4 500 milliards d'euros de titres publics…

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