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Intervention de Michel Mercier

Réunion du 30 novembre 2010 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Merci pour vos paroles de bienvenue. Nous aurons en effet plusieurs occasions de nous revoir dans les semaines qui viennent, puisque nombre de textes qui intéressent la commission des lois sont inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, notamment celui sur la garde à vue, qui devrait venir en discussion au cours du mois de janvier.

Les deux textes que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui s'inscrivent dans une démarche globale voulue par le Président de la République, qui vise à renforcer la garantie des droits et libertés de nos concitoyens. Ils font suite à la révision de la Constitution, aux côtés d'autres dispositions telles que celle relative à la question prioritaire de constitutionnalité.

C'est le comité Balladur qui a le premier, dans sa préconisation n° 76, proposé que puisse être saisi directement par tous les citoyens et par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service, un défenseur des droits. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a consacré cette nouvelle autorité en fixant le cadre de ses attributions et de ses modalités d'intervention dans l'article 71-1 de la Constitution. En inscrivant le défenseur des droits dans la norme suprême, le constituant a manifesté l'autorité qu'il entend lui reconnaître, à l'instar des États membres de l'Union européenne qui avaient déjà donné rang constitutionnel à ce type d'institution, l'Espagne, le Portugal ou encore la Suède. Parce que la saisine du juge reste difficile, parce qu'un regard en équité est parfois indispensable, il fallait créer le défenseur des droits et exprimer l'importance qui s'attache à cette institution. Reste à en préciser les contours : c'est l'objet des textes qui vous sont soumis.

Voici donc une réforme d'ampleur. Votre rapporteur, dont je salue le travail déjà riche et approfondi, partage – je crois – ses grands objectifs. Il s'agit de mettre en place une autorité au périmètre large pour plus de clarté dans la défense des droits et des libertés, et aux prérogatives fortes pour une protection plus efficace de ces droits et libertés.

Nous sommes partis d'un constat. La multiplication des autorités administratives indépendantes – plus de quarante à ce jour – répond à une double préoccupation : protéger les droits et libertés des citoyens face au poids de l'administration et à l'essor de certaines technologies, et développer la régulation dans les divers secteurs de la vie économique. C'est une évolution légitime, que l'on observe dans de nombreux pays. Elle n'en soulève pas moins des questions. Je tiens d'ailleurs à saluer, à cet égard, la qualité des travaux de MM. Vanneste et Dosière, et je partage bien des conclusions de leur excellent rapport sur les autorités administratives indépendantes. Les textes que je vous présente aujourd'hui permettent de répondre à nombre de leurs préoccupations, notamment en ce qui concerne le regroupement de certaines autorités administratives indépendantes. Si la mission de celles-ci est essentielle, la coexistence de structures diverses crée en effet des difficultés. L'organisation actuelle manque de clarté pour nos concitoyens, et peut même nuire à la cohérence de l'action de ces autorités.

C'est à ces questions que cherchent à répondre les textes qui vous sont soumis. Il s'agit d'instituer une structure unique, plus large, plus visible et plus facilement identifiable, dont la saisine par les citoyens sera facilitée – elle est directe et gratuite. Il n'y a donc aucune entrave à la saisine du défenseur des droits, y compris pour les mineurs. Le défenseur aura par ailleurs la possibilité de s'autosaisir dans tous les domaines de sa compétence. À ce stade, et grâce notamment aux travaux du Sénat, il regroupe les compétences du médiateur de la République, de la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), du défenseur des enfants et de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Il bénéficie ainsi d'une vision transversale de la protection des droits et libertés.

Cette autorité plus visible jouit d'un statut renforcé et de garanties d'indépendance et d'autorité. Le mode de nomination du défenseur des droits – par décret en conseil des ministres après avis des commissions compétentes des deux assemblées –, les immunités dont il bénéficiera et les incompatibilités auxquelles il sera soumis, participent du renforcement de son statut.

Le défenseur des droits se voit reconnaître des pouvoirs étendus, à commencer par ses pouvoirs d'investigation et de contrôle. Il pourra procéder à des vérifications sur place, voire à des visites inopinées – ce qui répond à une revendication ancienne, notamment dans le champ de la lutte contre les discriminations. Des sanctions pénales sont prévues pour quiconque ferait opposition à ces pouvoirs d'investigation sans raison valable. Il dispose également d'un pouvoir d'injonction. Si ses recommandations restent sans effet, il peut prendre les mesures nécessaires, et le cas échéant publier un rapport spécial. Il peut proposer la conclusion de transactions pour mettre fin aux litiges.

Enfin, il peut présenter des observations dans des affaires en cours, soit spontanément soit à l'invitation de la juridiction ou d'une des parties au litige – et cela, qu'il s'agisse d'une affaire civile, administrative ou pénale. Il se voit d'autre part reconnaître, conformément à la proposition de Jean-Paul Delevoye, le droit de saisir le Conseil d'État, ce qui lui permettra de faire trancher une question sur l'interprétation de textes. Il pourra en outre faire des propositions pour améliorer la réglementation.

Doté d'importants moyens d'expertise, il sera assisté par des adjoints et des collèges, qui lui apporteront leurs compétences dans chacun de ses domaines d'intervention. Une attention toute particulière est donnée à la protection des mineurs : un des adjoints portera le titre de défenseur des enfants. Il n'en est pas moins indispensable de conserver toute son unité à cette nouvelle autorité, sous peine d'entamer l'efficacité de son intervention.

Voilà donc où nous en sommes à l'issue du débat au Sénat. Mais il convient encore d'enrichir les textes pour trouver l'équilibre nécessaire.

Le Sénat a procédé à des modifications majeures en intégrant les attributions de la HALDE dans le champ de la nouvelle autorité et en créant auprès du défenseur les adjoints qui permettront d'éclairer ses décisions. J'appelle cependant votre attention sur la nécessité de trouver un équilibre dans la définition des compétences et l'organisation de la nouvelle autorité. Le Sénat a renforcé le pouvoir des collèges, en rendant leur intervention contraignante pour le défenseur. Cette évolution risque de dénaturer la nouvelle autorité, et elle ne répond pas à la volonté du constituant – la Constitution dispose que « les collèges assistent le défenseur ». De même, les adjoints doivent être les collaborateurs de la nouvelle autorité : à ce titre, ils ne disposent pas de pouvoirs propres. Enfin, s'il est normal d'exiger un rapport d'activité, faut-il demander des rapports multiples ? Donnons à la nouvelle autorité les moyens de fonctionner, et laissons le défenseur définir sa pratique institutionnelle !

Permettez-moi enfin de vous faire part de mes réserves quant à l'idée que le défenseur des droits puisse se saisir de litiges entre personnes publiques. Ce n'est ni sa vocation, ni son intérêt. J'y suis donc hostile.

Avec le défenseur des droits, nous renforçons les modes alternatifs de règlement des litiges intéressant les citoyens et les administrations. Garant du bon fonctionnement des juridictions, je suis profondément soucieux qu'elles jouent tout leur rôle. Le défenseur des droits se situera, lui, sur un terrain qui lui est propre. Nous ouvrons ainsi des perspectives nouvelles pour une meilleure protection des droits et des libertés.

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