Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Frédéric Oudéa

Réunion du 3 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société Générale :

Je ne sais déjà pas vérifier le second chiffre, la BRI a plus d'informations qu'une banque isolée. Prenons l'exemple des CDS, qui sont des contrats de protection contre le risque de crédit. En l'absence de marché organisé, c'est-à-dire de place centralisant les achats et les ventes, ils ont été conclus de manière bilatérale. Une banque A, se jugeant trop exposée à un risque sur une entreprise, mais ne souhaitant pas mettre fin à ses relations avec elle, se protège en passant un contrat de CDS avec une banque B. Si celle-ci accumule les contrats de ce type, elle pourra décider à son tour de se protéger en passant un contrat avec une banque C. C'est ainsi que la multiplication des contrats bilatéraux a abouti à une estimation de 60 000 milliards de dollars, bien supérieure à la somme des crédits sous-jacents. Car il n'existe pas de marché pour annuler les opérations de sens inverse, ce qui gonfle artificiellement « la bulle » apparente.

Y a-t-il trop de CDS ou pas assez ? Je ne sais pas juger. Pour notre part, nous soutenons l'idée de créer des places de marché, afin d'avoir une meilleure vision des volumes en question, de comprendre l'ensemble des risques et d'assurer une compensation entre les risques et les différents acteurs. La Société Générale n'est pas un acteur important en matière de CDS : nous ne vendons pas de la protection, nous n'assurons pas les autres. Nous avons tout intérêt à avoir moins de contrats bilatéraux et plus de standardisation, en passant par une place de marché.

Bref, je ne sais pas définir la bonne ou la mauvaise spéculation, mais je sais qu'il faut de la transparence, laquelle peut être assurée par le développement de plates-formes permettant une compensation entre les risques des différents acteurs.

Je sais aussi que nous avons été parfois victimes de rumeurs de marché, ce qui nous a conduits à demander à l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'enquêter. Certains acteurs peuvent être tentés de faire circuler des rumeurs pour provoquer ne serait-ce que des petits mouvements de cours. Mais encore une fois, la frontière entre bonne et mauvaise spéculation n'est pas facile à tracer.

Quant aux activités pour compte propre, déjà marginales chez nous, il est très clair que, compte tenu des changements réglementaires qui interviennent, et notamment de l'augmentation considérable de capital – trois à quatre fois plus – qui va être demandée par les régulateurs pour exercer des activités de marché, elles vont se réduire encore.

Un bref rappel sur l'affaire Kerviel. M. Kerviel a pris des positions totalement en dehors de son mandat et les a masquées par de fausses transactions. Des contrôles étaient effectués mais ils portaient les positions nettes, s'agissant d'opérations d'arbitrage. Il y avait eu des alertes, mais cela n'avait pas conduit à détecter la fraude avant le fameux week-end du début janvier 2008. Nous avons donc, en totale transparence, renforcé nos contrôles. Premièrement, nous avons instauré des limites sur les nominaux portant sur chacun des arbitrages, et non plus seulement sur la position nette. Deuxièmement, nous avons créé un département spécial de lutte contre la fraude, opérant de manière transversale : Jérôme Kerviel faisait basculer ses fausses opérations d'une entité à l'autre, si bien que les incidents n'apparaissaient pas de manière récurrente dans un même département ; le département que nous avons créé examine tous les incidents de manière transversale, en essayant à chaque fois de « tirer les fils », au-delà de notre structure d'organisation. Troisièmement, nous avons réorganisé nos back-offices en créant un département appelé product control group, qui regroupe des acteurs d'horizons différents – middle office, finance, back-office – pour comprendre la constitution du résultat dans ses moindres détails, alors que jusque-là tout était noyé dans la masse des opérations ; désormais, nous pouvons avoir une vision quotidienne fiable de nos résultats. J'ajoute que le nombre d'auditeurs et d'inspecteurs n'a cessé d'augmenter depuis trois ans ; 1 700 personnes, soit environ 1 % de nos effectifs, se consacrent aujourd'hui exclusivement au contrôle de second niveau, effectué périodiquement, en plus du contrôle de premier niveau exercé de façon permanente par chaque opérateur ou manager.

Une autre affaire Kerviel est-elle possible ? À mon avis, non. La fraude existe, dès lors qu'il y a manipulation d'argent – sur les marchés financiers, mais aussi bien dans une agence pour détourner 1 000 euros – et nous ne sommes pas capables de l'éviter totalement. En revanche, à mon sens, une fraude de cette ampleur et de cette durée ne peut se reproduire à la Société Générale.

J'en viens à la question de la régulation, et d'abord à l'analyse de la crise – car si on ne fait pas le bon diagnostic, on risque d'apporter de mauvaises réponses et de provoquer de graves désillusions.

Pour moi, il s'agit d'une crise de compétitivité, profonde, des économies développées. À partir des années 2000 surtout, les économies développées sont entrées dans une compétition nouvelle avec les pays émergents ayant des populations éduquées avec un accès aux technologies. Elles ont préservé des modèles de croissance fondés sur la consommation des ménages et le surendettement. Le meilleur exemple, ce sont les États-Unis, dont le PIB était constitué à 70 % de consommation avec, à la clé, un endettement considérable des ménages à travers le crédit immobilier et les cartes de crédit. Mais il est un autre exemple, beaucoup plus près de chez nous : l'Irlande. L'endettement des ménages et des entreprises y est passé d'environ 120 % du PIB en 2004 à environ 220 % du PIB en 2008-2009. Autrement dit, il a quasiment doublé en cinq ans. Avant la crise, l'Irlande était le pays en Europe où le PIB par tête était le plus élevé ; mais c'était une fausse richesse, fondée sur l'immobilier commercial et le crédit. Et la bulle a explosé. La situation est très variable selon les pays européens : la France n'a pas connu la même spéculation immobilière que l'Irlande ou l'Espagne. Il reste que d'une manière générale, pour les pays développés, le défi à relever est de trouver un modèle de croissance s'appuyant sur l'innovation, la compétitivité des entreprises et la réduction de l'endettement, tant public que privé – on doit en effet considérer la somme des deux comme le meilleur indicateur de l'effort à réaliser.

Il est évident que les acteurs financiers, maillon-clé de la chaîne, ont collectivement une part de responsabilité ; mais là encore, la situation est très variable d'un pays à l'autre. Aux États-Unis, des pans entiers du système financier échappaient totalement à la régulation. Il n'y avait ainsi absolument aucun contrôle sur les subprimes : des courtiers, aux origines professionnelles diverses et variées, démarchaient des particuliers pour leur proposer des prêts, en leur disant de ne pas se soucier du remboursement du capital ni même du paiement des intérêts puisqu'il leur suffirait de revendre le bien deux ans plus tard avec une plus-value. Des gens ont ainsi acheté quatre ou cinq propriétés, en pensant devenir riches ; et on sait ce qu'il est advenu. Quant aux courtiers, ils se sont tournés vers des banques d'investissement qui ont titrisé les actifs et les ont protégés comme on sait. En Irlande, il n'y avait pas de subprimes, pas de produits de marché ; mais une petite banque, l'Anglo Irish Bank, qui ne faisait que de la banque de détail, va coûter à l'État irlandais 35 milliards d'euros. Il est donc clair qu'un système de régulation fragmenté ou défaillant, qu'il s'agisse de mécanismes de marché ou d'activités de crédit très classiques, peut conduire à la catastrophe.

C'est pourquoi il faut évidemment renforcer la régulation. Pour que celle-ci fonctionne, trois conditions sont nécessaires, mais aucune n'est suffisante. C'est en agissant sur les trois volets du triptyque qu'on peut assurer la solidité du système. Les exemples français, mais aussi canadien, australien, ou même italien, montrent que l'on parvient ainsi à surmonter les crises sans trop exposer le contribuable.

Premièrement, la distribution du crédit doit être elle-même contrôlée et saine. Avant d'accorder un prêt, nous nous assurons de la capacité du bénéficiaire à rembourser sur ses revenus. Aux États-Unis, les crédits étaient accordés sur la base de la valeur de l'actif : on partait de l'idée que le prix de cet actif ne cesserait de monter et que le crédit serait remboursé par la plus-value. L'outil informatique des courtiers américains, m'a-t-on dit, ne comportait pas de case où inscrire le salaire des clients. C'est ainsi que l'on crée des bulles et que, lorsque le prix s'effondre, la capacité de remboursement disparaît.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion