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Intervention de Hervé Drouet

Réunion du 21 octobre 2010 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales, CNAF :

J'articulerai mon propos autour de quatre points : ce que recouvre exactement le phénomène de la fraude, tant il est vrai que l'on ne lutte bien que contre ce que l'on connaît bien ; les résultats des politiques de contrôle menées par la Caisse nationale des allocations familiales ; la sanction des actes frauduleux, dans la mesure où le sentiment d'impunité pourrait entraîner une moindre adhésion de nos concitoyens à un système précisément fondé sur la justice sociale ; les perspectives de la lutte contre les fraudes, identifiée comme une priorité dans la convention d'objectifs et de gestion.

Pour évaluer le phénomène de la fraude aux prestations familiales, il faut évidemment commencer par définir précisément ce dont on parle. Or les frontières entre la fraude, l'abus, l'erreur et l'omission, également susceptibles de générer des indus, sont parfois floues. Selon les critères que nous avons retenus, la qualification de fraude repose d'une part sur l'établissement de faits matériels, d'autre part sur celui du caractère intentionnel.

Les critères matériels que nous retenons pour conclure à une suspicion de fraude sont : une inexactitude sur une information insusceptible d'erreur, telle que le mariage ou l'activité professionnelle ; les répétitions d'erreurs sur une même information susceptible d'erreur ; une omission de déclaration remontant à plus de six mois ; la production de documents falsifiés – fait matériel qui prouve quasiment par lui-même l'intention frauduleuse.

Il faut ensuite, pour savoir s'il y a fraude, examiner les critères déterminant l'intention. Ainsi, selon le niveau d'information dont disposait l'allocataire, on conclura plutôt à une omission ou une erreur de bonne foi ou, au contraire, au caractère intentionnel. Certains éléments matériels suffisent à prouver l'intention, que ce soit l'établissement de faux ou les opérations en série supposant une connaissance très précise de la réglementation, telles que les montages auxquels nous avons été confrontés à Bordeaux et à Perpignan.

Une fois la fraude précisément définie, il faut en cerner l'ampleur potentielle. Une simple extrapolation des fraudes détectées comporterait trop de biais car les contrôles ayant permis de découvrir ces fraudes sont déjà ciblés. Nous avons donc lancé en 2009 – nous sommes la première branche prestataire à le faire – une enquête statistique consistant à effectuer des vérifications systématiques, conduites par des agents de contrôle assermentés, auprès de 10 500 allocataires choisis de façon aléatoire sur l'ensemble du territoire, afin d'en tirer des résultats extrapolables. Par cette méthode, nous sommes arrivés à la conclusion que la masse des indus était comprise entre 1,66 milliard et 1,96 milliard d'euros. Ce résultat correspond – et c'est assez remarquable – au montant des indus effectivement détectés, qui est de l'ordre de 2 milliards d'euros. La part des indus liés à des fraudes est estimée à un montant compris entre 540 et 808 millions d'euros, soit entre 0,91 % et 1,36 % du montant total des prestations versées en 2009. La proportion d'allocataires auteurs d'une fraude est estimée à 2,15 %, ce qui représente environ 200 000 personnes.

Les indus, qu'ils soient frauduleux ou non, sont majoritairement recouvrés – à hauteur de 88 % sur trois ans ; par ailleurs, je viens d'indiquer que selon les résultats de l'enquête, les indus détectés et les indus potentiels coïncident. Si tous les indus frauduleux avaient été reconnus et qualifiés comme tels, ils n'auraient, en conséquence, pas fait l'objet de remises de dette – lesquelles s'appliquent à 11 % des indus. Le montant estimé des fraudes étant, je l'ai dit, compris entre 540 et 808 millions d'euros, on peut donc estimer le préjudice de la branche à 11 % de cette somme, soit 65 à 97 millions.

Les prestations faisant l'objet du plus grand nombre de fraudes sont le revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), soit l'ancienne allocation de parent isolé (API), avec un taux de fraude de 3,1 %, et le revenu de solidarité active (RSA), avec un taux de 3,6 %. Les types de fraude les plus fréquents sont l'omission frauduleuse (31 % des cas) et la fausse déclaration (23 % des cas). On enregistre peu de cas d'escroquerie ou de faux et usage de faux.

Cette étude, qui est une première dans la sphère sociale, comme l'a rappelé la Cour des comptes, est riche d'enseignements. On constate tout d'abord que, s'il y a des indus, ainsi que, en sens inverse, des rappels – la caisse n'ayant pas versé ce qui était dû –, plus de 96 % des sommes versées par la branche Famille l'ont été à bon droit. En second lieu, cette étude permet de cerner le risque potentiel de fraude. Nous rééditerons l'exercice dans les mois qui viennent afin de suivre, d'une année sur l'autre, l'efficacité de notre politique de contrôle et l'évolution des comportements des allocataires.

Deuxième point de mon propos : les résultats des politiques de contrôle menées par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

Les cas de fraude constatés en 2009 sont au nombre de 11 733 et constituent un préjudice financier de 85,6 millions d'euros. Cela représente un huitième, voire un dixième seulement du montant de la fraude potentielle (estimé entre 540 et 808 millions d'euros). Il paraît donc prioritaire d'améliorer l'identification et la qualification de la fraude dans l'analyse des indus. C'est la raison pour laquelle nous avons aussi lancé une enquête sur ce sujet – origine des indus, profil des débiteurs.

Parallèlement à l'augmentation constante du nombre de cas depuis 2004, l'enquête révèle un tassement en termes de montants. Le préjudice moyen est passé de 8 500 euros en 2008 à 7 300 euros en 2009, du fait d'une détection plus précoce des fraudes.

La typologie des fraudes constatées coïncide avec celle des fraudes potentielles, ce qui montre que nos contrôles sont bien ciblés. Les prestations les plus fraudées sont aussi celles qui le sont potentiellement le plus : il s'agit du revenu minimum d'insertion ou revenu de solidarité active et de l'allocation de parent isolé ou revenu de solidarité active majoré, pour 50 % des cas et 70 % du montant, et des aides au logement, pour 26,5 % des cas et 20,5 % du montant. La prépondérance du revenu minimum d'insertion et du revenu de solidarité active s'explique par le fait qu'il s'agit de la prestation dont le montant est le plus élevé.

62 millions d'opérations de contrôle ont été menées en 2009. 20 millions d'entre elles étaient issues d'un échange de données, notamment avec la direction générale des finances publiques et Pôle emploi, au titre des ressources. 42 millions d'opérations ont été réalisées par vérification comptable et grâce à des contrôles sur place et sur pièces.

3,6 millions d'informations ont été vérifiées sur place, lors de 280 000 contrôles menés par 605 agents assermentés. Ces contrôles sur place, les plus « rentables » en termes de détection de situations frauduleuses, sont indispensables pour établir certaines catégories de fraudes, notamment la fraude à l'isolement. La branche procède au recrutement de contrôleurs (24 agents supplémentaires l'année dernière), les caisses étant invitées à se rapprocher d'un ratio moyen d'un contrôleur pour 26 000 allocataires et d'un taux de 400 à 500 contrôles, selon les situations géographiques et sociologiques, par an et par contrôleur.

La constitution, à partir de 2008, du répertoire national des bénéficiaires a constitué un progrès majeur. Ce fichier unique recense les allocataires et ayants droit des caisses d'allocations familiales, tous identifiés grâce à leur numéro géré par l'Institut national de la statistique et des études économiques, le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques. Chaque inscription donne lieu à une procédure très rigoureuse de certification du numéro d'inscription au répertoire avec vérification de l'état civil des personnes et de la stricte coïncidence entre les informations de la caisse d'allocations familiales et les données du système national de gestion des identités (SNGI) – service central qui gère les numéros d'inscription au répertoire pour le compte de l'ensemble des institutions. Un très gros travail de rapprochement des noms patronymiques, des prénoms, des dates et des lieux de naissance a donc été mené – non sans difficultés parfois pour les personnes nées à l'étranger. Le répertoire national des bénéficiaires permet aujourd'hui de procéder systématiquement et en temps réel à des requêtes de multi-affiliation – pour vérifier qu'il n'y a pas affiliation dans plusieurs caisses d'allocations familiales sur le territoire, fraude à laquelle nous avions été confrontés dans le passé, notamment pour le revenu minimum d'insertion. Il s'agrégera prochainement aux répertoires des autres branches et organismes sociaux pour constituer le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).

J'en viens, troisièmement, aux sanctions.

Au-delà de la récupération des indus liés à la fraude – qui d'ailleurs, du fait de l'importance des montants, est parfois étalée sur plusieurs exercices –, il convient en effet de prendre des sanctions, avant tout dans un souci de justice et d'exemplarité.

Sur les 11 733 cas de fraude détectés en 2009, 9 410 – soit 80 % – ont fait l'objet de sanctions. Celles-ci peuvent prendre la forme d'un dépôt de plainte, d'une suspension des aides au logement ou d'une pénalité financière, prononcée directement par la caisse d'allocations familiales concernée depuis 2007. En 2009, 1 869 pénalités ont été prononcées, pour un montant total de 1,1 million d'euros et un montant moyen de 589 euros. Cet outil précieux a vu son régime modifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, dans le sens d'une plus grande efficacité.

Enfin, concernant les perspectives, outre la montée en charge du répertoire national commun de la protection sociale, les données relatives à l'identité ont été agrégées cet été, celles relatives aux prestations le seront au premier semestre de l'année prochaine –, la branche Famille vise quatre objectifs : poursuivre le travail d'évaluation de la fraude, afin de mieux cerner les moyens à mettre en oeuvre ; améliorer l'efficience des contrôles par un meilleur ciblage, grâce notamment au « data mining » – technique d'analyse multicritères pour le profilage des dossiers à risque, actuellement expérimentée dans 17 organismes et qui devrait être généralisée début 2011 ; créer une base d'informations nationale sur la fraude, également début 2011, après autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ; poursuivre les croisements de fichiers, et notamment, en matière de logement, avec le fichier cadastral de la direction générale des finances publiques afin de repérer les logements fictifs donnant lieu à allocation de logement – une expérimentation est en cours dans deux départements, en vue d'une généralisation.

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