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Intervention de Frédéric Oudéa

Réunion du 3 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société Générale :

En matière de régulation européenne, un compromis a été trouvé, des chantiers ont été lancés. Sans aller jusqu'à la création d'un régulateur européen, on améliore la coordination entre régulateurs nationaux et l'anticipation du risque systémique.

En ce qui concerne le secteur bancaire, le chantier est très avancé. Il reste à traiter le cas des institutions dites « systémiques ». À nos yeux, la crise a clairement montré qu'on ne peut pas lier taille et risque : certaines grandes banques ont très bien résisté. Il ne faudrait donc pas « surtaxer » les grandes banques en termes de capital. L'Europe a besoin de banques puissantes, capables d'accompagner ses entreprises. Si pour un projet en Chine, en Afrique ou en Amérique latine, une entreprise européenne se trouve en concurrence avec une entreprise américaine, une banque américaine aura tendance à privilégier la seconde, pour des questions d'intérêts ; pour la compétitivité future des entreprises européennes, il faut donc un secteur financier fort en Europe. Réduire à néant les avantages – en termes d'économies d'échelle et de sécurité des contrôles, notamment – que procure la taille, en imposant des exigences supplémentaires en capital, risque fort de conduire à une fragmentation du secteur bancaire européen et d'avoir des conséquences négatives.

La liquidité est elle aussi un enjeu clé. Permettez-moi de démentir l'idée fausse, mais pourtant largement répandue dans la presse, que nous empruntons à la Banque centrale à 1 % à 3 mois pour financer des prêts immobiliers à quinze ans ou des prêts aux entreprises à cinq ans : c'est une absurdité. Pour accorder ces prêts, nous avons besoin de ressources longues – dépôts, parce qu'ils sont stables, et emprunts pour une durée de trois à sept ans que nous contractons sur le marché et qui coûtent, croyez-moi, autrement plus cher. Une banque comme Northern Rock a fait faillite non pour un problème de capital, mais parce qu'elle finançait des prêts immobiliers avec des ressources à trois mois : en cas de crise, quand arrive l'échéance, les investisseurs ne veulent plus prêter – et c'est la faillite. Tout l'enjeu de la liquidité est l'équilibre entre la durée des prêts et celle des ressources. Mais il ne faut pas aller trop loin dans la contrainte, faute de quoi, en obligeant les banques à se procurer des ressources très longues et très chères, on les dissuadera de prêter. D'ores et déjà, ce qui a été décidé va changer le paysage et les pratiques bancaires.

En matière de rémunérations des opérateurs de marché, le G20 a fixé des règles et la Commission européenne aussi. La réglementation des hedge funds vient d'être votée à Bruxelles.

S'agissant enfin de la constitution de chambres de compensation, nous progressons. Les Américains sont en avance parce qu'ils avaient déjà des plate-formes avec des outils informatiques disponibles. L'Europe doit se montrer capable de se doter de ce type de plate-forme, avec une sécurité suffisante, assurée probablement in fine par la Banque centrale européenne.

Si l'on va jusqu'au bout de la démarche, on aura, en très peu de temps, bouleversé la réglementation. Il serait alors sain de faire le bilan après deux ans d'application, pour éventuellement compléter ou amender le dispositif.

La concurrence entre banques, que vous évoquiez dans votre deuxième question, est un sujet fondamental. Aujourd'hui, dans les dix principales banques mondiales, vous trouvez trois banques chinoises et une banque brésilienne. Dans dix ans, vous aurez probablement encore plus de banques chinoises, peut-être deux banques brésiliennes, et il n'est pas impossible qu'il y ait une banque russe. L'Europe bancaire sera ce que sera l'Europe : je suis partisan, en tant que citoyen, d'une plus grande intégration européenne car c'est à mes yeux la seule façon pour l'Europe de peser politiquement et économiquement ; et si l'Europe va vers plus d'intégration, on devrait aller aussi vers une plus grande intégration bancaire. À l'inverse, si l'Europe se fragmente, on n'assistera sans doute pas à un mouvement de consolidation car la banque restera un outil de souveraineté nationale. La manière dont la nouvelle régulation sera appliquée peut éventuellement compliquer encore la position des banques européennes.

Aux États-Unis, la réforme adoptée est très ambitieuse mais il demeure des interrogations sur l'application des accords de Bâle III, au vu de certaines incohérences entre les textes. Peut-être, pourrait-on conditionner l'application de ces règles en Europe à l'assurance d'une réciprocité ? Quant aux pays émergents, ils sont dans des logiques très variées et, pour le moment, voient tout cela d'assez loin. La réglementation chinoise est assez spécifique. De toute façon, les marchés des pays émergents sont peu accessibles aux banques étrangères, et les banques chinoises, sollicitées par la croissance de leur pays, ne sont pas pour le moment dans une logique de développement international poussé – la question pourrait se poser ultérieurement.

Je le répète, il faut cesser de stigmatiser les banques. D'une part, la crise ne peut être résumée à une crise bancaire. D'autre part, une industrie bancaire solide est une force pour la compétitivité d'un pays.

Enfin, pour répondre à votre dernière question, sur le G20 et la présidence française j'en attends principalement deux choses. Tout d'abord, que les règles bancaires soient stabilisées, afin que nous puissions nous y adapter : il n'est pas bon de rester dans l'incertitude. Ensuite, que l'on parvienne aussi à régler la question des changes : la valeur de l'euro par rapport au dollar et par rapport aux monnaies asiatiques sera décisive dans la croissance à venir. Il ne faut pas que nous soyons pénalisés par un euro trop fort, et il ne faut pas qu'il y ait trop de volatilité, ingérable pour les entreprises. Tout ce qui ira dans le sens d'une meilleure coordination des politiques des banques centrales sera donc bienvenu. Les autres sujets sont la mise en oeuvre des réglementations et la définition d'une stratégie de développement pour chacun des pays.

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