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Intervention de Claude Bartolone

Réunion du 19 octobre 2010 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Discussion générale commune suite

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bartolone :

Mais il est des moments où ces messages sont utiles, notamment lorsque l'on entend, dans cet hémicycle, des discours différents qui dévoilent la véritable nature des décisions qui nous ont été proposées par le Gouvernement et qui ont été votées par le Parlement.

À ce propos, monsieur le ministre, je souhaiterais évoquer les collectivités locales, et plus précisément les départements, qui illustrent le sort qu'elles peuvent connaître. Dans les années 1980, le Parlement a, au cours de longues heures de débat, défini de nouvelles règles d'organisation de la République pour aboutir à une République décentralisée. Nous avons ainsi établi des critères financiers et de responsabilité qui ont permis qu'un certain nombre de compétences soient gérées au plus près des citoyens, afin que des réponses soient apportées à leurs inquiétudes et à leurs demandes. Ce faisant, nous avons conjugué une nouvelle forme de démocratie et des services publics de proximité.

Or, ces deux points devraient attirer votre attention, à l'heure où nous abordons les dernières heures de la discussion de la réforme des collectivités territoriales, car ce budget pourrait menacer à la fois la démocratie et un certain nombre de services publics. En effet, si, demain, les départements et leurs moyens financiers venaient à disparaître se demander, qui prendrait en charge la PMI qui, bien souvent, dans les quartiers populaires, est le dernier endroit où l'on peut avoir accès à la santé ? Qui prendrait en charge ce chaînon manquant de l'éducation nationale que sont les collèges ? Qui prendrait en charge le vieillissement de la population et la solidarité ?

Trois actes marquent une rupture avec la République des territoires.

Acte I, la dette de l'État.

Jusqu'à présent, il ne s'agissait que de discours ; mais aujourd'hui, pour les départements, c'est une réalité. Les dépenses sociales nettes obligatoires consacrées l'ensemble des départements au versement des trois allocations nationales de solidarité – RSA, APA, PCH – devraient s'élever à 13,68 milliards d'euros, dont seulement 7,64 milliards seront compensés. Pourtant, ce n'est qu'au nom de l'État que les départements versent aux Français ces allocations qui font vivre la solidarité nationale. Un tel système de non-compensation pourrait aboutir à ce que les pauvres paient pour les plus pauvres et les vieux pour les plus vieux.

La dette de l'État vis-à-vis du département de la Seine-Saint-Denis depuis 2004 s'élève à 640 millions d'euros. L'Assemblée des départements de France, qui est actuellement réunie en congrès à Avignon, réclame donc unanimement l'examen d'une proposition de loi posant les principes d'un rééquilibrage du financement des trois allocations individuelles de solidarité : l'APA, la PCH et le RSA. J'espère sincèrement que nous pourrons en débattre très vite, car, faute d'une discussion rapide, vous risquez de soigner des départements qui seront déjà morts…

Acte II, la suppression de la taxe professionnelle, l'an dernier.

Cette mesure a été une véritable catastrophe, car les départements ont un besoin vital de mobiliser leurs recettes fiscales afin de pallier la défaillance de l'État dans la compensation des transferts de compétences. Pour vous donner un exemple précis, en 2010, la perte sèche a été de 10 millions d'euros pour le département de la Seine-Saint-Denis, en raison de la non-revalorisation physique des bases. Cela m'amènera à vous proposer un amendement visant à établir une compensation-relais pour corriger cet effet immédiat de la suppression de la taxe professionnelle.

Cerise sur le gâteau – la logique d'une telle mesure est véritablement incompréhensible –, les départements continuent à payer le ticket modérateur sur une taxe professionnelle qui a été supprimée ! Son intégration au panier de ressources dans la loi de finances initiale pour 2010 a entraîné, pour la Seine-Saint-Denis, une reconduction permanente et tacite d'un prélèvement de 36 millions d'euros, quand les Hauts-de-Seine, avec des dépenses sociales moindres, n'acquittent qu'un prélèvement de 3 millions d'euros. N'y voyez aucune jalousie vis-à-vis de ce département ; je veux seulement souligner une inégalité : à population et ressources à peu près égales, après avoir payé toutes leurs dépenses obligatoires, les Hauts-de-Seine disposent encore de près de 500 millions d'euros, alors qu'il reste moins de 100 millions d'euros à un département pauvre, jeune et populaire comme la Seine-Saint-Denis.

En réponse à nos protestations, on nous avait annoncé une clause de revoyure de la suppression de la taxe professionnelle, qui a été difficilement obtenue du Gouvernement par le Parlement l'an dernier. Or elle n'a abouti à rien, ou presque. Seul un nouveau prélèvement opéré sur les départements et régions est prévu dans le texte que nous examinons. Décidé en urgence, il constitue une absurdité de plus, puisque la prise en compte exclusive du potentiel fiscal aboutit à une déconnection entre la péréquation et la réalité sociale et économique des départements. Aussi vous proposerai-je un amendement visant à exempter de ce prélèvement supplémentaire les départements dont la dépense sociale nette obligatoire est supérieure à la moyenne nationale de 25 %.

Acte III, le gel des dotations de l'État.

C'est le coup de grâce porté aux collectivités. Privées de leurs ressources propres, elles sont désormais financièrement dépendantes de l'État, qui a voulu priver les élus locaux de leur autonomie financière, donc politique. Vous décidez, par le gel des concours financiers, de faire porter le chapeau de votre politique d'austérité à des collectivités mieux gérées que l'État. L'effort demandé aux collectivités territoriales est colossal : il est, à champ courant et en comptabilité nationale, trois fois supérieur à celui de l'État ou à celui de la Sécurité sociale, alors que la part de la dette des collectivités atteint à peine 10 % de la dette publique française. Compte tenu de la situation alarmante des départements, il aurait été plus raisonnable de retenir comme norme d'évolution des dotations l'inflation prévisionnelle pour 2011, du reste modérée.

Alors, que faire ? Tout d'abord, il faut parler. Dans de très nombreux départements de France, des initiatives ont été prises. La Seine-Saint-Denis a ainsi adopté un budget de révolte. D'autres ont choisi des mots différents pour faire passer ce message. L'Association des départements de France a fait son travail, sous la houlette de Claudy Lebreton, et le congrès de l'ADF, qui se tient en ce moment, permettra d'amplifier ce mouvement de fond.

Ensuite, les départements veulent faire valoir le droit. Tout le droit, rien que le droit. De fait, d'acte en acte, un fondement constitutionnel est remis en cause par le Gouvernement et il reviendra au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la réalité de l'autonomie des collectivités territoriales depuis que de mauvaises réformes les en ont privées.

Enfin, il faut proposer. Une réforme de solidarité territoriale est non seulement possible, mais nécessaire et urgente. Une véritable péréquation doit être mise en oeuvre. La prise en compte d'un critère de dépenses sociales dans les divers mécanismes de péréquation est centrale, car c'est le coeur de compétence des départements.

Si je prends acte de l'amélioration du caractère progressif de la péréquation du fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux proposée dans le texte, il ne me semble pas possible de ne pas prendre en compte les charges sociales propres à chaque département. Aussi vous proposerai-je d'ajouter un critère lié aux charges sociales pour apprécier les départements qui seront soumis à péréquation, ce critère complémentaire étant le montant des prestations sociales nettes obligatoires par habitant.

Signe que la situation est extrêmement préoccupante : le président du conseil général du Loiret, pourtant proche de la majorité présidentielle, a lui-même réclamé au Premier ministre, non plus des promesses, mais des mesures d'urgence immédiates, pour éviter qu'un certain nombre de départements n'aillent à la casse dès 2011. Faut-il que la situation soit grave pour qu'un président de conseil général appartenant à la majorité présidentielle en vienne à demander la suspension des normes qui relèvent parfois de la sécurité pour traverser cette période ! J'espère, monsieur le ministre, que vous en tiendrez compte pour éviter que des départements ne soient contraints ou à réduire le périmètre de la solidarité ou à supprimer bon nombre d'investissements. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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