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Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 18 octobre 2010 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt :

Monsieur le ministre, je vous parlerai d'emploi et de précarité ; je vous parlerai de nos inquiétudes sur l'état social de notre pays.

Au début du mois, parce qu'il vous fallait plus de croissance, vous vous étiez servi d'un point de conjoncture publié par l'INSEE pour voir dans la réévaluation de la prévision de croissance pour 2010 – de 1,4 % au printemps, elle était portée à 1,6 % – la preuve de l'accélération de la croissance et de la sortie de crise.

Il est vrai que la croissance française devrait connaître une petite embellie cette année, avec 0,1 point de plus que l'hypothèse retenue dans la loi de finances initiale. Mais une variation de 0,1 ou 0,2 point, c'est l'épaisseur du trait ; cela ne révèle rien des tendances de fond qui affectent l'économie française. Car l'année touche bientôt à son terme, et le débat porte maintenant sur un horizon un peu plus lointain : en 2011, la France ne risque-t-elle pas d'être victime d'une rechute économique ? Les facteurs en faveur d'une prévision pessimiste sont très nombreux.

D'abord, il apparaît qu'après la très grave récession de 2009 – une diminution de 2,5 % du PIB – la reconstitution des stocks des entreprises a offert à notre économie une petite bouffée d'oxygène. Or ce phénomène, passager, ne jouera plus en 2011.

Mais il y a plus grave : le projet de loi de finances pour 2011 met en oeuvre une politique d'austérité au moyen d'une rafale de hausses d'impôts – même si ce sont, paraît-il, des réductions de dépenses fiscales – et de diminutions des dépenses publiques. Cette politique très restrictive risque de peser fortement sur la croissance : de très nombreux économistes le redoutent, notamment Joseph Stiglitz, l'ancien économiste de la Banque mondiale qui est aussi prix Nobel d'économie. Le Président de la République l'avait, je crois, récemment consulté.

Le risque est d'autant plus grand qu'aux États-Unis, la conjoncture est en train de se retourner, ce qui provoque un fléchissement de la demande adressée à l'Europe et à la France en particulier. Quoi qu'en dise aujourd'hui le Gouvernement, les perspectives sont donc plutôt inquiétantes, du fait, notamment, de votre politique.

Les experts relèvent en effet que la reprise mondiale est fragile et qu'elle montre des signes d'essoufflement : les conséquences du ralentissement américain toucheront la zone euro à l'horizon de la fin de l'année, via les débouchés à l'exportation. Tous les instituts de prévision expriment aujourd'hui, à des degrés divers, la même inquiétude : contrairement à ce que prévoit le Gouvernement, nous ne sommes pas dans une phase d'accélération. Après une croissance évaluée à 1,5 % en 2010, le Gouvernement table sur 2 % en 2011 ; mais le consensus des instituts privés de prévision est de seulement 1,5 %. Certains, comme Natixis ou Euler-Hermès, tablent même sur 1,1 %. Une croissance si faible serait évidemment inapte à relancer l'emploi comme à combler les déficits.

Cet environnement dépressif, conjugué à une politique économique violemment restrictive, laisse peu d'espoir sur le front de l'emploi : le chômage atteindra toujours des niveaux record. Le taux de chômage, qui s'est élevé à 9,7 % de la population active au deuxième trimestre, serait, selon l'INSEE, « quasiment stable » et se maintiendrait à 9,6 % à la fin de l'année. La première et la plus grave des fractures sociales ne se réduirait donc en rien.

Il faut bien prendre en compte le fait que ce chiffre ne reflète que très imparfaitement les souffrances sociales de très nombreux Français. Ce taux correspond à presque 2,7 millions de demandeurs d'emploi mais si l'on prend en compte toutes les catégories de chômage, en intégrant notamment les chômeurs ayant effectué quelques missions, ce chiffre grimpe aussitôt à plus de 4,2 millions.

Malgré la mini-croissance de 2010, le chiffre global des demandeurs d'emploi, toutes catégories confondues, reste en hausse très forte : 7,3 % sur un an à la fin du mois d'août, taux qui vaut à lui seul alerte. La France est sortie de la récession en 2009 mais le chômage a explosé.

Si le chômage a si fortement augmenté, c'est que l'emploi ne progresse que très peu. Les créations d'emplois s'élèveraient, selon l'INSEE, à 50 000 dans le secteur marchand non agricole au second semestre 2010 après avoir atteint 60 000 au premier semestre. De plus, elles concernent en grande majorité des formes d'emploi précaires : CDD, intérim, travail à temps partiel. Sur les 60 000 emplois créés au premier semestre, 56 700 sont des emplois intérimaires.

Cela permet de prendre la mesure d'une autre fracture sociale majeure. Si la France souffre toujours d'un chômage de masse, l'emploi est, lui, de plus en plus flexible, résultat de l'onde de choc d'un marché du travail très fortement dérégulé. Les entreprises n'embauchent désormais que très peu et, quand elles le font, elles n'ont recours qu'aux statuts d'extrême précarité afin d'ajuster en permanence leurs effectifs à leurs commandes.

Une autre étude récente de l'INSEE portant sur les évolutions de l'emploi sur les cinquante dernières années permet de prendre, de manière impressionnante, la mesure de la précarité qui ronge de plus en plus l'univers du salariat, autrefois protégé par le statut attaché aux contrats à durée indéterminée. Ainsi, de 1990 à 2007, la part des emplois temporaires dans l'emploi salarié est passée de 10 % à 15 % et la proportion des salariés à temps partiel, de 12 % à 18 %.

Dans la colère sociale qui s'exprime aujourd'hui dans notre pays, monsieur le ministre, il n'y a pas que le refus de votre réforme des retraites, il y a aussi le sentiment que l'emploi n'a plus l'effet protecteur d'autrefois. Ce sentiment est alimenté par la menace des délocalisations qui plane sur l'emploi de nombreux salariés, notamment dans l'industrie, mais aussi par le fait que, pour trop de salariés et trop de familles, l'emploi ne permet plus de vivre décemment.

Dans son point de conjoncture, l'INSEE affirme encore que le pouvoir d'achat des ménages progresserait selon un rythme de 0,5 % par trimestre pour la deuxième partie de l'année 2010, ce qui porterait la hausse du pouvoir d'achat du revenu brut des ménages à 1, 3 %. Ces chiffres globaux sont toutefois trompeurs et ne reflètent pas la réalité sociale car une partie de cette hausse provient de revenus du capital dont est exclue la majorité des ménages. Dans ce même périmètre, si l'on prend l'évolution du pouvoir d'achat par ménage, la hausse sera probablement nulle. Ces chiffres ne laissent pas transparaître la souffrance sociale qu'éprouvent beaucoup de Français, comme nous le constatons dans nos permanences.

L'INSEE a établi qu'en 2008, la proportion de ménages vivant sous le seuil de pauvreté était de 13 % et qu'elle atteignait 30 % pour les familles monoparentales, qui, pour la moitié d'entre elles, ont un niveau de vie inférieur à 1 340 euros par mois. Le niveau de vie médian s'élevait à un peu moins de 19 000 euros par an en 2008, autrement dit la moitié des Français vivait avec moins de 1 580 euros par mois.

Il est probable que les chiffres ne se sont pas améliorés en 2009 et 2010, compte tenu de la crise. Ils donnent la vraie mesure de la fracture qui mine le pays et que votre politique aggrave : vous cajolez les grandes fortunes mais malmenez le monde salarial.

C'est à cette aune que nous jugeons votre politique économique et sociale : nous la déplorons, qu'il s'agisse du projet de loi de finances, qui impose l'austérité à la majorité de nos compatriotes, ou de la réforme des retraites, qui protège le capital et accable le travail. Tout cela alimente aujourd'hui cette inquiétante colère sociale, qui est loin d'être motivée par la seule réforme des retraites.

Votre politique, telle qu'elle transparaît dans ce projet de loi de finances, ne peut répondre à cette souffrance. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous la condamnons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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