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Intervention de Dominique Baert

Réunion du 28 octobre 2010 à 15h15
Commission élargie : commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, commission des affaires économiques, commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Baert, rapporteur spécial, pour la mission « Engagements financiers de l'état :

En vous priant, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président, chers collègues, de bien vouloir excuser mon retard, je comptais en effet, en introduction de mon projet de rapport, remercier les services de Bercy et de l'Agence France Trésor car le taux des réponses aux questionnaires budgétaires qui me sont parvenues le 10 octobre, date limite fixée par la loi organique relative aux lois de finances, était de 95 % alors que je n'avais reçu aucune réponse à pareille époque l'an passé.

Je constate, ensuite, que je suis en train de devenir le rapporteur spécial le plus important. Si la mission dont j'ai à rendre compte est le troisième poste de dépenses du budget général, après l'éducation nationale et les remboursements et dégrèvements en faveur des collectivités locales, avant même la défense, elle pourrait, malheureusement, devenir le premier poste dans les années qui viennent ! Songeons que la dette publique française représente déjà 82,9 % du produit intérieur brut – PIB – en 2010 et atteindra 86,2 % du PIB en 2011. Cela correspond à un montant de 1 748 milliards d'euros ou, pour être plus concret encore, environ 26 300 euros par habitant.

Permettez-moi de donner un coup de projecteur rapide sur trois programmes.

Le programme « Charge de la dette et trésorerie de l'État » est le plus important des quatre que comporte la mission. Avec 45,45 milliards d'euros en 2011, il représente près de 97 % des 46,9 milliards de crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

La gestion « technique » de ce programme est satisfaisante, grâce à la grande réactivité de l'Agence France Trésor par rapport aux demandes du marché. Il n'y a de ce point de vue rien à dire. S'agissant en revanche des évolutions des finances publiques qui sous-tendent les dépenses de ce programme, quatre constats s'imposent.

Premier constat : le besoin de financement de l'État est en plein dérapage.

Ce besoin, constitué du déficit budgétaire et du montant des amortissements de titres arrivés à échéance, qui atteignait déjà des montants historiques dans le projet de loi de finances pour 2010, a progressé de 33 % en cours d'année 2010 – compte tenu de l'impact du grand emprunt national et du soutien en faveur de la Grèce – pour atteindre 239,1 milliards d'euros. Bien évidemment, en 2011, le besoin affiché serait en baisse de près de 40 milliards d'euros, mais cela résulte d'un simple effet mécanique lié à la non-reconduction des mesures exceptionnelles de crise. Il n'en demeure pas moins qu'avec 189,4 milliards d'euros, il dépasse de 25 milliards son niveau d'avant la crise – 164 milliards en 2008. C'est donc une donnée qui devient structurelle.

Deuxième constat : la part de la dette levée à court terme commencerait enfin à diminuer.

Le Gouvernement bénéficie en effet d'un regain de la demande des investisseurs pour les titres d'une maturité supérieure à quinze ans, qui avait été significativement affectée par la crise économique et financière. La part des bons du trésor à taux fixe (BTF) à moins d'un an, après avoir atteint un pic en 2009 – 18,6 % de l'encours total de la dette négociable de l'État –, a ainsi commencé à diminuer en 2010 et pourrait passer sous la barre des 15 % du volume de dette en fin d'année 2011. Cette démarche mérite considération car il n'est pas souhaitable que l'État finance ses déficits structurels de moyen et long terme avec des moyens de court terme ; comme tout emprunteur, il s'expose en effet à un double risque : d'abord de liquidité avec la rupture de la disponibilité de ses sources de financement ; ensuite de brutale remontée des taux d'intérêt. Cet appel croissant au court terme s'était imposé à mon attention et je vous avais interrogé précédemment sur ce point. J'observe avec intérêt ce tassement, mais je veux appeler de nouveau votre attention sur la vigilance nécessaire à cet égard.

Troisième constat : si, comme en 2009, la charge de la dette demeure contenue en 2010, elle ne le doit qu'à un effet d'optique, à savoir la conjonction opportune de taux d'intérêt encore bas et d'une inflation limitée. D'un montant d'environ 41 milliards d'euros – avant swaps – en 2010, la charge d'intérêts serait inférieure d'environ 1,5 milliard d'euros aux crédits votés. Mais cette situation ne durera malheureusement pas indéfiniment. Selon les prévisions du Gouvernement lui-même, qui table sur une remontée progressive des taux d'intérêt, la charge de la dette augmentera de 30 % entre 2010 et 2013, à un rythme d'environ 5 milliards d'euros par an, pour atteindre 45,4 milliards d'euros en 2011 et 55,2 milliards en 2013.

Cette dérive inexorable, je l'avais anticipée depuis déjà deux ans dans les prévisions que je fournissais à l'appui de mon rapport spécial. Sans doute vous en souvenez-vous, monsieur le secrétaire d'État, puisque nous les avions évoquées en commission élargie.

Quelle sera cette charge en cas de hausse des taux ? À titre indicatif, une hausse des taux globale et pérenne de 1 point entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des intérêts de la dette d'environ 2 milliards dès la première année, de 3,9 milliards l'année suivante, de 5,9 milliards la troisième année, jusqu'à environ 14 milliards à un horizon de dix ans. Confirmez-vous ces chiffres ?

Quatrième constat : au-delà de la question de la charge de la dette, c'est plus généralement le problème de l'emballement de l'endettement public et de ses conséquences lourdes et mécaniques qui est aujourd'hui posé. Ce sera le corset de toutes les politiques économiques et budgétaires pour de nombreuses années. Après 78,1 % en 2009, la dette publique devrait, selon les prévisions du Gouvernement, atteindre 82,9 % en 2010, puis 86,2 % en 2011 et 87,4 % en 2012.

Or, nul ne doute désormais du relèvement des taux d'intérêt de court, moyen et long terme, à laquelle la France se trouve d'autant plus exposée que 70 % de sa dette est dorénavant détenue par des non-résidents : des risques d'assèchement de certains segments de titres publics et de liquidités ne sont plus à négliger. Dans la mesure où les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent le scénario du Gouvernement sont plus qu'optimistes, avec une croissance de 2,5 % par an dès 2012 et une progression des dépenses publiques de 0,8 % – soit un niveau jamais atteint correspondant au tiers de la progression tendancielle desdites dépenses entre 2000 et 2008 –, la perspective d'un endettement supérieur à 90 % voire 100 % du PIB n'est plus un exercice théorique, comme le montrent les simulations que j'ai explorées dans le cadre de mon rapport spécial.

Une étude récente menée par les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff montre qu'au regard de l'évolution de la dette et de la croissance de vingt pays avancés depuis plus d'un siècle, une dette supérieure à 90 % du PIB est associée à une croissance très inférieure à la moyenne. La dette publique d'aujourd'hui va corseter non seulement les dépenses budgétaires de demain, mais aussi notre croissance économique d'après-demain.

Dès lors, quelles sont les garanties que peut apporter le Gouvernement pour nous démontrer le caractère soutenable de nos finances publiques à l'horizon 2013 ?

S'agissant du grand emprunt, pouvez vous expliciter les modalités de suivi et d'évaluation de l'action des opérateurs signataires d'une convention d'avenir ? On est vraiment sur une colossale opération de débudgétisation ! Quels sont les pouvoirs de l'État dans l'utilisation des fonds, par exemple en cas de performance non satisfaisante ? Comment l'État pourra-t-il réallouer les fonds ?

Le deuxième coup de projecteur concerne le programme « Appels en garantie de l'État », qui bénéficierait de 227,3 millions d'euros de crédits en 2011. Les principales dépenses concernent deux domaines.

D'abord, des garanties de prêts de l'Agence française de développement (AFD) et de la Banque européenne d'investissement (BEI) pour 74 millions d'euros, en réduction de 40 % par rapport à l'an passé. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette évolution à la baisse, le projet annuel de performances pour 2011 étant muet sur le sujet ? Faut-il y voir un désengagement du Gouvernement en faveur de l'aide publique au développement ?

Ensuite, des garanties d'aides à l'exportation de la Coface. D'un montant de 122 millions d'euros, les crédits de l'action « Développement international de l'économie française » ont progressé de 42 % entre 2010 et 2011. Cette augmentation me semble essentiellement imputable aux réformes des procédures de garanties de la Coface. Pouvez-vous, par conséquent, nous indiquer dans quelle mesure les garanties Coface ont effectivement permis de soutenir nos exportations et de réduire les défauts de paiement en 2010 ? Quelles sont les perspectives attendues pour 2011 ?

Le dernier coup de projecteur concerne les crédits budgétaires du programme « Épargne », systématiquement sous-évalués depuis 2006. Malgré l'augmentation des crédits ouverts en loi de finances initiale en 2009 et 2010 et la baisse des primes d'épargne logement depuis 2009, les reports de charges d'une année sur l'autre sont toujours monnaie courante. Si le découvert de l'État auprès du Crédit Foncier de France s'est fortement réduit en 2010, passant de 719,2 millions d'euros en 2009 à 144,7 millions d'euros, le problème n'est toujours pas réglé. Sachant que l'année 2011 devrait se traduire par une augmentation du montant des primes d'épargne logement, envisagez-vous d'apurer enfin les dettes de l'État vis-à-vis du Crédit Foncier de France dès 2010 ? Il y a deux ans, vous m'aviez affirmé que cela prendrait « un certain temps ». Sans doute avez-vous précisé le calendrier depuis, car il n'est pas normal ni sain que le Crédit Foncier soit un banquier de l'État. Proposerez-vous donc d'ouvrir des crédits en collectif budgétaire de fin d'année pour faire face à cette situation ?

Enfin, le programme « Épargne » se caractérise par d'importantes dépenses fiscales. Fait préoccupant, alors qu'elles représentaient 8,5 % de l'ensemble des dépenses fiscales en 2010, les dépenses fiscales rattachées à ce programme ne représentent plus que 5,6 % en 2011. S'agit-il, comme le projet annuel de performances pourrait le laisser croire, d'une baisse drastique de 40 % de ces dépenses en 2011 ? Non, puisque le tome II de l'annexe relative aux « Voies et moyens » lève le lièvre en indiquant que deux des principales dépenses fiscales du programme n'ont pas été supprimées, mais déclassées : elles sont désormais considérées comme des modalités de calcul de l'impôt. Il s'agit des mesures n° 100112, « Déduction des cotisations versées au titre de l'épargne retraite individuelle et facultative (PERP), et n° 120139, « Exonération des sommes prélevées sur un compte épargne-temps (CET) pour alimenter un PERCO » – plan d'épargne pour la retraite collectif.

De plus, alors que l'évaluation des 27 dépenses fiscales du programme en 2011 est inférieure de 40 % à l'évaluation de ces mêmes dépenses en 2010, aucune explication n'en est présentée dans les documents budgétaires. Je rappelle, que le montant total de ces dépenses passe de 6 milliards en 2010 à 3,6 milliards en 2011.

Je ne puis résister – et c'est ma mission de rapporteur spécial – à vous demander d'éclairer le Parlement sur les raisons de ce déclassement de deux des dépenses fiscales et de nous expliquer pourquoi l'évaluation des 27 dépenses fiscales du programme en 2011 est inférieure de 40 % à l'évaluation de 2010.

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